Inspiré de la vie sombre du tueur psychopathe Akira Nishiguchi, La vengeance est à moi, du cinéaste doublement palmé Shôhei Imamura, a reçu de nombreux prix aux “César” japonais, en 1980, dont Meilleur film et Meilleur réalisateur. L’œuvre originale et radicale, est effectivement l’un des nombreux accomplissements du réalisateur de La ballade de Narayama dont le travail est une fois de plus épatant.
Synopsis : En octobre 1963, la police découvre les cadavres de deux collecteurs de taxes dans la campagne. Le suspect est l’un de leurs collègues : Iwao Enokizu, un escroc plusieurs fois condamné. Réfugié dans une auberge d’Hamatsu, Enokizu se fait passer pour un professeur d’université et poursuit ses méfaits alors que son portrait est affiché dans tout le Japon. L’histoire vraie d’un tueur sans scrupules que la société a transformé en monstre.
Critique : Parmi les nombreux films oubliés en France du cinéaste Shôhei Imamura, cinéaste doublement palmé à travers La ballade de Narayama (1983) et L’anguille (1998), La vengeance est à moi est pourtant un classique japonais, couronné entre autres d’une récompense du Meilleur film et du Meilleur réalisateur, aux Nippon Academy-shô (équivalent des César), en 1980.
La vengeance est à moi, un grand film oublié d’Imamura
En France, on découvre brièvement le film en salle à la fin de l’année 1982 via le distributeur Parafrance, mais l’écho est confidentiel (30 000 entrées). Il faudra attendre les années 2000 pour le retrouver en vidéo dans un coffret Imamura chez MK2, puis 2022 pour le redécouvrir en salle grâce à The Jokers, en version restaurée. La promotion est axée sur la filiation avec Bong Joon-ho (Parasite) dont le Memories of Murder a beaucoup été influencé par La vengeance est à moi.
En 2020, la restauration en 4K, importante pour ce film du visuel, l’un des tous derniers à utiliser la VistaVision, procédé issu des laboratoires de la Paramount destiné à améliorer le rendu du 35 mm, permet au thriller de revenir à la mémoire collective au Festival de Venise en 2020, soit six ans après la sortie d’une édition blu-ray qui l’avait déjà canonisé chez l’éditeur américain culte, Criterion.
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Les films sortis en 1982
Shôhei Imamura, dans une approche iconoclaste livre une œuvre radicale et brillante, dont l’approche d’adaptation d’un livre documentaire consacré au tueur Akira Nishiguchi, peut paraître étonnante, puisqu’il va se défausser de la charpente de l’œuvre (des témoignages chapitrés), pour altérer une chronologie au risque de déconcerter les spectateurs lors des premières minutes. L’arrestation du criminel, désormais renommé Iwao Enokizu, est l’occasion de retours en arrière, de reconstitutions mentales surprenantes jusqu’à l’enfance même de l’infâme tueur, avec un moment traumatique qui replace le film dans l’histoire du pays, l’oppression des religions dissidentes et un rapport à la hiérarchie et à l’autorité que le protagoniste étrange réprouve dès un premier acte de rébellion marquant.
Les tueurs fous au cinéma
Les événements relatés, les sauts dans le temps, sont autant d’ellipses narratives qui renforcent la puissance méphistophélique du tueur, manipulateur, mythomane, d’une cruauté invraisemblable, froid comme la mort, toujours prêt à fomenter des stratégies meurtrières pour un petit pécule. Cette malveillance permanente le rend pour le moins étonnant dans son charisme de folie, ses tentatives de séduction intéressée, son intransigeance à se ranger systématiquement du côté de la haine à l’égard des autres.
Portrait d’un sociopathe détraqué, La vengeance est à moi brille par la multitude de personnages croisés aux différentes époques qui ont constitué son existence : ses parents, son épouse, à qui il prête une relation charnelle avec son père, une tenancière d’hôtel pour hommes seuls, dont la mère, elle aussi, a commis l’innommable et est passée par la case prison.
Une réalisation magistrale
Imamura dépeint un Japon aux différents visages, dans des décors de contrastes, où chaque plan confine à un travail visuel impressionnant. Pas une seule image du film n’est pas oppressante, surcomposée. Les décors, nombreux et signifiants, ainsi que la photo, sont autant d’éléments qui enrichissent considérablement cette vision de cinéma totale qui possède la propre clé de son énigme : une fin sidérante dans sa liberté qui démontre, pour tout ceux qui ne l’ont pas connu de son vivant, que le réalisateur de Pluie noire et La femme insecte, était un géant du 7e art.
Les sorties du 24 novembre 1982
Les sorties de la semaine du 11 mai 2022
Design affiche reprise 2022 : Les Aliens.com – © 1979/2020 Shochiku co., LTD.Imamura Production co., LTD.
Box-office :
Sorti tristement le 3 décembre 1982, La vengeance est à moi est proposé dans l’indifférence par le distributeur Parafrance, dans quatre cinémas à Paris intra-muros : le Monte Carlo, les Paramount Marivaux, Montparnasse et Odéon. Le polar engrange 5 185 entrées en 7 jours. Le numéro 1 de la semaine est bien loin, La balance, avec 125 857 entrées (35 salles), est suivi par Docteurs in Love, meilleure nouveauté avec 99 329 entrées (31 salles). Le polar Un tueur dans la ville entrait en 11e place, avec 25 397 entrées sur 16 écrans.
A noter que dans le cinéma de genre, kung-fu et porno, Les 7 disciples de Shaolin enseignait les arts martiaux à 10 543 spectateurs dans 3 salles quand Les petites allumeuses de Michel Caputo flirtait avec 6 847 spectateurs dans 3 cinémas, enfin autre nouveauté, Parfum de petites culottes excitait 5 510 vieux messieurs dans 4 cinémas, dont le mythique Midi Minuit.
La vengeance est à moi se maintient en deuxième semaine, avec 4 136 entrées dans 4 cinémas. Le Paramount Marivaux échangera sa copie avec le Studio Médicis.
En 3e semaine, le futur réalisateur de La ballade de Narayama passe à 3 256 entrées dans les mêmes salles. La 4e semaine voit le circuit se réduire à un seul site, le Studio Médicis (1 124 entrées) qui gardera sa copie jusqu’à la 9e et ultime semaine du film. Au final, le thriller clôturera sa carrière en salle avec 17 326 entrées. Certes, pas de quoi passer à la postérité, mais cela n’a en rien empêché le cinéaste de décrocher deux Palmes, l’une en 1983 avec La ballade de Narayama et l’autre en 1997 avec le moins consensuel L’anguille.
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