La bête tue de sang-froid est l’un des grands choc des années 70. Son aura sulfureuse n’a depuis cessé d’émaner au-dessus d’un cinéma bis, fort d’une audacieuse métaphore politique. Un pamphlet choquant mais effroyablement efficace.
Synopsis : Lisa, jeune italienne qui étudie en Allemagne, rentre dans son pays natal pour voir sa famille pendant les vacances de Noël. Elle est accompagnée d’une de ses amies, Margaret. Pendant leur trajet en train, elles font la connaissance de deux fraudeurs un peu étranges. Après un incident technique, les jeunes filles doivent changer de train, se retrouvant seules dans un compartiment, jusqu’à ce que les deux hommes rencontrés plus tôt débarquent, accompagnés d’une mystérieuse femme. Entre torture et viol, elles vont alors subir la pire nuit de leur vie…
Critique : Généralement méprisé par la critique, en particulier italienne, le cinéaste Aldo Lado a toutefois signé quelques petites perles du cinéma bis transalpin au début des années 70, et ce, dès son premier film, Je suis vivant!, un jalon du giallo de l’étrange (1971).
Le Dernier train de la nuit ou La bête tue de sang-froid ?
Clairement inspiré par des bobines extrêmes comme La dernière maison sur la gauche de Wes Craven, Lado se lance dans la réalisation d’un thriller jusqu’au-boutiste en 1975 avec La bête tue de sang-froid, son film le plus efficace, connu également en vidéo sous le titre de Dernier train de la nuit (1975). L’œuvre forte a été largement coupée en son temps, en raison de sa violence extrême, même si le cinéaste parvint à diffuser une version non-approuvée par la commission de censure italienne, en secret, Editée maintes fois en VHS, sous différentes appellations, la série B tordue, au caractère particulièrement osé, a toujours su nourrir une curiosité extrême. Neo Publishing, dans les années 2000, avait pu proposer une copie agrémentée de bonus qui avait fait l’effet d’une bombe auprès de bien des cinéphiles qui n’avaient pu le voir dans les années 90, époque où il fut difficile de le revoir.
Macha Méril dans son rôle le plus diabolique
Si le cinéaste, qui depuis affirmera ne pas avoir vu La dernière maison sur la gauche, cherche un certain réalisme durant la première demi-heure, il fait basculer par la suite son métrage dans un véritable délire d’une perversité sans nom qui l’éloigne du film hippie de Wes Craven. Les principales critiques à l’égard du film généralement ont porté en leur temps sur le postulat pour le moins peu crédible – une passagère bien sous tous rapports, pousse deux petites frappes à violer et à tuer deux jeunes filles innocentes. Macha Méril jubilatoire en incarnation du Mal absolu, définitivement perverse, incarne cette bourgeoise ambiguë qui l’éloigne de ses compositions françaises, durant la Nouvelle Vague, et ce avec un plaisir non dissimulé.
Ceux qui se sont abattus sur le film en le taxant de simple provocation, à la fois voyeuriste et putassière, n’ont pas tout à fait tort, mais se sont contentés d’une lecture superficielle d’une œuvre puissamment politique, audacieuse et dérangeante. Macha Méril, qui venait de tourner pour Dario Argento, dans un contre-emploi qu’elle n’a jamais cherché à nier dans sa filmographie, incarne une haute-bourgeoisie qui tire toutes les ficelles et qui se sert de la petite racaille pour mener à bien ses plans de destruction d’une classe sociale jugée inférieure. Ce qui se joue donc dans ce train hautement symbolique est bien une forme aigüe de lutte des classes. Le prolétariat étant vu par Aldo Lado comme la nécessaire victime d’une bourgeoisie hypocrite dont les crimes restent impunis (cf. l’effroyable plan final). Le discours de Gauche est celui qu’entretenait déjà le alors socialiste Aldo Lado dans Je suis vivant!, où il se délectait d’une métaphore des nantis, dans un entre-soi orgiaque et déliquescent. Des monstres ivres de pouvoir qui se nourrissait de cette jeunesse pour conserver leur toute puissance. Méril incarne bien la descendance de ces personnages odieux qui hantent le premier long de l’auteur. Evidemment, on retrouve chez Aldo Lado cette tendance gauchiste de l’époque à taper sur le curé. Les années 70 n’étaient pas celle des cultes religieux, mais bien celle du cinéma culte où être de Gauche signifiait renverser le système, politique et religieux. La bête tue de sang-froid, plus discrète que son prédécesseur sur ce plan là, n’échappe pas à la règle.
© 1976 Rewind, Marzia Cinematografica, European Incorporation
Une œuvre profondément choquante
Le jeu de massacre est souvent traité sans nuance (le jeu excessif des jeunes acteurs masculins et leur péripéties grotesques avant de virer dans la violence absolue), mais cette tendance à l’exagération fait également partie du charme de ce spectacle infernal. Osant toutes les dérives (essentiellement sexuelles), le cinéaste dresse le portrait d’une société en perte de repères moraux, ce qui peut se lire comme une métaphore des années de plomb que traverse alors l’Italie.
Œuvre majeure dans le cinéma d’exploitation transalpin, La bête tue de sang-froid est surtout brillante dans sa réalisation, envoûtante dans sa photographie qui prend tout son sens sur le magnifique support haute-définition contemporain. La musique exaltante d’Ennio Morricone y est pour beaucoup, jusqu’à l’utilisation atmosphérique d’un morceau de Demis Roussos en ouverture et fermeture de ce récit poignant et révoltant.
En 2020, il est largement temps de réhabiliter à nouveau le courage cinématographique d’Aldo Lado qui, dans la transgression ultime, filmer le viol dans tout ce que la période post #MeToo vomira, a réalisé une œuvre historiquement insoutenable qui n’en finit plus d’infliger ses souffrances. Une claque que Gaspar Noé gardera en tête pour un certain Irréversible.
Critique en binôme de Virgile Dumez et Frédéric Mignard