D’un classicisme parfaitement assumé, Juré n°2 ausculte les failles de toute justice humaine dès lors qu’elle est confrontée à la complexité des êtres et de leurs motivations. Cette capacité à nuancer fait plaisir à voir.
Synopsis : Alors qu’un homme se retrouve juré d’un procès pour meurtre, il découvre qu’il est à l’origine de cet acte criminel. Il se retrouve face à un dilemme moral entre se protéger ou se livrer.
Le dernier film de Clint Eastwood ?
Critique : Alors que nous pensions Clint Eastwood retiré des affaires après le fiasco artistique et commercial de Cry Macho (2021), il surprend tout son monde en retournant une fois de plus derrière la caméra pour ce qui devrait sans doute être son dernier tour de piste puisque l’acteur en est tout de même à sa 94ème année. Sans doute conscient de l’échec de son précédent long, le cinéaste ne voulait certainement pas partir sur ce faux pas et se proposait de revenir à un thème qui le hante depuis toujours, à savoir celui de la justice et de sa relativité dès qu’elle est mise entre les mains d’hommes et de femmes faillibles.
Il n’est donc guère étonnant que le script du débutant Jonathan A. Abrams, plutôt brillamment écrit, ait séduit la star au point de vouloir le porter à l’écran durant l’année 2023. On y retrouve ici toutes les thématiques qui ont été celles de son œuvre passée, allant d’Un monde parfait (1993), Minuit dans le jardin du bien et du mal (1997), Jugé coupable (1999), Mystic River (2003) jusqu’au récent Cas Richard Jewell (2019). Pour Clint Eastwood, le monde ne se résume aucunement en l’affrontement binaire entre le bien et le mal puisque chaque être humain est capable du meilleur comme du pire.
Sur les traces de Douze hommes en colère
D’ailleurs, cette connaissance profonde de l’ambiguïté humaine fait toute la richesse de ce dernier film qui emprunte la structure classique du film de procès pour mieux ausculter les contradictions d’un homme et, en parallèle, d’un système judiciaire forcément imparfait. A travers cette histoire, les auteurs dénoncent notamment l’intérêt des procureurs à faire condamner un maximum de gens pour satisfaire leurs ambitions politiques (puisqu’ils sont élus aux Etats-Unis). Ils démontrent également que la vérité est forcément plus complexe que la façon dont elle est exposée dans les prétoires et que la vox populi est rarement éclairée dans ce domaine. Il faut donc bien se garder de juger son prochain, surtout lorsque l’on n’a pas tous les éléments du dossier à sa disposition.
Mais Juré n°2 va bien plus loin puisqu’il démontre que chaque individu devrait avoir la possibilité d’obtenir une seconde chance dans la vie, à partir du moment où il a payé sa dette envers la collectivité. Une idée qui peut sembler évidente aux humanistes mais qui est de plus en plus contestée actuellement, preuve du délitement démocratique de nos sociétés. Pour y parvenir, le cinéaste débute son film par un classique procès dont on suit tous les rouages. Pourtant, le métrage prend une autre tournure lorsque les jurés se réunissent pour délibérer. Dès lors, le long métrage se transforme pendant une bonne heure en un remake à peine déguisé de Douze hommes en colère (1957), le chef d’œuvre de Sidney Lumet.
Juré n°2, l’oeuvre d’un moraliste
Comme dans l’œuvre écrite à l’époque par Reginald Rose, le fameux juré interprété par Nicholas Hoult va tenter de renverser l’avis des autres jurés, tous favorables à la peine de prison à perpétuité, en installant le doute quant à la culpabilité du prévenu. L’originalité vient du fait que le juré numéro 2 sait que le jeune homme est innocent puisque c’est lui qui a percuté la victime avec sa voiture, pensant avoir embouti un cerf. Pourtant, à force de pointer du doigt les incohérences de l’enquête, le vrai coupable finit par orienter les soupçons vers sa propre personne au risque de se brûler les ailes.
Dès lors, le cinéaste creuse avec une belle intelligence la problématique de l’empathie. Jusqu’où est-on prêt à aller pour sauver autrui au détriment de sa propre existence ? Est-ce que notre conscience nous laisse vivre en toute quiétude avec un tel secret ? Autant de questions passionnantes qui s’ouvrent à nous durant la projection, confirmant le statut de moraliste de Clint Eastwood – et non de moralisateur, la différence de terme est essentielle ici. Comme autrefois Frank Capra, Clint Eastwood interroge la pertinence du système judiciaire américain, tout en lui restant fidèlement respectueux. Après tout, n’est-ce pas la justice humaine qui est par définition faillible ?
Des acteurs diversement inspirés
Faisant preuve d’une belle complexité psychologique, Juré n°2 s’appuie sur une écriture brillante, mais demeure comme toujours avec le cinéaste dans une forme d’académisme formel qui devrait éconduire ses détracteurs habituels. Les autres y verront une forme d’humilité d’un artiste qui s’efface derrière la puissance de son sujet. Toutefois, on peut tout de même regretter le choix de Nicholas Hoult, acteur passablement fade et qui ne nous as jamais emballés, pour incarner le rôle principal.
Certes, le comédien joue plutôt bien la sidération, mais il échoue à transmettre les tourments profonds et existentiels de son personnage. Heureusement, Clint Eastwood l’a entouré de comédiens de valeur comme l’excellent J.K. Simmons et surtout l’impeccable Toni Collette, absolument parfaite en procureure aux dents longues mais qui finit par douter de sa position d’accusatrice.
Si l’on considère ce long métrage comme le dernier de Clint Eastwood – ce que l’avenir peut contredire – il peut clore avec dignité une œuvre riche de plus de 45 titres inégaux, mais où l’artiste aura porté à l’écran les doutes d’un homme assurément complexe. Juré n°2 en est encore un vibrant exemple, par-delà son classicisme assumé.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 octobre 2024
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Clint Eastwood, Nicholas Hoult, J.K. Simmons, Toni Collette, Chris Messina, Kiefer Sutherland, Zoey Deutch
Mots clés
Cinéma américain, L’injustice au cinéma, Films de procès, Les films à Oscars