Jugé coupable est un film à thèse inégal contre la peine de mort qui pâtit d’une écriture pataude dès qu’il aborde les problèmes de couple. Le suspense est en revanche bien mené.
Synopsis : Cabochard, amateur de femmes et de boissons fortes, Steve Everett, grand reporter qui avoue son penchant immodéré pour les sujets chocs, finit par se faire licencier du “New York Time”. Il échoue sur la côte Ouest à “l’Oakland Tribune”. Là il est chargé de reprendre une enquête interrompue après la mort accidentelle d’une jeune collègue. Cette dernière était chargée de couvrir l’exécution d’un criminel noir, Frank Beechum, condamné pour le meurtre d’une caissière. Très vite, Everett à de sérieux doutes sur la culpabilité de Beechum, qui doit être exécuté à minuit.
Jugé coupable, un projet commercial pour star en quête de succès
Critique : Alors que Clint Eastwood avait le monde à ses pieds au début des années 90 avec une suite de beaux succès au box-office, des critiques unanimes et une pluie de récompenses, la fin de la décennie fut plus difficile pour lui. En 1997, Les pleins pouvoirs n’a pas pleinement convaincu et Minuit dans le jardin du bien et du mal était une œuvre ambitieuse mais qui ne pouvait prétendre à séduire une large audience. Il fallait donc que la star rebondisse avec un projet plus commercial, d’autant que celui-ci est empêtré à cette époque dans un long procès (dix ans) avec son ex-compagne Sondra Locke.
Alors qu’il envisageait d’adapter un roman policier nommé Créance de sang, Clint Eastwood choisit de se pencher sur Jugé coupable d’après un best-seller d’Andrew Klavan. Effectivement, son ami Richard D. Zanuck en possède les droits et les offre à Clint en se réservant ainsi un poste de producteur, ainsi qu’à son épouse Lili Fini Zanuck. Pourtant, il y avait un défi de taille à relever puisque le journaliste du livre n’a que trente-cinq ans et que Clint Eastwood approche alors des soixante-dix ans. Les scénaristes ne se sont pas vraiment posé de questions et, pour ne pas vexer la star, n’ont strictement rien changé à l’intrigue.
Eastwood se livre à une thérapie personnelle franchement maladroite
Soyons tout à fait honnête, le décalage entre l’âge de Clint et les situations qu’il doit jouer éclate dès les premières minutes du long-métrage. La star ne peut guère dissimuler son âge et n’arrête pas de courir après toutes les jeunes femmes qu’il croise. Il évoque même dans les dialogues une aventure avec une jeune fille de dix-sept ans. Certes, nous savons bien que Clint Eastwood a la réputation d’être un coureur de jupons invétéré, mais cette différence d’âge devient franchement embarrassante durant la première demi-heure du long-métrage qui semble être consacrée à une thérapie personnelle de l’acteur-réalisateur. Celui-ci évoque ainsi en filigrane ses propres frasques avec un nombre conséquent de jeunes femmes, ce qui lui a d’ailleurs valu plusieurs procès généralement réglés à l’amiable.
Afin de rendre crédible cette histoire de père de famille dépassé par sa vie de couple tumultueuse et ses responsabilités, Clint Eastwood fait jouer sa propre fille Francesca Eastwood, âgée alors de cinq ans. Cela donne lieu aux pires scènes du film où Eastwood tente maladroitement de faire sourire. Ces premières séquences assez médiocres laissent augurer le pire, mais finalement Eastwood a l’excellente idée de mettre de côté ses obsessions personnelles pour enfin aborder le vrai sujet du film, à savoir la dénonciation de la peine de mort.
Jugé coupable dénonce avec efficacité le racisme institutionnel envers les Afro-américains
Dès qu’il se lance dans la quête de la vérité, le long-métrage trouve enfin son rythme et abandonne la psychologie de seconde zone pour venir éclairer les zones d’ombre de l’Amérique contemporaine. Alors qu’il est lui-même un Républicain convaincu, Clint Eastwood se lance à nouveau dans une bataille progressiste qui tranche sérieusement avec ses prises de position politiques. Effectivement, dans Jugé coupable (1999), il prend à nouveau fait et cause pour la communauté noire américaine en dénonçant notamment le racisme quotidien. Certes, il choisit la facilité en faisant du garçon qui est dans le couloir de la mort un pauvre innocent accusé à tort, mais il dépeint par là une réalité quotidienne aux Etats-Unis. Les condamnés à mort sont ainsi majoritairement afro-américains.
Clint Eastwood, par le biais du thriller, démontre avec une certaine finesse l’horreur de la mise à mort d’un être humain par l’Etat. Alors que le début du film manquait cruellement de nuance dans la peinture des relations du journaliste avec les femmes, la suite opère un vrai changement. D’une belle complexité dans la peinture des relations humaines, Jugé coupable n’accable finalement personne et s’avère modéré dans son point de vue. Non, tous les Blancs ne sont pas d’irrémédiables salauds qui veulent casser de l’Afro-américain. Non, tous les Noirs ne sont pas des saints. Eastwood cherche surtout à démontrer que chaque être humain est faillible et que personne ne peut vraiment s’ériger en juge suprême.
Un gros échec aux Etats-Unis
Après un début raté, Jugé coupable se révèle donc bien plus intéressant dans ses prolongements, tandis que le suspense est parfaitement mené jusqu’au moment de l’exécution. Malgré ces qualités certaines, le film a été un gros échec commercial. Doté d’un lourd budget de 55 millions de dollars, Jugé coupable n’a rapporté que 16,6 millions de billets verts aux Etats-Unis. Le sujet n’a visiblement pas parlé à une frange conséquente de la population américaine. Comme souvent, la France fut plus clémente envers cette réalisation d’Eastwood qui a fédéré 902 023 spectateurs sur tout le territoire, soit un score tout à fait correct.
Si Jugé coupable est donc un film à thèse inégal, il demeure de bonne tenue, surtout si on le compare à ses réalisations suivantes, les peu enthousiasmants Space Cowboys (2000) et Créance de sang (2002). Il faudra attendre 2003 et Mystic River pour que Clint Eastwood retrouve vraiment l’inspiration.
Critique de Virgile Dumez