Mal reçu en Amérique, Un monde parfait est l’un des grands succès de Clint Eastwood en France, une œuvre iconographique riche qui exploite le meilleur de la littérature américaine dans sa peinture picturale de l’Amérique des années 60.
Synopsis : En 1963, au Texas, Butch Haynes et Terry Pugh réussissent à s’échapper de leur pénitencier. Dans leur fuite, ils prennent en otage Phillip, un jeune garçon dont la mère appartient aux témoins de Jéhovah. Alors que Butch s’est débarrassé de Terry, il se rapproche de Philip. Mais l’officier Red Garnett est à ses trousses, assisté d’une jeune criminologue, Sally Gerber. Une véritable chasse à l’homme commence.
Critique : Fin 1993. Après Danse avec les loups, Robin des Bois, JFK et Bodyguard, quatre triomphes commerciaux consécutifs, Kevin Costner semble devenu invulnérable à Hollywood. Il est la star numéro 1, celle que tout le monde s’arrache, réunissant charme et glamour, reconnaissance de ses pairs et celle du public.
Un monde parfait, un flop américain retentissant
Pourtant, en rencontrant Clint Eastwood, auteur qui sortait du double Oscar (Meilleur film et réalisateur), pour Impitoyable, il va connaître un premier revers. Un monde parfait sera même le premier d’une longue lignée de flops qui s’intituleront Wyatt Earp, A chacun sa guerre, The Postman…
Le film est un four aux USA (33 millions de dollars), mais pas en France, où, avec 3.1 millions entrées, il cartonne, finissant même 7e de l’année, contre la 54e place dans son pays !
Butch Costner et le Kid
Dans une Amérique texane ambigüe, le rôle de vilain kidnappeur, joué brillamment par Costner dans le refus du portrait sans nuances, éconduit l’Amérique en manque de repère positif dans un film où Eastwood vient jouer au marshall compréhensif dont la vision n’est pas aveuglé par une rectitude binaire.
L’enfant pris en otage devient le fils de substitution du gangster, sur fond d’arrière-plan conservateur et violent, à la religiosité stricte (la mère est témoin de Jéhovah). Le personnage de Costner développe une relation puissante avec l’enfant qui, en dehors de tout sentiment d’emprisonnement est lui aussi libéré d’un joug moral insupportable, et surtout des interdits si difficiles à cet âge-là. La complicité et l’humour sont à la croisée des chemins de cette rencontre un peu unique dans la carrière de l’auteur qui, s’il a rarement filmé l’enfance, a su montrer son dévouement envers sa progéniture importante (il est le père de huit enfants).
Cette œuvre lumineuse, dans la grande tradition picturale et littéraire de la culture américaine, (on pense au peintre Hooper, mais aussi à l’auteur Faulkner) reste aujourd’hui l’un des incontournables du père Eastwood, qui allait retrouver ce charme inhérent aux grands espaces américains dans le mélo Sur la route de Madison deux ans plus tard.
La mise en scène académique d’Un monde parfait est aussi envoûtante dans son rythme lent (d’aucuns trouveront le métrage trop long) et surtout donne toute sa force à la séquence finale bouleversante qui a sûrement dérouté le public américain. Point d’orgue du film et du cinéma eastwoodien des années 90, elle relève des grands moments hollywoodiens d’une décennie surprenante qui, en un échec public, témoignait du divorce entre une nation entière et un acteur.