Je brûle de partout est un thriller érotique qui inaugure la collaboration entre Jesús Franco et Brigitte Lahaie, dans une ambiance sordide typique d’un certain cinéma d’exploitation putassier. Le résultat, très inégal, est à réserver aux fans du cinéaste.
Synopsis : Lorna et Tom sont un couple de rabatteurs à la petite semaine. Dans une boite de nuit, ils séduisent la jeune et vierge Jenny pour une nuit de débauche, pour ensuite la droguent et la vendre à un réseau de traite des blanches. Lorsqu’ils découvrent qu’elle est la fille d’un milliardaire, ils décident de lui demander une énorme rançon. Mais ils doivent maintenant soustraire Jenny des mains redoutables proxénètes qui la retiennent prisonnière.
Jesús Franco et le cinéma d’exploitation : une grande histoire d’amour
Critique : Durant les années 70, le cinéaste Jesús Franco profite de budgets alternativement corrects et dérisoires en fonction des films. Grâce à Robert de Nesle et sa société de production Le Comptoir français de productions cinématographiques (CFPC), il a bénéficié de budgets assez conséquents qui lui ont notamment permis de réaliser deux ou trois films alors que le producteur ne lui en avait commandé qu’un. C’est encore le cas avec Je brûle de partout (1978) qui a été tourné en grande partie au Portugal et notamment dans le port de Lisbonne, en seulement quelques jours.
En ce qui concerne le script, Jesús Franco se love avec délectation dans les thématiques classiques du cinéma d’exploitation putassier. Ainsi, il aborde la traite des blanches et l’exploitation de jeunes filles vierges qui sont ensuite prostituées à l’étranger pour le compte de riches clients. Le tout est mené par une organisation internationale dirigée par un Américain dénué de la moindre empathie envers cette chair fraîche qu’il vend au plus offrant. Pour raconter cette histoire d’enlèvement d’une jeune pucelle – crédible Susan Hemingway au charme adolescent qui peut troubler de nos jours – Jesús Franco cède à toutes les facilités pour attirer le chaland vicieux.
© Pulse Vidéo
Un script inabouti d’une incroyable perversité
Cela commence par une traditionnelle scène de boite de nuit, puis se poursuit par les ébats d’un trio formé par Susan Hemingway, Didier Aubriot et surtout Brigitte Lahaie qui tentait de se diversifier en ne jouant pas dans un porno, mais dans un thriller érotique. Après ces longues séquences introductives marquées par d’inconcevables longueurs, l’intrigue démarre enfin et va révéler petit à petit son aspect sordide et passablement pervers.
Effectivement, au cours de cette course poursuite entre un couple de rabatteurs (Lahaie et Aubriot) et l’organisation mafieuse afin de récupérer la jeune fille riche enlevée, le réalisateur ose aborder des thématiques taboues sans faux semblant. Ainsi, le spectateur aura le droit à de multiples viols sous l’influence d’une drogue aphrodisiaque, mais aussi à des ébats entre une femme et son frère bisexuel, tandis que la thématique incestueuse donne lieu à un retournement de situation plutôt cocasse en fin de métrage.
Je brûle de partout : quand le roman de gare rencontre le cinéma bis
Le tout est réalisé à l’arrache par un réalisateur peu soucieux de soigner le cadre ou l’éclairage, mais qui fait toutefois intervenir régulièrement la musique jazzy de Daniel White. Celui-ci est pour beaucoup dans la réussite de certaines scènes et la création d’une ambiance assez sordide, notamment lors des séquences se déroulant dans la cave d’un bateau servant à la prostitution. On peut regretter dans cet ensemble non dénué d’intérêt, mais quelque peu bordélique une tendance à se livrer à une écriture free jazz.
Certains passages demeurent totalement inexpliqués et des retournements de situation paraissent bien hasardeux pour être crédibles. Pour apprécier Je brûle de partout, il faut donc chérir ces ambiances de roman de gare aux goûts de soufre qui tentent de camoufler l’indigence de leur construction narrative par des trucs de scénariste qui étonnent le spectateur, par-delà toute crédibilité.
Un film érotique, à la lisière de la pornographie, qui n’a pas échappé au classement X
Inégal et même assez foutraque, le résultat est surtout porté par une Brigitte Lahaie qui prend plaisir à jouer les enquêteuses, même si celle-ci est doublée de manière approximative. Dans le livre qui lui est consacrée (Brigitte Lahaie, les films de culte, de Cédric GrandGuillot et Guillaume Le Disez, 2016, p 190), l’actrice déclare d’ailleurs :
Jess n’est pas un mauvais garçon, mais il m’a peu adressé la parole pendant les prises de vues. Néanmoins tout se passait bien. […] Il avait tourné tellement vite les plans de Je brûle de partout que, selon le calendrier de tournage, il restait plus d’une semaine payée sur Lisbonne. Ainsi Jess pensait rentabiliser en se dépêchant de mettre en boite de quoi monter un second film sur les deniers du premier. Mais je lui ai dit « Non, je ne suis pas d’accord. J’en ai marre, je veux rentrer chez moi ! »
Ce témoignage vient corroborer la méthode de travail désormais bien connue du cinéaste stakhanoviste. Même si cette première expérience avec Jesús Franco ne fut guère enthousiasmante pour la belle Brigitte, celle-ci a retrouvé le maître du bis espagnol au milieu des années 80 pour deux expériences plus concluantes (Dark Mission et Les prédateurs de la nuit). En l’état, Je brûle de partout (1978) est avant tout un petit film érotique vite conçu, vite vu et vite oublié. Toutefois, sa sortie a été entachée par un classement X qui paraît un peu dur au vu des séquences de sexe qui sont ici simulées et clairement chorégraphiées.
Une récente édition en blu-ray vendue sur internet
Sans doute la commission a été sensible aux perversions qui sont étalées durant toute la projection et ont estimé que cela risquait de choquer les plus jeunes, au-delà de ce qui est réellement montré à l’écran. La preuve que le film de Jesús Franco fait tout de même son petit effet par-delà ses nombreuses maladresses et son aspect bis. Sorti en 1979 en salles, Je brûle de partout a été récemment (en 2022) exhumé par l’éditeur Pulse Vidéo qui l’a notamment couplé avec le film de commando Dark Mission (1988). La copie, bien que visiblement restaurée, est passablement abîmée.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Je brûle de partout était très occupé la semaine du 11 avril 1979. Le film de Jess Franco devait en un minimum de temps faire le maximum d’entrées malgré une rude concurrence, puisque la plupart des nouveautés étaient à caractère pornographique.
Le C.F.F. trouve à Brigitte Lahaie trois écrans à Paris en intra-muros pour 4 375 spectateurs en première semaine. La Scala, l’Amsterdam et le Delambre sont complices des vices et sévices. L’Amsterdam y trouve à lui tout seul 1 933 vieux messieurs égarés.
La grosse sortie à caractère pornographique de la semaine revient aux Petites pensionnaires impudiques (Aviafilm) de Michel Gentil (donc Jean Rollin) qui jouissait de 6 écrans et de 12 857 spectateurs. Le Ritz faisait salle pleine avec 5 600 spectateurs à caractère pédophile. Rien qui ne puisse toutefois ébranler le triomphe du moment, Orgies adolescentes en deuxième semaine, qui, projeté dans 11 cinémas, affolait 22 077 spectateurs pour un total très provisoire de 55 318 spectateurs.
Un autre film porno de Jean Rollin était lâché dans les salles parisiennes cette même semaine, avec un titre d’une vulgarité insensé : Remplissez moi les 3 trous, qui trouvait 10 160 assoiffés dans 4 salles.
Brigitte Lahaie attire toutefois plus que Confidences très intimes de Jean-Claude Roy qui vend “une sensualité moderne, une sexualité violente, la perversion à la recherche du plaisir”. Celui-ci, avec un écran de plus, n’accapare les fantasmes que de 4 127 passants.
Dans la chaleur des nuits d’été et sa bande son disco (Amanda Lear, la Bionda…) trouve en revanche 4 838 spectateurs dans 5 cinémas traditionnels, car en fait, on ne se situe plus dans le domaine du X, mais sous la boule à disco, dans un ersatz de La fièvre du Samedi Soir.
Dans un box-office encore dominé par Belmondo (Flic ou voyou en troisième semaine), la reprise de Bambi (en 2e semaine) et le triomphe d’Et la tendresse bordel ! de Patrick Schulmann en 7e semaine, les nouveautés de la semaine n’impressionnent guère.
Quintet, essai de science-fiction de Robert Altman, avec Paul Newman, entre en 8e place avec 36 000 Parisiens mais dans seulement 8 cinémas, Les évadés de l’espace (sorti en blu-ray chez Carlotta en 2022) s’envolait à 30 292 spectateurs dans 24 cinémas alors que Le choc des étoiles était toujours à l’affiche, le requin pas très content des Mâchoires infernales gobait 20 094 nageurs dans 17 cinémas.
Les amateurs de kung-fu pouvaient apprécier les exploits du Dragon ne joue pas avec la mort (8 460 entrées dans 2 temples dédiés à cet art) et même de Bruce “Le” dans Le trésor de Bruce Lee (4 écrans, 14 500 entrées).
En deuxième semaine, Je brûle de partout comble encore 2 103 amateurs de cinéma bis. Il a perdu un écran et n’est plus projeté qu’à la Scala et au Amsterdam.
Au total, le film écoulera 6 892 tickets en trois semaines sur Paname. Clairement pas un succès, mais au vu du produit de base, à quoi s’attendre donc.
Sa carrière en VHS chez Montévidéo sera très confidentielle au début des années 80.
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 11 avril 1979
© 1978 Comptoir Français du Film Production (CFFP) – Camidis Films. Tous droits réservés.
Biographies +
Brigitte Lahaie, Vicky Adams (Aida Vargas), Jesús Franco, Susan Hemingway, Didier Aubriot