Hors normes est le meilleur film de Nakache et Todelano, et un feel-good movie de qualité sur lequel plane l’ombre de Capra.
Synopsis : Bruno et Malik vivent depuis vingt ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux associations respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés d’« hyper complexes ». Une alliance hors du commun pour des personnalités hors normes.
Critique : On pouvait être surpris devant l’indulgence (voire la bienveillance) critique à l’égard des films d’Olivier Nakache et Olivier Todelano, auteurs de hits consensuels dans lesquels les bons sentiments et des dialogues percutants servaient de manifeste de mise en scène : Intouchables souffrait d’un terrible académisme, quand Le Sens de la fête abordait le genre de la comédie chorale avec un manque de rythme évident. Avec Hors normes, les deux réalisateurs signent un film attachant et bien supérieur aux précédents, même si l’on émettra encore des réserves.
En premier lieu, le petit monde décrit par Nakache et Todelano apparaît comme un paradis artificiel baignant dans l’optimisme, en dépit des difficultés auxquelles se heurtent les deux responsables associatifs et de la souffrance des ados autistes et de leurs parents. La philosophie de bisounours et la distribution de câlins l’emportent sur une réelle analyse du phénomène de l’autisme sur lequel le récent documentaire Quelle folie de Julien Meunier nous avait davantage éclairés.
En second lieu, les réalisateurs se parent justement d’une bonne conscience de documentaristes, le scénario étant basé sur leur propre vécu et la fréquentation de deux associations d’aide aux jeunes autistes : les rouages administratifs et les déboires des protagonistes sont ici expliqués surligneur à l’appui et donnent au récit un caractère un brin démonstratif dans certains séquences (l’entretien final avec les deux inspecteurs des affaires sociales). Et l’alibi documentaire ne doit pas être un prétexte pour justifier des invraisemblances (la fugue du jeune Valentin, inspiré de faits pourtant réels).
Et pourtant, Hors normes mérite d’être vu. Cet authentique feel-good movie réussit un savant dosage entre la comédie mélancolique et le drame léger, sans lourdeur dans les gags ni chantage aux sentiments, et a le mérite de montrer la cohabitation et l’entraide entre des groupes sociaux différents de par leur niveau de vie, leur âge et leur culture, ce qui n’est franchement pas désagréable en cette période de montée des extrémismes en tous genres : c’est ainsi que des jeunes de cité trouvent un sens à leur existence en devenant des « référents » auprès d’enfants qui n’intéressent personne, ou que des jeunes filles musulmanes, voilées ou non, communiquent avec des collaborateurs athées ou en kippa, sans qu’à ce sujet le message d’ouverture ne soit asséné de façon ostensible. Nakache et Todelano sont en outre subtils dans l’art de la digression : en atteste le running gag qui voit Bruno faire l’objet de « rencontres arrangées » dans la communauté juive afin de mettre un terme à son célibat.
Les deux cinéastes sont aussi de très bons directeurs d’acteurs, le casting trouvant un juste équilibre entre de vrais « pros » (Vincent Cassel, Reda Kateb, Hélène Vincent…) et de jeunes débutants, dont certains sont interprétés par de vrais autistes : Benjamin Lesieur dans le rôle de Joseph est ici remarquable, et les cinéastes parviennent à éviter le traitement lacrymal et roublard d’un Jaco Van Dormael dirigeant Daniel Auteuil et Pascal Duquenne dans Le Huitième jour (1996).
« Ce que montre le film, c’est que parfois, c’est en transgressant la norme, à l’image de Bruno et Malik, qu’on la redéfinit […] La transgression peut être chaotique mais fertile. Nous n’avons aucune réponse à apporter avec le film, pas de message à adresser au reste de l’humanité. Plus nous avançons dans la vie, plus nous avons la certitude que ce qui importe, c’est le niveau de questionnement. En la matière, la rencontre avec ces multiples personnalités que nous avons eu la chance de côtoyer, est absolument passionnante », a déclaré Éric Todelano dans le dossier de presse. L’ombre de Frank Capra plane sur ce film attachant, émouvant et pétulant, bien accueilli en séance de clôture du Festival de Cannes, et qui n’a pas volé son succès en salles.
Critique de Gérard Crespo