Film contemplatif aux paysages splendides, Godland déploie ses charmes esthétiques à partir d’une intrigue un peu frustre et austère. Pour cinéphiles exigeants.
Synopsis : À la fin du XIXe siècle, Lucas, prêtre danois, arrive en Islande, avec pour missions de construire une église et de photographier la population. Mais plus il s’enfonce dans le paysage impitoyable, plus il est livré aux affres de la tentation et du péché…
Retour sur la colonisation de l’Islande par le Danemark
Critique : Déjà repéré par les cinéphiles exigeants grâce à ses deux premiers films intitulés Winter Brothers (2017) et Un jour si blanc (2018), le cinéaste islandais Hlynur Pálmason a décidé de s’orienter vers un cinéma plus contemplatif avec son troisième essai nommé Godland (2022) à l’international. L’idée du long-métrage lui est venue lorsqu’il a découvert des vieux daguerréotypes datant de la fin du 19ème siècle développés par un prêtre danois venu en mission en Islande pour fonder une église. A partir des vieilles photographies prises par l’homme d’Eglise, Hlynur Pálmason a imaginé quelle avait pu être le contexte dans lequel ces photographies ont été prises.
De là, il a développé un scénario qui suit les pas d’un prêtre danois envoyé en mission en Islande par sa hiérarchie. Rappelons qu’à la fin du 19ème siècle, l’Islande appartenait au Danemark depuis plusieurs siècles, mais que le mouvement autonomiste prenait de plus en plus d’ampleur. Autant dire que l’arrivée du missionnaire n’est guère attendue par les autochtones, d’autant que le prêtre en question ne fait guère d’efforts pour s’intégrer.
Voyage au bout d’un pays inhospitalier
Lors de son voyage, le réalisateur le montre en train d’essayer d’apprendre la langue locale, puis de déclarer forfait face à la difficulté de la langue islandaise. Cette incommunicabilité est au cœur de Godland et explique en grande partie le décalage entre les espérances du prêtre et la réalité de sa mission.
Outre les rigueurs extrêmes du climat, l’homme d’Eglise doit lutter contre la résistance naturelle des habitants. Celle-ci s’incarne en un unique personnage joué par l’impressionnant Ingvar Sigurdsson, déjà très apprécié dans Un jour si blanc (2018) du même réalisateur. L’acteur joue ici un Islandais du cru qui se trouve en parfaite harmonie avec la nature qui l’entoure, tandis que le prêtre n’est aucunement raccord avec son environnement proche. Le décalage entre les deux et leur impossible fraternisation entrainera un drame qui n’interviendra que dans le dernier tiers d’une œuvre contemplative à la lenteur hypnotique.
Des références prestigieuses, mais un peu écrasantes
Effectivement, loin de mâcher le travail du spectateur, Hlynur Pálmason compte sur la beauté irrésistible des paysages islandais pour séduire la rétine du cinéphile, tandis que son histoire est délayée durant près de deux heures et trente minutes qui paraissent parfois bien longues. Proche du cinéma d’un Werner Herzog – certains plans du voyage font inévitablement penser à Aguirre, la colère de Dieu – mais aussi de la rigueur janséniste d’un Carl Dreyer ou encore d’un Ingmar Bergman, Godland prend son temps pour décrire l’environnement austère qui finit par guider les pulsions des protagonistes. Notons que les références ci-dessus sont bien écrasantes et que, malgré son talent, Hlynur Pálmason n’égale pas vraiment ses maitres à filmer. Bien entendu, il est capable de dégoupiller des plans séquence rigoureux et bien construits, mais il joue parfois de manière maladroite avec la narration. Ainsi, il prolonge parfois inutilement certains plans avant d’effectuer plusieurs ellipses narratives qui risquent bien de paumer les spectateurs les moins attentifs.
© 2022 Snowglobe Films – Join Motion Pictures – Maneki Films – Garagefilm International – Film i Väst / Photos : Jour2Fête. Tous droits réservés.
Enfin, par son sujet même, Godland échoue à nous proposer des personnages vraiment intéressants. Tout occupé à composer ses plans – en format carré pour se conformer au style des daguerréotypes du 19ème siècle – Hlynur Pálmason oublie souvent de développer la psychologie de ses personnages. Ceux-ci n’évoluent guère durant le long-métrage et semblent incapables de faire un pas vers l’autre. Seul l’amour entre le prêtre (Elliott Crosset Hove, assez frustre) et la fille du maire local (Vic Carmen Sonne, très effacée) peut faire espérer une sortie de crise, mais cela ne débouche encore une fois que sur une impasse.
Godland, une œuvre ambitieuse présentée à Cannes
Film accablant sur l’échec de toute forme de colonisation et sur l’impossible fraternisation entre les peuples, Godland est donc une œuvre visuellement splendide, mais au service d’une ambiance aussi glaciale que les plaines islandaises en hiver. Le long-métrage peut donc séduire ou éconduire, en fonction du moment.
Présenté au Festival de Cannes 2022 dans la section Un Certain Regard, Godland aurait largement pu intégrer la compétition officielle. Finalement, le film est reparti avec le Grand Prix du jury de la Palm Dog pour célébrer le jeu très naturel du chien de berger. Un peu léger pour une œuvre qui sort tout de même des sentiers battus de la production mondiale.
Godland, un joli succès de l’art et essai
Sorti la même semaine que Le parfum vert (Nicolas Pariser), Godland est arrivé en deuxième position du box-office parisien à 14h le 21 décembre 2022, créant ainsi la surprise. Grâce à son score solide à Paris, le film islandais a pu réunir 16 000 cinéphiles dans 89 salles lors de ses cinq premiers jours en France. C’est pourtant l’étonnante stabilité du film cannois qui étonne malgré sa durée et son sujet apparemment peu attractif. Ainsi, Godland a continué à attirer un public régulier durant plusieurs semaines, parvenant même à dépasser les 100 000 tickets en six semaines d’exploitation.
Chaque semaine, la chute ne se situait que vers la vingtaine de pourcents. Ainsi, le film a terminé sa course à 115 406 entrées sur toute la France, ce qui en fait un beau succès du cinéma d’art et essai et une bonne affaire pour le distributeur Jour2Fête. Depuis, le métrage a été édité en DVD et même en blu-ray, preuve de son attrait auprès d’un public exigeant et cinéphile. Il le mérite assurément.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 21 décembre 2022
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© 2022 Snowglobe Films – Join Motion Pictures – Maneki Films – Garagefilm International – Film i Väst / Affiche : Jour2fête. Tous droits réservés.
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Hlynur Pálmason, Ingvar Sigurdsson, Elliott Crosset Hove, Vic Carmen Sonne, Jacob Lohmann
Mots clés
Cinéma islandais, Cinéma contemplatif, Les voyages au cinéma