Eraserhead (Labyrinth Man) : la critique du film (1980)

Fantastique, Expérimental | 1h29min
Note de la rédaction :
10/10
10
Eraserhead, tête à effacer, affiche 1980 , première sortie française

  • Réalisateur : David Lynch
  • Acteurs : Jack Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph, Jeanne Bates
  • Date de sortie: 17 Déc 1980
  • Nationalité : Américain
  • Titre original : Eraserhead
  • Titres alternatifs : Eraserhead (Tête à effacer) (première exploitation française) / Labyrinth Man (deuxième exploitation française) / Eraserhead (Labyrinth Man) (Titre VHS, 1982) / Cabeza borradora (Espagne) / No Céu Tudo É Perfeito (Portugal) / Głowa do wycierania (Pologne) / Eraserhead - La mente che cancella (Italie)
  • Année de production : 1977
  • Scénariste(s) : David Lynch
  • Directeurs de la photographie : Herbert Cardwell, Frederick Elmes
  • Compositeurs : Peter Ivers, David Lynch
  • Société(s) de production : American Film Institute (AFI), Libra Films
  • Distributeur (1ère sortie) : Targhets / Arspect (1980)
  • Distributeurs (reprise) : Phase IV / Diaphana (1994) / Potemkine Films (2017)
  • Dates de reprise : 6 juillet 1994 / 31 mai 2017
  • Éditeur(s) vidéo : VIP (VHS, 1982) / Film Office (VHS) / H2F (DVD, 2000) / M6 Vidéo (DVD, 2004) / MK2 (DVD, 2010) / Potemkine Films (DVD et blu-ray, 2017)
  • Date de sortie vidéo : 3 octobre 2017 (combo DVD / Blu-ray)
  • Box-office France / Paris-périphérie : Sortie initiale : 122 507 entrées France et 7 079 entrées Paris-périphérie / Reprise 1994 : 36 702 entrées (France) et 14 736 entrées (pp) / Reprise 2017 : 2 916 entrées (France en 7 semaines)
  • Box-office nord-américain : 7 M$ (32 M$ au cours du dollar ajusté en 2022)
  • Budget : 20 000 $ (920 000 $ au cours ajusté en 2022)
  • Rentabilité : -
  • Classification : Interdit aux moins de 16 ans.
  • Formats : 1.85 : 1 / Noir et Blanc / Son : Mono (initial), remixé par David Lynch en stéréo pour ses reprises
  • Festivals et récompenses : Antenne d'or au Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1978 / Nomination au prix du meilleur film, lors du festival Fantasporto en 1982
  • Illustrateur / Création graphique :
  • Crédits : © 1977 David Lynch. Tous droits réservés.
Note des spectateurs :

Premier délire sur pellicule de David Lynch, Eraserhead est un pur bijou visuel et sonore qui défie les lois de l’entendement pour livrer un cauchemar horrifique touché par la grâce.

Synopsis : Un homme est abandonné par son amie qui lui laisse la charge d’un enfant prématuré, fruit de leur union. Il s’enfonce dans un univers fantasmatique pour fuir cette cruelle réalité.

Une gestation dans la douleur durant cinq ans

Critique : Tout a été écrit sur la gestation complexe de ce premier long-métrage de David Lynch, tourné pour 20 000 dollars avec une équipe réduite uniquement lorsque l’argent permettait d’effectuer les prises de vues. Réalisé durant près de cinq ans, avec de longues interruptions, le film a ainsi vu se succéder deux chefs opérateurs et a bien failli ne jamais voir le jour à de nombreuses reprises, ce qui n’a jamais entamé la détermination de son auteur.

Sorti aux Etats-Unis en toute discrétion en mars 1977, Eraserhead a tenu l’affiche de quelques cinémas durant plusieurs années grâce à sa programmation au sein des Midnight Movies (séances spéciales de nuit réservées à un public averti), gagnant peu à peu le statut tant envié de film culte grâce à un bouche à oreille très favorable. A terme, le métrage a fini par rapporter la coquette somme de sept millions de billets verts, entamant en même temps une belle carrière internationale, favorisée ensuite par la sortie et le triomphe d’Elephant man (1980).

Eraserhead ou l’art du cauchemar sur pellicule

Il faut dire que tout David Lynch est déjà compris dans ce film séminal. On trouve déjà cette appétence pour les univers mentaux torturés, pour l’interpénétration entre rêve, réalité et cauchemar, ainsi que ce goût pour les textures visuelles et sonores. Marqué par un noir et blanc expressionniste qui renvoie directement aux films muets de Fritz Lang, Eraserhead évacue quasiment toute notion de dialogue au profit d’une ambiance sonore assourdissante, faite de bruits de machines vrombissantes, d’orages et de pluie diluvienne, ainsi que d’interférences électriques. On peut d’ailleurs parler de symphonie bruitiste tant le travail sur le son opéré par David Lynch et son complice Alan Splet est essentiel à l’immersion du spectateur dans le film.

Cette capacité à créer le malaise uniquement par la bande sonore se retrouvera par la suite dans toute la filmographie d’un cinéaste toujours tenté par l’horreur. Le malaise est ici également palpable par la présence d’éléments visuels décalés provoquant le dégoût : on pense notamment au repas avec les beaux-parents qui tourne au cauchemar avec ces petits poulets cuits qui dégagent un jus noir lorsqu’on les découpe, mais aussi à la présence de ce bébé monstrueux – et magnifiquement crédible – qui suscite l’aversion.

Eraserhead, reprise 1994, Pariscope

Les Archives CinéDweller Reprise 1994 (Diaphana) © 1977 David Lynch. Tous droits réservés.

Une œuvre rétive à toute forme de rationalisation

Si le cinéaste crée le trouble par la présence d’éléments grotesques, il ne lui faut pas plus qu’une parfaite gestion de la temporalité des plans pour provoquer l’étrangeté : un ascenseur met trop longtemps pour se fermer, les personnages restent avec des expressions de visage figées comme si le temps lui-même était suspendu et la plupart des plans s’éternisent apparemment inutilement, suscitant l’interrogation du spectateur. Sans cesse déstabilisant, Eraserhead est également rétif à toute forme d’explication rationnelle, telle une œuvre surréaliste.

Tout juste peut-on évoquer quelques pistes thématiques comme la déshumanisation dans un univers industriel aliénant, la peur suscitée par la filiation, l’opposition entre le devoir et le désir, mais aussi l’infanticide – thème fétiche repris plus tard dans Twin Peaks – Fire Walk With Me – ainsi que la volonté de s’évader vers un monde fantasmatique, loin de toute réalité triviale. Certains éléments peuvent également être rattachés à une forme de religiosité, comme ce personnage qui semble tirer les ficelles du monde tel un Dieu difforme ou encore la figure angélique de la femme du radiateur.

Un film culte au cours des décennies

Toutefois, ce qui marque véritablement le spectateur, c’est l’incroyable capacité de Lynch à susciter la peur avec bien peu de choses. Eraserhead est certes un film complexe, mais il peut avant toute chose se ressentir physiquement comme on le ferait la nuit face à un cauchemar semblant bien réel. Tous ceux qui adorent les délires incompréhensibles de Lynch dans Twin Peaks, Lost Highway ou encore Mulholland Drive doivent donc impérativement voir et revoir ce premier chef d’œuvre qui mérite amplement son statut de film culte.

Présenté pour la première fois en France au Festival américain de Deauville en septembre 1977, Eraserhead a ensuite été sélectionné au Festival d’Avoriaz en janvier 1978. Le film fait forte impression et obtient un prix spécial (Antenne d’or). Il est d’ailleurs programmé la même année que d’autres outsiders comme La dernière vague (Peter Weir) qui reçoit le Prix spécial du jury et Le cercle infernal (Richard Loncraine) qui est consacré par un Grand Prix fort mérité. On notera d’ailleurs que ces trois films ont eu des difficultés à trouver des distributeurs français, malgré les récompenses obtenues.

Eraserhead : retour sur la sortie française initiale

Pour Eraserhead, le chemin de croix fut long puisque le long-métrage ne débarque dans les salles que le 17 décembre 1980, et seulement dans deux salles parisiennes (La Clef et l’Olympic). Lors de sa première semaine, le chef d’œuvre de l’étrange regroupe 1 570 curieux dans ses deux salles. La septaine suivante, le film conserve ses deux cinémas et se maintient avec 1 112 adeptes d’un cinéma expérimental, puis 1 336 en 3ème semaine.

Par la suite, le métrage reste à La Clef, mais migre à L’Entrepôt, gardant ainsi des entrées stables en quatrième semaine, autour des 1 140 spectateurs. C’est en cinquième semaine que le film chute en-deçà des 1 000 spectateurs (860 pour être précis), toujours exposé dans les mêmes salles. Mais, preuve d’un réel bouche-à-oreille, le long remonte la pente en 6ème semaine en étant exposé à La Clef et au Hautefeuille (1 051 entrées). Au final, cette première exploitation se solde par 7 079 tickets vendus. Un résultat honorable pour un film sorti de nulle part.

Par la suite, le film est à nouveau exploité, mais cette fois-ci sous le titre Labyrinth Man, afin de profiter de la soudaine popularité de David Lynch lié au triomphe d’Elephant Man, sorti au printemps 1981.

Eraserhead ou Labyrinth Man ?

On retrouve d’ailleurs ce titre associé à Eraserhead sur les VHS qui commencent à circuler à partir de 1982 par les bons soins de VIP. L’histoire d’Eraserhead ne s’arrête toutefois pas là puisque le long-métrage a été repris en 1994 par le distributeur Diaphana, bénéficiant cette fois-ci d’une restauration sonore Dolby Stéréo, générant encore 36 702 entrées sur toute la France et 14 736 tickets à Paris et sa périphérie. Enfin, signalons que le métrage a fait l’objet d’une superbe restauration 4K qui a été exposée par le distributeur Potemkine Films en mai 2017 ( 2 916 spectateurs).

Sorti en même temps que la reprise de Twin Peaks – Fire Walk With Me (présent dans 36 cinémas de l’Hexagone), Eraserhead était programmé quant à lui sur 11 écrans (dont 2 à Paris) et a débuté sa carrière avec 682 retardataires sur la France pour son premier jour. Au total, cette reprise a encore attiré 2 916 spectateurs supplémentaires sur la France en sept semaines d’exploitation. Désormais, le film est disponible dans une superbe copie en blu-ray. Aucune hésitation à avoir puisque le visionnage multiple est recommandé pour tenter de percer les innombrables mystères de cette œuvre cryptique.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 17 décembre 1980

Acheter le film en DVD et Blu-ray sur le site de l’éditeur

Voir le film en VOD

Eraserhead, tête à effacer, affiche 1980 , première sortie française

Eraserhead, tête à effacer, affiche 1980 , première sortie française. Restauration exclusive CinéDweller © 1977 David Lynch. Tous droits réservés.

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Eraserhead, tête à effacer, affiche 1980 , première sortie française

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