Chef-d’œuvre absolu, Elephant Man bouleverse encore par la beauté de son histoire et l’incroyable maîtrise d’un réalisateur visionnaire.
Synopsis : Londres, 1884. Le chirurgien Frederick Treves découvre un homme complètement défiguré et difforme, devenu une attraction de foire. John Merrick, ” le monstre “, doit son nom de Elephant Man au terrible accident que subit sa mère. Alors enceinte de quelques mois, elle est renversée par un éléphant. Impressionné par de telles difformités, le Dr. Treves achète Merrick, l’arrachant ainsi à la violence de son propriétaire, et à l’humiliation quotidienne d’être mis en spectacle. Le chirurgien pense alors que ” le monstre ” est un idiot congénital. Il découvre rapidement en Merrick un homme meurtri, intelligent et doté d’une grande sensibilité.
Au départ, une commande pour le jeune David Lynch
Critique : Au cours des années 70, Christopher De Vore et Eric Bergren, deux étudiants en cinéma tombent sur l’histoire vraie de John Merrick racontée par Frederick Drimmer dans son ouvrage Very Special People sorti en 1973. Aussitôt fascinés par la vie de cet homme difforme, les deux complices ont écrit un scénario intitulé The Elephant Man. Ce script tombe justement entre les mains du comique Mel Brooks qui envisage de fonder sa propre société de production, la Brooksfilms. Désireux de ne pas se laisser enfermer dans son créneau de la comédie burlesque, Mel Brooks souhaite justement financer un projet audacieux et original.
A la même époque, le cinéaste David Lynch survit comme il peut en attendant des jours meilleurs. Il a effectivement mis longtemps à accoucher en toute indépendance de son premier long-métrage, le très étrange Eraserhead (1977) qui lui a demandé cinq ans de travail. Il cherche à cette époque à faire produire son script de Ronnie Rocket qui ne trouve pas preneur. Sur la suggestion de ses partenaires financiers, Mel Brooks contacte alors David Lynch pour lui proposer de réaliser cet Elephant Man qui est donc, au départ, une commande.
Lynch instaure une étrangeté, bien loin de tout académisme
Dès le moment où David Lynch a été engagé, Mel Brooks l’a soutenu dans toutes ses démarches, lui laissant les coudées franches jusque sur la table de montage. Après de multiples réécritures du script, Elephant Man pouvait enfin être tourné, avec à son casting deux pointures comme John Hurt et Anthony Hopkins (mais encore peu connus du grand public), ainsi que l’épouse de Mel Brooks, la grande Anne Bancroft.
Alors que David Lynch s’empare d’un sujet qui pouvait dériver vers le biopic académique, il y installe immédiatement une étrangeté qui est alors sa marque de fabrique. A l’aide du directeur de la photographie et cinéaste Freddie Francis, il déploie un magnifique noir et blanc qui nous renvoie immédiatement à la grande époque du cinéma muet. Toutes les séquences qui se déroulent dans les bas-fonds rappellent ainsi les œuvres magnifiques de Tod Browning, grande référence du cinéaste. Pour mémoire, le maître des années 20-30 n’a pas réalisé que Freaks – la monstrueuse parade (1932), mais aussi tout un cortège de films muets où il prenait fait et cause pour les « monstres ».
De l’empathie, encore de l’empathie!
On retrouve cette caractéristique dans Elephant Man. Le spectateur est d’abord mis en condition par le réalisateur pour être effrayé par la difformité du personnage. Comme à son habitude, Lynch sature la bande-son de bruits de machineries industrielles qui rendent l’atmosphère anxiogène et étouffante.
Pourtant, la très grande force du réalisateur est de parvenir à nous faire aimer ce personnage qui, derrière son aspect repoussant, s’avère d’une très grande sensibilité. Souvent rattaché au domaine de l’enfance, John Merrick est une âme pure qui a souffert le martyr en étant exposé comme un vulgaire animal dans des foires. Battu comme plâtre par son propriétaire, il est ensuite pris sous la protection du docteur Treves (magistral Anthony Hopkins) qui lui révèle l’existence d’un autre monde.
Le voyeurisme, sous toutes ses formes…
Le brio des auteurs est d’avoir su opposer, puis rapprocher deux catégories sociales distinctes. Si les pauvres sont absolument odieux avec Merrick qu’ils exposent sans vergogne pour de l’argent, les aristocrates font de même sous couvert de civilité. Le docteur peut ainsi exposer le corps difforme de Merrick dans les plus grandes académies scientifiques et en tirer une certaine gloire. Ainsi, derrière l’apparente gentillesse de ces aristocrates, derrière ces amabilités et ces petits fours, se dissimule une autre forme d’exploitation fondée sur le voyeurisme. L’intelligence de David Lynch est de ne jamais intellectualiser cette thématique et de rester à hauteur du sensible. Elephant Man n’est ainsi jamais démonstratif alors qu’il traite d’un sujet aussi pontifiant que le droit à la différence.
Cette absence de discours incantatoire et cette volonté de rester en constante empathie avec le personnage principal font de cette œuvre un modèle de mélodrame. Le spectateur ne se sent jamais obligé de verser une larme par la rouerie d’un cinéaste doué. Il pleure, tout simplement. Parce que Lynch parvient à mettre en exergue ce qui fait de nous tous des êtres humains, doués de sensibilité. Aidé par l’emploi du magnifique Adagio de Barber (déprime assurée), il livre ici une œuvre à la fois brillante sur le plan formel et thématique.
Un classique restauré en 4K à voir sur grand écran ou en blu-ray UHD
Gros succès à sa sortie aux Etats-Unis, le long-métrage a obtenu huit nominations aux Oscars, mais est reparti bredouille face à Des gens comme les autres (Redford, 1980). En France, Elephant Man n’est parvenu sur les écrans qu’en avril 1981, rencontrant toutefois un énorme écho. Avec plus de 2,4 millions de spectateurs en larmes, le deuxième film de David Lynch s’est hissé à la douzième place du podium annuel. Il s’agit de son plus gros succès public dans nos contrées jusqu’à nos jours.
Le film fait depuis l’objet d’un véritable culte et est considéré à juste titre comme un classique du cinéma que les spectateurs vont pouvoir retrouver dans les salles prochainement, ainsi qu’en blu-ray UHD 4K. A vos mouchoirs !