Moins un film érotique qu’une œuvre sur le désir, Emmanuelle cuvée 2024 fait preuve d’une belle sensualité, tout en réfléchissant de manière pertinente à la recherche du plaisir qui étreint chaque être humain. Une réussite, n’en déplaise à beaucoup.
Synopsis : Emmanuelle est en quête d’un plaisir perdu. Elle s’envole seule à Hong Kong, pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei, un homme qui ne cesse de lui échapper.
Un phénomène typique de la libération sexuelle des années 70
Critique : Fin des années 50, l’éditeur Eric Losfeld publie clandestinement un roman érotique au doux nom d’Emmanuelle, sans auteur et encore moins d’éditeur officiel mentionnés. Le livre, très osé dans sa description des fantasmes d’une femme, n’a été autorisé que bien plus tard, une fois la censure plus permissive. On a donc appris qu’il était signé d’une certaine Emmanuelle Arsan, pseudonyme de Marayat Rollet-Andriane, la femme du diplomate Louis-Jacques Rollet-Andriane. D’ailleurs, la plupart des témoins de l’époque insistent sur le fait que le roman aurait en réalité été rédigé par Louis-Jacques Rollet-Andriane, mais que celui-ci ne pouvait pas assumer la publication d’un tel ouvrage au vu de ses fonctions internationales.
Si le livre a marqué les esprits au cours de la libération sexuelle des années 70, son adaptation cinématographique a confirmé son pouvoir de séduction. Ainsi, Emmanuelle (Just Jaeckin, 1974) est devenu un phénomène planétaire par son succès monstre. Resté plus de dix ans à l’affiche sur les Champs-Elysées, le long-métrage qui a révélé au monde entier la sensible Sylvia Kristel a aussi accouché d’un nombre conséquent de suites généralement ratées et même d’une vague impressionnante de copies (on pense bien entendu à la saga des Black Emanuelle, avec un seul M s’il vous plaît, de ce bon vieux Joe d’Amato).
Une nouvelle adaptation très libre du roman d’origine
Phénomène typique d’une époque de libération sexuelle, Emmanuelle a depuis été largement oubliée par les plus jeunes générations. Pour preuve, l’actrice Noémie Merlant a récemment déclaré qu’elle n’avait jamais entendu parler du film et encore moins du livre lorsqu’on lui a proposé le projet. De son côté, la réalisatrice Audrey Diwan a préféré ne pas visionner le film d’origine afin de ne pas être influencée et de demeurer plus proche de son propre projet qui était de créer une adaptation moderne du livre.
Comme ce dernier n’est qu’un recueil de fantasmes plus ou moins construits, Audrey Diwan s’est associée à Rebecca Zlotowski pour écrire un script qui correspond à la fois à l’ambiance du roman, tout en y injectant des thématiques qui les intéresse. Ici, le spectateur est donc invité à suivre les aventures sexuelles d’une femme à la situation bien établie. Chargée de contrôler la qualité d’un hôtel de luxe par la maison-mère, Emmanuelle est une femme mûre qui a su construire sa vie professionnelle et qui demeure en totale maîtrise d’elle-même.
Emmanuelle, gigantesque métaphore de l’ultra moderne solitude
Son personnage est certes présenté comme une femme libre, en ce sens qu’elle peut connaître des aventures sans lendemain, mais elle n’y prend visiblement aucun plaisir. Interprétée par Noémie Merlant, par ailleurs une excellente actrice, le personnage d’Emmanuelle se retrouve écartelé entre un désir réel d’émancipation et une volonté de rester dans le contrôle d’elle-même et de son entourage. Cette contradiction éclate magnifiquement lors de quelques dialogues qui montrent la solitude extrême de cette femme qui s’est construit une carapace pour mieux affronter le monde extérieur.
En réalité, Emmanuelle 2024 peut être vu comme un long film métaphorique, l’hôtel où elle se terre représentant la carapace du personnage, tandis que l’homme qu’elle ne cesse de croiser (intrigant Will Sharpe) peut être vu comme l’incarnation du désir. D’ailleurs, ce protagoniste existe-t-il véritablement ? N’est-il pas plutôt une émanation de l’esprit contradictoire de cette femme en recherche d’elle-même ?
La quête du plaisir, sous toutes ses formes
Bien plus qu’un film érotique à vocation masturbatoire, Emmanuelle version 2024 est donc une œuvre cérébrale sur la quête du désir et du plaisir. Pour cela, Audrey Diwan ose la dilatation du temps et prolonge l’attente pour faire naître chez le spectateur une tension qui s’avère être érotique. Ainsi, les véritables scènes chaudes sont peu nombreuses au cœur du film puisque le but est justement de susciter l’excitation non par l’exposition des chairs, mais par ce que le spectateur imagine. Voilà pourquoi certains reprochent au long métrage d’être vide sur le plan narratif. Ils n’ont surtout pas fait l’effort de voir au-delà de l’aspect chic de la production pour en analyser les tenants et aboutissants.
Lire Histoires d’Emmanuelle
Film sur le désir féminin qui n’exclut pas les hommes – car ils sont également sensibles à la sensualité et à la tension sexuelle – Emmanuelle est surtout un bel objet cinématographique en ce sens qu’Audrey Diwan a soigné sa réalisation. Sa caméra s’épanouit dans les couloirs de l’hôtel de luxe, caresse les murs, les objets et ses acteurs pour orchestrer une danse sensuelle fort réussie. Avec la complicité d’Antoine Mercier au son, la réalisatrice a eu à cœur de soigner l’emballage esthétique de son film. Chaque petit son a été magnifié pour créer une sensorialité érotique. Dès lors, le personnage semble redécouvrir avec délice l’importance de ses cinq sens.
Une œuvre à la douce atmosphère ouatée, comme un fantasme lancinant
Sont sollicités le toucher, le goût, mais aussi et surtout l’audition, avec des atmosphères ouatées quasi fantomatiques qui sont l’apanage des fantasmes les plus puissants. Dans Emmanuelle, même la pluie s’écoulant sur une vitre devient en quelque sorte érotique. C’est clairement la plus belle réussite d’Audrey Diwan que d’avoir remis au goût du jour la sensualité au cœur d’une sexualité qui n’a rien de pornographique ou de culpabilisante. Elle le fait avec goût, soutenue par l’excellente prestation de Noémie Merlant, et de l’ensemble du casting international.
Au niveau de la musique, le duo formé par Evgueni et Sacha Galperine ne démérite pas avec une bande-son qui souligne finement l’érotisme des situations. Certes, on peut regretter l’absence d’un thème facilement identifiable (comme autrefois la très belle ballade de Pierre Bachelet), mais l’ensemble se marie bien avec le projet général.
Vers un échec commercial cinglant ?
Sorti en grande pompe le mercredi 25 septembre 2024, Emmanuelle semble être un véritable accident industriel dès son démarrage. Visiblement, personne ne semble être intéressé par ce revival qui n’entretient que peu de rapport avec le film de 1974. Le long-métrage qui aurait coûté la bagatelle de 23 millions d’euros – on se demande pourquoi une telle somme tout de même – est entré seulement en troisième position des nouveautés du jour. Pire, dans la capitale, qui devrait pourtant être son marché porteur, le film a déjà dégringolé à la 13ème position du box-office en seulement quatre jours d’exploitation. A ce niveau, cela ressemble fort à un accident industriel. Le film ne vaut pourtant pas un tel opprobre.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 septembre 2024
Biographies +
Audrey Diwan,Carole Franck, Naomi Watts, Noémie Merlant, Will Sharpe, Jamie Campbell Bower
Mots clés
Films érotiques, Films féministes, Portrait de femme