Porté par un concept malin qui dézingue notre société contemporaine, Dream Scenario manque sans doute d’une réalisation inventive pour pleinement convaincre. Nicolas Cage y retrouve toutefois une crédibilité artistique.
Synopsis : Paul Matthews, un banal professeur, voit sa vie bouleversée lorsqu’il commence à apparaître dans les rêves de millions de personnes. Paul devient alors une sorte de phénomène médiatique, mais sa toute nouvelle célébrité va rapidement prendre une tournure inattendue…
Dream Scenario, un projet validé par Ari Aster
Critique : En 2018, le cinéaste norvégien Kristoffer Borgli découvre l’existence de ce qui ne s’appelle pas encore la cancel culture aux Etats-Unis. Il suit notamment sur internet le destin de certains professeurs d’université contraints de démissionner à la suite des plaintes d’étudiants qui se liguaient contre eux pour diverses raisons, souvent absurdes. Ce phénomène l’a intrigué au point d’écrire le script de Dream Scenario qui évoque cette problématique sous l’angle de la satire fantastique, rejoignant au passage ses préoccupations personnelles qu’il allait également développer dans son long métrage Sick of Myself (2022).
© 2023 A24, Square Peg, Quebec Film and Television Tax Credit / Photo : Mtrepolitan Filmexport. Tous droits réservés.
Si le cinéaste Ari Aster avait pris une option sur le script de Dream Scenario pour le développer en tant que réalisateur avec dans le rôle principal Adam Sandler, la vision de Sick of Myself lui a fait prendre conscience des qualités de cinéaste de Kristoffer Borgli. Dès lors, Aster choisit d’abandonner la réalisation à son auteur et de n’être plus que producteur, tandis que lui-même allait développer en parallèle son propre projet totalement dingue, à savoir Beau Is Afraid (2023), à la parenté parfois troublante.
Une histoire conceptuelle qui demeure sans explication rationnelle
Désormais produit par la firme indépendante américaine A24, Kristoffer Borgli préfère proposer le rôle principal à Nicolas Cage, acteur revenu en odeur de sainteté depuis quelques temps grâce à plusieurs longs métrages plus ambitieux (Mandy, Pig, Renfield et Longlegs). Ces rôles tentent d’effacer une errance de près de deux décennies dans des productions indignes où le talent de l’acteur s’est dilué dans la surenchère et le cabotinage le plus éhonté. Pour Dream Scenario, le comédien n’a pas hésité à se transformer physiquement une nouvelle fois afin de se donner l’allure d’un obscur professeur de fac qui n’intéresse personne avec ses travaux sur la biologie animale. Sa prestation en Monsieur-tout-le-monde est d’ailleurs à saluer puisqu’il n’en fait pas trop et demeure donc dans les limites imposées par le rôle.
Décrivant la vie sans éclat d’une famille lambda durant les dix premières minutes, Dream Scenario s’inscrit ensuite dans toute une lignée du cinéma que l’on pourrait appeler à High Concept. Du jour au lendemain, et sans aucune explication rationnelle, le simple prof de fac anonyme se retrouve inclus dans les rêves de la plupart de la population mondiale. Un concept qui rappelle des films délirants comme The Truman Show (Peter Weir, 1998), Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze, 1999) ou plus récemment Beau Is Afraid (Ari Aster, 2023).
Une satire sociale qui vise la cancel culture
On retrouve ici aussi un des thèmes majeurs de Sick of Myself, avec ce passage soudain de l’anonymat le plus total à une viralité issue des réseaux sociaux. Car le professeur en question devient célèbre du jour au lendemain. Désormais approché par les publicitaires et les maisons d’édition, le prof banal devient une star courtisée, ce qui n’est pas sans conséquences pour son quotidien. Ici, Kristoffer Borgli s’amuse à dézinguer la société contemporaine uniquement fondée sur le buzz. La satire n’est pas fine, mais elle porte des coups bienvenus à un système absurde devenu mondial.
Toutefois, le long métrage essentiellement comique dans sa première partie prend petit à petit des atours plus dramatiques lorsque, sans raison apparente, les rêves des quidams se métamorphosent en cauchemars où le prof les assassine systématiquement. Dès lors, la star virale devient du jour au lendemain persona non grata. Cette seconde partie, plus dramatique, rejoint le point de départ initial du scénario et aborde le phénomène terrible de la cancel culture. Redouté de tous, le prof est d’abord mis à l’écart de son travail, mais aussi de sa famille, et enfin ne peut plus vraiment sortir de chez lui sans être conspué. L’idée rejoint ainsi celle de l’étrange film français Vincent doit mourir (Stéphan Castang, 2023) avec Karim Leklou.
Réalisation trop sage pour sujet ambitieux
En tant que Norvégien, Kristoffer Borgli dénonce donc un phénomène culturel typiquement américain qui ne cesse de s’étendre sur le plan mondial telle une épidémie. Il s’agit ici d’une guerre culturelle où tous ceux qui n’entrent pas dans le moule puritain sont « effacés » du jour au lendemain. Cette chasse aux sorcières moderne qui confine à l’inquisition est donc dénoncée avec force dans cette comédie fantastique pas si amusante que cela.
© 2023 A24, Square Peg, Quebec Film and Television Tax Credit / Photo : Mtrepolitan Filmexport. Tous droits réservés.
D’ailleurs, malgré la présence de quelques scènes de rêves assez originales, on peut regretter le manque d’ambition visuelle de Kristoffer Borgli, ce qui était déjà la limite de son œuvre précédente. Sa réalisation demeure assez classique et ne sublime jamais un script qui est pourtant très malin. Il s’agit du principal défaut de cette œuvre agréable à suivre, mais qui aurait sans aucun doute mérité un autre réalisateur. Au hasard, Ari Aster.
Des critiques positives, mais un accueil glacial en salles
Distribué aux Etats-Unis au mois de novembre 2023 sur 1 578 écrans, Dream Scenario n’a guère passionné les foules avec un résultat final de 5 738 650 $ pour un budget initial estimé à 10 millions de dollars. A l’international, le Royaume-Uni lui a offert un million de dollars supplémentaire, tandis que la France est son troisième marché mondial.
Pourtant, on est loin d’un succès tant le film distribué chez nous par Metropolitan Filmexport a déçu malgré des critiques plutôt positives. Présenté dans 104 salles à la toute fin décembre 2023, Dream Scenario n’a passionné que 39 227 amateurs d’étrangetés lors de sa semaine d’investiture, plaçant le long métrage à la 18ème place du box-office hebdomadaire. Il s’agit clairement d’une contre-performance qui s’est confirmée durant les deux premières semaines du mois de janvier où le métrage a chuté trop rapidement pour imposer un bouche à oreille positif. Le métrage disparaît après deux petits mois à l’affiche avec seulement 83 527 entrées à son compteur. Pourtant, il ne manquait pas d’atouts dans sa manche. Dream Scenario est désormais visible en DVDS, blu-ray et VOD.
Critique de Virgile Dumez
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© 2023 A24, Square Peg, Quebec Film and Television Tax Credit / Affiche : BLT Communications, LLC. Tous droits réservés.
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Kristoffer Borgli, Michael Cera, Nicolas Cage, Amber Midthunder, Noah Centineo, Lily Bird, Jessica Clement, Julianne Nicholson
Mots clés
Cinéma indépendant américain, Comédie décalée, Les réseaux sociaux au cinéma, Les films A24