Métaphore d’un monde gagné par la violence gratuite, Vincent doit mourir installe une atmosphère originale, avant de se réorienter vers une histoire d’amour moins passionnante. La tension, elle, est plutôt bien gérée.
Synopsis : Du jour au lendemain, Vincent est agressé à plusieurs reprises et sans raison par des gens qui tentent de le tuer. Son existence d’homme sans histoires en est bouleversée et, quand le phénomène s’amplifie. Il n’a d’autre choix que de fuir et de changer son mode de vie.
De l’art de créer un climat paranoïaque
Critique : A l’origine de Vincent doit mourir se trouve un scénario de Mathieu Naert que son auteur a développé en 2017 lors de la résidence Sofilm de genre, grâce au soutien de Nicolas Peufaillit. Ce sont finalement les sociétés Wild Bunch et Capricci qui se sont portées acquéreuses du scénario et qui l’ont proposé au cinéaste Stéphan Castang, surtout connu pour ses courts métrages et son travail théâtral. Il faut dire que la rencontre entre le réalisateur et son scénariste ne pouvait qu’être enthousiasmante puisque les deux cinéphiles partagent une passion commune pour trois cinéastes qu’ils citent à l’unisson : John Carpenter, George A. Romero et Luis Buñuel.
Et effectivement, dès les premières minutes de Vincent doit mourir, on sent l’influence majeure de Romero et notamment de sa Nuit des morts-vivants (1968). Ainsi, les auteurs ont eu à cœur de plonger le héros – et le spectateur à sa suite – dans une situation fantastique inexpliquée et qui restera en grande partie mystérieuse. Du jour au lendemain, tout le monde se met à agresser Vincent, toujours très juste Karim Leklou, que ce soit au bureau, dans la rue ou dans son voisinage proche. Un seul regard et la furie meurtrière se déclenche, faisant de cet homme banal, développeur dans la publicité, un paria.
Une pointe d’ironie très perceptible
L’empreinte de John Carpenter, elle, se trouve essentiellement dans la description d’un monde capitaliste en décomposition où les individus sont de plus en plus isolés, ainsi que par la touche électronique de l’excellente partition musicale signée John Kaced. Enfin, l’influence de Luis Buñuel se trouve essentiellement dans le ton ironique employé tout le long du film, avec une forme de distanciation qui contraste fortement avec les événements qui se déchaînent autour du protagoniste.
A travers Vincent doit mourir, les auteurs évoquent plusieurs éléments sociétaux majeurs de ces dernières années, encore accentués depuis la crise de la Covid-19. Ainsi, le métrage montre la solitude de plus en plus grande d’individus qui se retranchent du reste du monde. Chacun finit par rester à l’abri derrière son ordinateur à échafauder des théories plus ou moins complotistes. Dès lors, quand Vincent décide de se retirer du monde pour éviter d’être agressé, il se lie d’amitié avec le groupe internet des Sentinelles. On peut y voir une référence aux mouvements complotistes, mais également au développement récent des survivalistes.
Vincent doit mourir agite les peurs irrationnelles autour de l’insécurité
A cela, il faut ajouter le constat d’un sentiment de violence constante et gratuite qui frapperait de manière aveugle. Ce sentiment d’insécurité ou d’ensauvagement, comme le soulignent certaines personnalités plutôt encartées à droite, est tout aussi irrationnel que le film lui-même et compose le portrait d’une société française qui crée elle-même son propre malaise. Sans se faire pamphlétaire, Vincent doit mourir traite donc de tous ces sujets d’actualité en utilisant les ficelles classiques du film de genre comme on peut le voir habituellement dans les invasions de zombis ou de virus.
Le long métrage commence donc par poser les bases de son high concept avec une suite de séquences inquiétantes qui évoluent sans cesse entre thriller horrifique et comédie grinçante. Puis, l’ensemble se mue progressivement en une histoire d’amour improbable entre le paria et une serveuse qui ne semble pas atteinte du mal commun, jouée par une excellente Vimala Pons. Enfin, le point d’orgue du film intervient lorsque l’ensemble de la population semble contaminée par ce vent de violence, ce qui débouche sur une scène apocalyptique sur une route de province où le pugilat est général.
Un film qui manque de point d’orgue
Alors que l’exposition est particulièrement réussie et intrigante, certains développements narratifs peuvent laisser davantage dubitatifs. Ainsi, on a du mal à comprendre réellement les tenants de cette histoire d’amour si ce n’est qu’elle réunit deux paumés de l’existence et leur offre en quelque sorte une seconde chance. En fait, Vincent doit mourir souffre sans aucun doute d’un excès de confiance de la part des auteurs en la puissance de leur intrigue. Il fallait sans doute couper quelques séquences inutiles et parvenir à terminer le film sur un épisode plus marquant et significatif. Il lui manque assurément une dernière image forte ou iconique, comme autrefois les grandes œuvres fantastiques des années 70.
Il faut dire que la réalisation de Stéphan Castang, plutôt efficace dans l’ensemble, manque tout de même de brio sur le plan formel. Certes, il réussit quelques séquences mémorables comme celle de l’affrontement avec le facteur dans la fosse septique ou encore celle de l’agression par la foule en furie sur le parking du supermarché, mais cela est un peu court sur une telle durée.
Une sortie discrète dans les salles
Pas de quoi éconduire les amateurs de fantastique qui trouveront ici une œuvre française ambitieuse et originale, portée par deux comédiens formidables. Sorti dans les salles le mercredi 15 novembre 2023, Vincent doit mourir a affronté ce même jour la concurrence d’un autre film de genre français, à savoir Gueules noires (Mathieu Turi). Le premier a bénéficié de sept écrans dans la capitale et d’un résultat de 316 entrées à Paris sur la séance de 14h.
Pour sa première semaine sur l’ensemble de la France, le film fantastique doit se contenter de 23 621 spectateurs, puis de 11 148 retardataires en deuxième septaine. Finalement, en huit semaines, le métrage double ses entrées initiales et tutoie les 50 000 tickets. Notons d’ailleurs que Gueules noires s’est arrêté à peu près au même niveau, preuve que le cinéma de genre français n’est décidément pas prophète en son propre pays.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 15 novembre 2023
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Stéphan Castang, François Chattot, Karim Leklou, Vimala Pons, Stéphan Castang
Mots clés
Cinéma fantastique français, Cinéma de genre français, Premier film, Survival, Semaine de la Critique de Cannes 2023