Film choc sur l’enfer de la drogue, El Pico (ou Dose mortelle en VHS) est le plus gros succès du cinéma quinqui par son efficacité redoutable et la puissance qui émane de ses images. Une belle réussite du genre.
Synopsis : La dérive opiacée de deux jeunes amis, Paco et Urko, respectivement fils d’un commandant de la Garde civile et d’un militant nationaliste.
La liberté… ou la vie
Critique : A la fin des années 70, l’Espagne est en pleine transition démocratique, essayant d’oublier les méfaits de la dictature franquiste en se jetant à corps perdu dans une liberté chèrement acquise. Malheureusement, ce sentiment de liberté s’est accompagné de dérives lorsque la jeunesse du pays s’est retrouvée désœuvrée par un chômage de masse. Dès lors, une partie d’entre elle est tombée dans la drogue qui a commencé à affluer. Afin de se payer leur dose, les jeunes ont sombré pour beaucoup dans la délinquance. C’est ce phénomène sociétal, ajouté à l’essor des banlieues, qui explique le développement à la même période du cinéma quinqui (qui signifie, par extension, marginal).
Outre José Antonio de la Loma qui a initié le genre, le cinéaste le plus impliqué est sans aucun doute Eloy de la Iglesia qui a signé tout un cycle de films autour des thèmes de la délinquance, de l’homosexualité et de la drogue. Un cocktail bien sulfureux qui a permis aux films Navajeros (1980) et Colegas (1982) d’être des beaux succès en Espagne. Toutefois, le long-métrage le plus célèbre de ce corpus est sans aucun doute El Pico (1983) du fait de son retentissement à sa sortie. Effectivement, il fut le plus gros succès du cinéaste avec plus de 1,3 million d’euros de recettes (transposition des recettes alors en pesetas), précipitant même la création d’une suite justement intitulée El Pico 2 dès l’année suivante.
El Pico plonge dans L’enfer de la drogue
Il faut dire qu’Eloy de la Iglesia frappe fort avec El Pico puisqu’il aborde cette fois-ci de manière frontale le problème de l’addiction à la drogue. La situation était d’autant plus dramatique que le réalisateur et ses jeunes acteurs, dont le toujours excellent José Luis Manzano, étaient eux-mêmes sous l’influence de l’héroïne durant les tournages de ces œuvres sulfureuses. Toutefois, il est important de signaler qu’avec El Pico (1983), Eloy de la Iglesia semble rechercher un succès commercial plus franc en laissant de côté certaines de ses provocations habituelles. Certes, il dénude une ou deux fois ses jeunes acteurs et il évoque la sexualité des adolescents de manière un peu voyeuriste, mais rien qui se rapproche de ses films précédents, bien plus osés en la matière.
En cela, El Pico établit une sorte de synthèse entre les précédents films quinqui du cinéaste et ses œuvres plus politiques comme El Sacerdote (1978) ou El diputado (1978). On retrouve bien l’idée de suivre des jeunes gens durant leur descente dans l’enfer de la drogue, mais il assortit son propos d’éléments politiques plus marqués. Ainsi, l’un des drogués est issu d’une famille modeste dont le père est un représentant de la guardia civil (excellent José Manuel Cervino, tout en rigueur autoritaire), tandis que l’autre est le fiston d’un homme politique nationaliste basque, plutôt de gauche. En fait, Eloy de la Iglesia tente ici de résumer la société espagnole en faisant se rapprocher – à cause des circonstances – deux tendances a priori irréconciliables.
El Pico, film dur, mais jamais glauque
Dès lors, l’ancien franquiste qui supporte mal l’arrivée de la démocratie devra s’allier avec le nationaliste indépendantiste de gauche afin de tenter de sauver leur progéniture. Finalement, Eloy de la Iglesia propose dans El Pico une forme de réconciliation quand il s’agit de lutter contre un fléau tel que la drogue. Toutefois, le cinéaste ne se fait pas moraliste. Il ne condamne pas ces jeunes qui se jettent à corps perdu dans la drogue, mais il les montre davantage comme des victimes d’adultes qui ne les comprennent pas et ne leur offrent aucune porte de sortie convenable.
Si l’ambiance du film est globalement sombre et que le cinéaste insiste parfois un peu trop longuement sur les piqûres dans le bras, Eloy de la Iglesia parvient à ne pas sombrer dans le glauque pur et dur. Il signe tout de même un certain nombre de séquences fortes que l’on n’oublie pas facilement. Ainsi, lorsque le couple de junkies révèle que leur bébé est accro à la drogue à cause de la consommation de sa mère durant sa grossesse et que ceux-ci n’ont d’autre choix que de l’endormir à l’aide de poudre blanche, cela laisse songeur.
Un énorme succès espagnol, seulement exploité en VHS en France
Mais le cinéaste offre aussi quelques éclairs d’espoir, notamment à travers le personnage du sculpteur homosexuel interprété avec talent par l’impeccable Enrique San Francisco. Même si l’artiste aime visiblement beaucoup les jeunes hommes, il fait preuve d’une réelle empathie envers les jeunes héros du film et apparaît donc comme l’un des rares personnages sympathiques d’une œuvre assez radicale, pleinement en phase avec sa période de création. Monté de manière à ne laisser jamais le spectateur souffler, El Pico fait preuve d’une réelle efficacité narrative et d’une belle maîtrise dans sa réalisation. On peut toutefois regretter l’emploi d’une musique alternativement inquiétante et franchement bis dans son thème principal.
Le film-choc s’est donc progressivement imposé comme un petit classique du cinéma populaire espagnol, au point d’être régulièrement rediffusé à la télévision ibérique. En France, il s’agit de l’un des rares films du réalisateur à avoir eu droit à une sortie en VHS chez le petit éditeur World Vidéo, apparemment spécialisé dans l’exploitation de titres espagnols puisqu’il contient à son – court – catalogue des films de Léon Klimovsky et d’Amando de Ossorio. Le film est donc sorti en vidéo sous le titre Dose mortelle en 1986. Depuis, il a eu droit à une présentation en salles lors de rétrospectives du cinéma d’Eloy de la Iglesia, souvent sous le titre L’enfer de la drogue. Enfin, il est aujourd’hui proposé en support DVD et blu-ray par Artus Films au sein du coffret quinqui édité au mois de septembre 2023.
Critique de Virgile Dumez
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Eloy de la Iglesia, José Luis Manzano, Enrique San Francisco, José Manuel Cervino
Mots clés
Cinéma quinqui, La drogue au cinéma, Les délinquants au cinéma, La prostitution au cinéma