Dénonciation d’une société aristocratique décadente, Un papillon aux ailes ensanglantées est un giallo correct qui flingue le patriarcat à l’œuvre en Italie au début des années 70. Inégal, mais intéressant.
Synopsis : Un journaliste et animateur de télévision renommé de Bergame, Alessandro Marchi, est accusé du meurtre d’une étudiante française, Françoise Pigault, retrouvée dans un parc, lardée de cinq coups de couteau. Bientôt, des preuves accablantes conduisent à son arrestation. À la suite d’un procès fertile en rebondissements, Alessandro est reconnu coupable, puis incarcéré. Mais l’enquête est relancée lorsqu’une prostituée est assassinée. Une exécution identique à celle de l’étudiante…
Un giallo produit dans la foulée des succès de Dario Argento
Critique : En 1970, le réalisateur Duccio Tessari, jusque-là surtout connu pour ses westerns, se lance dans le polar avec le traditionnel La mort remonte à hier soir (1970) avec Raf Vallone. Entre-temps, un certain Dario Argento bouscule le genre et connaît un triomphe instantané avec deux gialli intitulés L’oiseau au plumage de cristal (1970) et Le chat à neuf queues (1971). Très réactifs, Duccio Tessari et son coscénariste Gianfranco Clerici livrent un script qui pourrait rejoindre par certains aspects le giallo et le film est tourné dans la foulée. Même s’il y a bien la présence d’un bijou en forme de papillon au sein du film, son titre original (traduit littéralement par la version française Un papillon aux ailes ensanglantées) se dote d’une référence animalière pour surfer opportunément sur le succès des thrillers d’Argento.
Pourtant, à y regarder de plus près, Cran d’arrêt – son titre d’exploitation belge, visiblement utilisé aussi dans quelques provinces françaises proches de la frontière pour une sortie très limitée – n’a pas grand rapport avec le giallo. Certes, on retrouve bien un tueur ganté de cuir avec arme blanche létale, mais celui-ci n’agit que trois fois durant tout le métrage, et à chaque fois hors champ. Point de stylisation des meurtres ou de tendance fétichiste chez Duccio Tessari que la mécanique meurtrière ne semble guère passionner. En réalité, Tessari préfère s’intéresser à l’enquête proprement dite durant la première demi-heure où il décrit par le menu le fonctionnement de la police scientifique. Une nouveauté à l’époque qui pouvait judicieusement intéresser le grand public, avide de savoir comment on traque un dangereux criminel.
Quand le giallo se mue en film de procès
Ensuite, le cinéaste se lance dans un film de procès tout à fait classique, même si le recours à des flashbacks vient dynamiser l’intrigue et relancer l’intérêt du spectateur. C’est d’ailleurs cette forme kaléidoscopique qui fait tout le sel de ce thriller, puisque le réalisateur se plaît à mêler passé et présent par le jeu d’un savant montage, parfois à la lisière du psychédélisme. Le but de Tessari semble dans un premier temps de démontrer que malgré la science déployée par la justice, la vérité échappe toujours aux enquêteurs et aux juges, faillibles en tant que simples êtres humains.
Par moments, le métrage semble s’orienter vers le thriller domestique à machination comme en tournait Umberto Lenzi dans les années 60, mais il s’agit encore d’une fausse piste. En fait, Un papillon aux ailes ensanglantées est rétif à une quelconque catégorisation puisque Duccio Tessari a surtout voulu livrer une satire à peine déguisée de la décadence d’une certaine aristocratie lombarde. Il montre également la toute puissance du patriarcat. L’homme est ici décrit comme un terrible prédateur sexuel, tandis que les femmes sont systématiquement des victimes. Une thématique finalement très moderne et qui trouvera assurément écho auprès du public contemporain.
La culture du viol selon Duccio Tessari
Violeur par nature, l’homme s’en prend ici aux femmes mûres, mais aussi à leurs jeunes filles, sans tenir compte de leur âge. Tessari, loin de ne stigmatiser que le meurtrier, s’en prend à l’ensemble d’un fonctionnement sociétal fondé sur le machisme et la domination masculine sans partage. Certes, le film manque singulièrement de nuances, mais il permet de décrire avec force une société italienne gangrenée par la corruption et la concupiscence, le tout sous couvert de pureté religieuse.
Un papillon aux ailes ensanglantées bénéficie du cadre chatoyant de la ville de Bergame qui semble comme hors du temps par l’excellente conservation de son vieux centre-ville, mais aussi de décors savamment décadents. La photographie de Carlo Carlini est parfaitement contrastée, tandis que la bande originale de Gianni Ferrio offre une ritournelle qui reste ancrée dans la tête. Le tout est porté par de bons acteurs comme le fiévreux Helmut Berger, alors en pleine ascension grâce à son mentor Luchino Visconti. Face à lui, on repère des acteurs chevronnés comme le prestigieux comédien de théâtre Giancarlo Sbragia et plusieurs pointures du cinéma populaire comme Evelyn Stewart ou encore Silvano Tranquilli.
Un film inégal, mais qui mérite d’être connu des amateurs de giallo
On pourra donc sans doute regretter quelques facilités d’écriture, notamment dans la description de personnages un peu trop schématiques ou encore par des gags récurrents qui alourdissent le tout – on pense au running gag sur le café du commissaire, jamais à son goût. Toutefois, la réalisation professionnelle de Tessari et son choix de traiter de thèmes sociétaux sous couvert de simple film de genre sont à mettre au crédit de cette œuvre qui est méconnue en France.
A part une courte sortie provinciale sous le titre Cran d’arrêt, le film n’avait jamais été édité en France avant l’initiative du Chat qui Fume qui l’a intégré à son riche catalogue blu-ray, assorti d’une image superbe et de suppléments comme toujours passionnants, mais essentiellement analytiques.
Critique de Virgile Dumez
Acheter le blu-ray sur le site de l’éditeur
Voir le film en VOD
Biographies +
Duccio Tessari, Lorella De Luca, Helmut Berger, Silvano Tranquilli, Wolfgang Preiss, Evelyn Stewart (Ida Galli), Dana Ghia, Giancarlo Sbragia