Adaptation respectueuse d’un livre à succès, Couleurs de l’incendie manque sans aucun doute de personnalité, mais illustre avec un certain savoir-faire un roman passionnant.
Synopsis : Février 1927. Après le décès de Marcel Péricourt, sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière. Mais elle a un fils, Paul, qui d’un geste inattendu et tragique va la placer sur le chemin de la ruine et du déclassement. Face à l’adversité des hommes, à la corruption de son milieu et à l’ambition de son entourage, Madeleine devra mettre tout en œuvre pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d’autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l’incendie qui va ravager l’Europe.
La suite d’un prix Goncourt exceptionnel
Critique : Suite directe d’Au revoir là-haut publié en 2013 avec un énorme succès, Couleurs de l’incendie a débarqué en librairie en 2018 avec d’excellents papiers à la clé. Devenu un auteur à suivre, Pierre Lemaitre a donc poursuivi l’histoire de la famille Péricourt en se penchant cette fois-ci sur le destin de Madeleine, héritière d’un empire bancaire impressionnant, mais qui va devoir affronter la terrible crise économique de 1929. Alors que le premier volet s’intéressait déjà aux magouilles des affairistes durant la Première Guerre mondiale, Pierre Lemaitre allait aborder avec le second volume les années 30 connues pour être marquées par des affaires douteuses – dont la plus célèbre demeure l’affaire Stavisky.
Pour Clovis Cornillac, le défi était double puisqu’il devait non seulement adapter un roman touffu à grand succès, mais il devait aussi succéder à l’adaptation magnifique opérée par Albert Dupontel avec son Au revoir là-haut (2017). Outre ses plus de 2 millions d’entrées, le long-métrage de Dupontel a fait l’unanimité en recevant notamment 5 César. Les espoirs placés en ce Couleurs de l’incendie étaient donc élevés pour la Gaumont qui a déboursé plus de 16 millions d’euros pour donner corps à cette suite.
Couleurs de l’incendie peut se voir de manière totalement indépendante du premier opus
Ici, Léa Drucker reprend donc le rôle de Madeleine qui était tenu par Emilie Dequenne dans le film précédent, tandis que tous les autres personnages sont nouveaux. Ainsi, les spectateurs qui n’ont pas encore découvert le premier film peuvent regarder celui-ci sans aucun problème en ce qui concerne la continuité. L’auteur tricote ici une intrigue tortueuse qui peut toutefois se résumer en une terrible vengeance ourdie par une femme que des hommes d’affaires ont préalablement ruinée. Dans le rôle de cette femme bafouée, Léa Drucker offre toute sa stature. Elle est parfaitement digne face au méchant incarné avec gourmandise par l’excellent Benoît Poelvoorde. Plutôt sobre, l’acteur fait un salaud tout à fait convaincant, tandis qu’Olivier Gourmet écope d’un rôle plus ingrat, en mode surjeu permanent.
© 2022 Gaumont – La Company – France 2 Cinéma – Umedia. Tous droits réservés.
La grande qualité de Couleurs de l’incendie vient de sa contextualisation historique soignée. Ainsi, l’ambiance liée à la crise de 1929 et à la montée des nationalismes durant les années suivantes est parfaitement retranscrite par Clovis Cornillac qui signe ici son film le plus ambitieux en tant que réalisateur. Doté d’un budget cossu, Couleurs de l’incendie profite de décors splendides, de costumes précieux, tandis que le cinéaste s’est fait plaisir en multipliant les plans-séquence savants. Il semble ici vouloir démontrer ses capacités sur le plan technique, aidé par une équipe rompue à l’exercice. Il faut l’avouer, le résultat est souvent probant, même si on aurait aimé une implication émotionnelle plus grande du réalisateur dans ce qu’il filme.
Un film intéressant à suivre, mais qui manque toutefois de personnalité
Effectivement, malgré l’immense talent de tous les acteurs et techniciens impliqués, Couleurs de l’incendie n’en demeure pas moins une illustration fidèle d’un roman que l’on imagine brillant, mais sans ce supplément d’âme qui faisait d’Au revoir là-haut une œuvre impressionnante et aussi puissante que le livre d’origine. Certes, le personnage de la diva incarnée par la grande Fanny Ardant nous émeut forcément, mais le reste du film ne parvient que rarement à déclencher des flots d’émotion, là où l’écrivain Pierre Lemaitre est parvenu à s’imposer comme un digne héritier des grands feuilletonnistes du 19ème siècle.
Il aurait donc fallu un auteur à la personnalité plus affirmée pour tenir tête au livre de Pierre Lemaitre et ainsi faire de Couleurs de l’incendie un grand film, au lieu de n’être qu’une version filmée d’un roman à l’intrigue passionnante.
Un contexte de sortie difficile pour une œuvre au budget conséquent
Sorti dans les salles au début du mois de novembre 2022, Couleurs de l’incendie pâtit d’un contexte cinématographique compliqué pour le cinéma français. Effectivement, après la crise de la Covid, le public plus âgé a mis du temps à revenir dans les salles et la plupart des œuvres qui leur étaient destinées se sont vautrées au box-office national durant le deuxième semestre 2022, particulièrement meurtrier pour notre cinéma. Sorti avec la puissance de frappe de Gaumont dans 581 cinémas, Couleurs de l’incendie ne réunit que 30 063 spectateurs lors de son premier jour d’exploitation, pour une moyenne anémique de 52 personnes par écran.
Finalement, le long-métrage attire 302 030 spectateurs âgés lors de sa première semaine. Le drame historique a tenu l’affiche jusqu’au mois de janvier en cumulant finalement 742 080 entrées. Ce n’est bien évidemment pas satisfaisant si l’on tient compte du budget initial conséquent de 16 millions d’euros. Toutefois, dans le contexte difficile évoqué ci-dessus, Couleurs de l’incendie ne s’en tire pas si mal par rapport à d’autres titres qui ont connu des revers de fortune plus sévères. Il n’est pas certain, en tout cas, que le troisième volet de la trilogie littéraire intitulé Miroir de nos peines (2020) voie le jour prochainement sur grand écran.
Critique de Virgile Dumez
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© 2022 Gaumont – La Company – France 2 Cinéma – Umedia / Affiche : Laurent Luffroy, Guy Ferrandis (photos). Tous droits réservés.
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Clovis Cornillac, Sam Karmann, Benoît Poelvoorde, Alban Lenoir, Léa Drucker, Fanny Ardant, Boris Terral, Gilles Privat, Isabelle Vitari, Olivier Gourmet, François Favrat, Olivier Rabourdin, Jean-François Gallotte, Nils Othenin-Girard, Alice Isaaz
Mots clés
Drame historique, La revanche des femmes, Les crises financières au cinéma