Violent, excessif, outrancier, Chut, chut, chère Charlotte est un brillant thriller à machination porté par un duo d’actrices au firmament et une réalisation coup de poing. Diablement efficace.
Synopsis : Quelque part en Louisiane. Depuis bientôt quarante ans, Charlotte Hollis vit recluse dans l’immense maison dont elle a hérité de son père, théâtre omniprésent dans son esprit malade de l’assassinat sauvage de son amant à coups de hache. Soupçonnée par beaucoup d’être la meurtrière, toujours sur le fil du rasoir entre raison et folie, Charlotte s’oppose violemment à son expulsion de la propriété que doit traverser une autoroute.
Une déclinaison de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?
Critique : En 1962, le cinéaste et producteur Robert Aldrich retrouve enfin le chemin du succès commercial avec son chef-d’œuvre Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? où il orchestrait de main de maître le duel entre deux vieilles gloires de Hollywood, les éternelles rivales Bette Davis et Joan Crawford. Il enchaîne avec le western à succès Quatre du Texas (1963), avant d’envisager de reformer son duo de vieilles actrices pour un nouveau thriller intitulé Chut, chut, chère Charlotte (1964).
© 1964 Twentieth Century Fox Film Corporation – The Associates & Aldrich Company Inc. Renewed © 1992 Twentieth Century Fox Film Corporation – The Associates & Aldrich Company Inc. Tous droits réservés.
Comme pour son Baby Jane, le réalisateur s’appuie sur une histoire de Henry Farrell écrite cette fois uniquement pour le cinéma. Toutefois, loin de ne faire que répéter la formule qui a fait le triomphe du premier film, les deux compères préfèrent s’orienter vers un thriller à machination dans le style des Diaboliques (Clouzot, 1955). Si le script ne pose guère de souci, on ne peut en dire autant des débuts du tournage se déroulant en Louisiane. Effectivement, la star Joan Crawford pose de nombreux problèmes, à cause de soucis de santé qui l’obligent à être hospitalisée. Finalement, Robert Aldrich décide de se séparer de la vedette et de tourner à nouveau toutes ses scènes avec une autre actrice. Après avoir demandé à plusieurs stars déchues, il parvient à convaincre Olivia de Havilland de reprendre le rôle de sa consœur au pied levé.
Une actrice sobre et l’autre en roue libre
Ce choix par défaut se révèle finalement particulièrement pertinent pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le long-métrage se situe dans une Louisiane qui incarne le déclin d’un certain Sud des Etats-Unis. La grande propriété vouée à la destruction n’est rien d’autre qu’une image de ce vieux monde esclavagiste en voie de disparition. Or, l’actrice Olivia de Havilland est associée dans l’inconscient collectif au film Autant en emporte le vent (Fleming, 1939) qui évoquait la splendeur passée de ce même Sud. Ensuite, la star quelque peu oubliée projette à l’écran une image lisse qui transpire la bonté, mais peut également exprimer la duplicité. Elle est donc parfaitement à sa place dans ce rôle de la cousine Miriam qui est censée aider la pauvre Charlotte, mais dont l’influence se révélera sans doute bien plus néfaste.
Olivia de Havilland apporte également un contrepied nécessaire par son jeu très épuré face à une Bette Davis déchaînée comme jamais. La star sur le retour cabotine un maximum pour le plus grand plaisir de ses fans et Robert Aldrich n’est pas du genre à la retenir. Alors que cela passe plutôt bien avec le personnage bigger than life de Charlotte, on peut regretter que le réalisateur laisse également Agnes Moorehead en roue libre. En gouvernante vulgaire, elle en fait des caisses, alors que davantage de retenue n’aurait pas nui.
Aldrich en mode excessif : cela passe ou cela casse
Il faut dire que le long-métrage, par ses excès, n’a pas que des supporters. Aldrich, peu habitué à faire dans la dentelle, pousse tous les curseurs au maximum et livre un film volontairement outrancier. Cela démarre très fort avec un prologue d’un quart d’heure qui est un véritable manifeste esthétique : avec ses mouvements de caméra intrusifs, ses éclairages expressionnistes, ses cadrages biscornus et son usage du gore, Aldrich agresse le spectateur et tente de repousser les limites de ce qui est montrable à l’écran – du moins en 1964. La plupart des critiques de l’époque ont dénoncé le manque de subtilité et la vulgarité d’un cinéaste près à tout pour se mettre le spectateur dans la poche.
Certes, le procès pour manque de subtilité est recevable, mais Chut, chut, chère Charlotte, derrière tout son attirail horrifique (portes qui claquent, orages intempestifs, décadrages violents, violence allant jusqu’au gore) est aussi le portrait poignant d’une femme accusée de meurtre et de folie homicide par l’ensemble de la communauté. Rejetée de tous, risée de la région, Charlotte a même fini par croire qu’elle a pu commettre l’irréparable. Pourtant, Aldrich fait d’elle une femme qui résiste à l’emprise de l’extérieur et qui joue de la folie pour mieux conserver son rang d’aristocrate.
Un script tortueux, brillamment conduit
Grâce à une intrigue tortueuse brillamment agencée, Chut, chut, chère Charlotte s’est imposé petit à petit comme un autre classique du maître, notamment auprès des fans de films de genre. Effectivement, si Aldrich n’invente rien ici, il contribue à donner ses lettres de noblesse au sous-genre du thriller à machination qui sera ensuite largement pillé par le cinéma européen, et notamment italien.
Avec un peu plus de huit millions de dollars de gains sur le territoire nord-américain, Chut, chut, chère Charlotte a été un vrai succès aux Etats-Unis, tout en décevant les attentes d’Aldrich. En France, le long-métrage fut un échec sans appel avec 79 168 entrées sur tout le territoire national. Il s’agit de l’un des pires scores d’Aldrich dans l’Hexagone, ce qui constitue une sacrée injustice au vu des innombrables qualités de ce thriller, certes en-deçà de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, œuvre indépassable dans son genre.
Critique du film : Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 23 avril 1965
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© 1964 Twentieth Century Fox Film Corporation – The Associates & Aldrich Company Inc. Renewed © 1992 Twentieth Century Fox Film Corporation – The Associates & Aldrich Company Inc. / Affiche : Boris Grinsson © ADAGP Paris, 2020. Tous droits réservés.