Film coup de poing, Batch ’81 décrit la naissance du fascisme au sein d’une fraternité étudiante, tout en livrant une courageuse dénonciation de la dictature de Marcos aux Philippines. Une œuvre majeure qui ne peut laisser indifférent.
Synopsis : Pour intégrer la fraternité étudiante Alpha Kappa Omega, huit jeunes hommes doivent surmonter un rituel initiatique particulièrement violent qui s’étend sur plusieurs mois : humiliations en tous genres, actes de torture et bizutage quotidien…
Batch ’81, une brillante métaphore de la dictature de Marcos aux Philippines
Critique : Après plusieurs succès commerciaux qui ont consolidé sa réputation sur le sol philippin, le réalisateur Mike De Leon décide que son quatrième film sera plus personnel et plus aventureux. Il opte donc pour une description sans fard de la réalité de son pays, miné par la dictature de Ferdinand Marcos qui a institué la loi martiale en 1972. Toutefois, il ne peut en aucun cas le faire directement et se sert donc du prétexte des fraternités étudiantes (Batch veut dire groupe en Philippin) pour mieux dénoncer le fascisme qui règne aux Philippines en ce début des années 80.
© 1982 MVP Pictures / Photo : Carlotta Films. Tous droits réservés.
Mike De Leon entame donc le tournage de Batch ’81, mais connaît des difficultés pour mobiliser les fonds nécessaires. Interrompu avant son terme, le tournage est mis en stand-by et Mike De Leon en profite pour réaliser dans l’intervalle le drame familial Kisapmata (1981) qui deviendra dès lors son quatrième film sur le papier. Une fois le huis-clos dramatique achevé, le tournage de Batch ’81 peut reprendre et être achevé suffisamment rapidement pour que les deux films soient présentés conjointement à la Quinzaine des Réalisateurs lors du Festival de Cannes 1982. Batch ’81 fait forte impression lors de sa projection le 17 mai 1982, mais les négociations pour obtenir une sortie française échouent et les deux œuvres resteront longtemps inédites sur notre territoire.
Le Orange mécanique philippin
Conçu pour être une œuvre choc, Batch ’81 ne cherche aucunement à dissimuler ses prestigieuses références. Effectivement, dès le générique d’ouverture, la musique électronique créée Lorrie Ilustre fait écho aux compositions de Wendy Carlos pour Orange mécanique (Stanley Kubrick, 1971). Par ailleurs, l’affrontement final entre les deux fraternités rappelle également le shocker de Kubrick, tout en convoquant à notre souvenir les rixes adolescentes d’œuvres plus classiques comme La fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955) et West Side Story (Robert Wise, 1961). Le poster des Chiens de paille (1971) présent dans la chambre des étudiants souligne aussi l’influence majeure du traitement de la violence chez Sam Peckinpah.
Pourtant ces références prestigieuses n’écrasent pas trop le film de Mike De Leon qui trouve sa propre cohérence stylistique en cherchant davantage de réalisme que ses illustres ainés. Contrairement à eux, Mike De Leon est confronté tous les jours à cette violence intrinsèque de la dictature de Marcos. Et bien évidemment, toutes les humiliations, tortures et vexations imposées par la fraternité étudiante doivent être vues comme une dénonciation des agissements secrets d’un gouvernement autoritaire. Courageusement, un dialogue fait même directement référence à la loi martiale, confirmant l’aspect politique de l’œuvre.
Petit traité de la servitude volontaire
Même en faisant abstraction du contexte politique de l’époque, Batch ’81 n’en demeure pas moins un film choc, souvent très dur à supporter. La grande force du réalisateur est d’obliger le spectateur à suivre un héros – excellent Mark Gil – dont on attend un sursaut ou une réaction, mais qui, bien au contraire, va se révéler impitoyable jusqu’au bout.
© 2023 Carlotta Films. Tous droits réservés.
Mike De Leon décrit durant la totalité du long métrage un long bizutage qui commence par quelques humiliations plutôt bon enfant – même si l’on déteste au plus haut point cette pratique honteuse. Progressivement, le réalisateur corse l’affaire et démontre jusqu’où peut aller la servitude volontaire de ces jeunes étudiants qui cherchent à intégrer ces fraternités calquées sur le modèle américain. Cela commence donc par des obligations de se retrouver nu devant les autres, de manger des choses immondes, avant de se muer en des séances de torture corporelle pour prouver que l’on est un homme, un vrai.
Des jeux interdits qui en disent long sur la nature humaine
Sous couvert de jeux soi-disant innocents, ce sont bien les racines du fascisme que le cinéaste déterre ici et expose à nos yeux ébahis. A force de s’habituer à la violence entre membres de la fraternité, il n’est pas étonnant que celle-ci se déchaine peu à peu sur des fraternités concurrentes, ce qui nous mène à la séquence finale de confrontation. Si elle semble calquée sur les modèles cités plus haut, elle se révèle en réalité bien plus violente. Débutant à coups de poing, la situation dégénère rapidement lorsque les premiers couteaux sont de sortie.
Toutefois, Mike De Leon fait aussi entrer dans la danse un hachoir qui va faire beaucoup de dégâts et le massacre tourne au gore dans un déferlement de violence qui marque d’autant plus qu’il s’inscrit dans un contexte réaliste. Batch ’81 laisse donc pantois et se termine par un plan glaçant sur le visage de Mark Gil désormais devenu un maître de la fraternité, mais dont le regard vide prouve qu’il est entièrement gagné par le fascisme inhérent à la fraternité.
Considéré à juste titre comme le meilleur film de son auteur, Batch ’81 est donc bien le film coup de poing attendu car sa puissance de dénonciation n’a rien perdu de son authenticité avec les années. L’éditeur Carlotta Films a bien compris cela en éditant son superbe coffret blu-ray consacré à Mike De Leon, tout en proposant conjointement ses deux meilleurs films au cinéma (Kisapmata et Batch ’81, donc) à partir du 29 mars 2023.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 29 mars 2023
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Mots clés
Cinéma philippin, La dictature au cinéma, La torture au cinéma, Festival de Cannes 1982, L’Etrange festival 2022