Tentative maladroite de surfer sur le succès de L’exorciste, Une fille pour le diable enterre une bonne fois pour toutes le studio Hammer par la mollesse de sa réalisation. Ennuyeux au possible.
Synopsis : John Verney, un spécialiste des sciences occultes, est chargé de veiller sur la fille d’un ami, qui est promise à un groupe sataniste pour l’offrir au Diable.
La Hammer au fond du trou
Critique : Au milieu des années 70, la firme britannique Hammer connaît de nombreuses difficultés financières et ne parvient pas à renouveler son catalogue. Effectivement, le film d’horreur contemporain a délaissé tout le bestiaire classique (vampires, loups-garous et consorts) pour une épouvante plus quotidienne. Outre les tueurs en série, les spectateurs ont été effrayés par les suppôts de Satan à l’œuvre dans Rosemary’s Baby (Polanski, 1968) et surtout L’exorciste (Friedkin, 1973). Désormais, il apparaît impossible de revenir en arrière et la Hammer ne parvient pas à mettre la main sur un script novateur.
Le studio puise alors dans ses propres ressources et exploite le catalogue de l’écrivain Denis Wheatley qui avait déjà été adapté à l’écran par Terence Fisher dans l’excellent Les vierges de Satan (1968). L’écrivain spécialisé dans l’occulte a notamment donné l’exclusivité des droits à son ami Christopher Lee, acteur star de la Hammer, mais surtout vrai connaisseur de l’occultisme. C’est donc gracieusement que Wheatley met son œuvre à disposition pour qu’on en tire un film dans le goût du public de l’époque.
Un bébé diabolique enfanté dans la douleur
Confié au réalisateur Peter Sykes qui a déjà derrière lui une bonne expérience dans le domaine de l’horreur (Venom ou encore Les démons de l’esprit), Une fille pour le diable (1976) a connu une conception houleuse, avec de nombreuses réécritures du script, au point que le roman initial s’en trouve fortement modifié, au grand dam de son auteur, mais aussi de Christopher Lee qui fut très mécontent du résultat final. Il faut ajouter à cela la présence de la star américaine vieillissante Richard Widmark qui ne semble avoir accepté le projet que pour toucher son salaire et n’a jamais caché son mécontentement vis-à-vis du film.
Et de fait, Une fille pour le diable, sans être un navet intégral, est très loin d’égaler Les vierges de Satan, réussite majeure du studio britannique. Deux soucis essentiels viennent interférer avec la bonne marche du long-métrage. Premier problème fondamental, le script ne fournit pas de vrai retournement de situation et déroule ainsi une intrigue linéaire dont on saisit tous les tenants et aboutissants dès les premières minutes. Le spectateur assiste donc au lent cheminement de personnages sur lesquels il a toujours un temps d’avance. De quoi provoquer l’ennui au bout d’un quart d’heure.
La Hammer déjà en mode télévisuel
Cette tendance à l’assoupissement est renforcée par la réalisation sans punch de Peter Sykes. Le cinéaste a fini sa carrière à la télévision et semble malheureusement avoir adopté ce style plat et sans relief dès ses longs de cinéma. Aucun plan ne vient éveiller la fibre esthétique du cinéphile dans cette œuvre filmée platement, photographiée sans grâce et dotée de décors quelconques. Pire, le réalisateur s’avère incapable de créer la moindre atmosphère angoissante et laisse même indifférent devant des plans qui avaient un certain potentiel sulfureux. Finalement, le spectateur se contrefiche de ce qui se passe à l’écran, et ce n’est pas la fin totalement expédiée et grotesque qui nous fera changer d’avis.
Heureusement, il reste quelques motifs de satisfaction durant la projection, grâce essentiellement aux acteurs. Si Richard Widmark fait le minimum syndical dans un rôle finalement assez peu intéressant, on est davantage séduit par la prestation de Christopher Lee, toujours aussi magistral en figure maléfique. Il est bien le seul à nous arracher quelques frissons lors de ses gros plans. Dans le rôle de la jeune victime désignée, la très jeune Nastassja Kinski fait preuve d’une belle assurance, elle dont ce n’était que la deuxième apparition à l’écran après Faux mouvement (Wenders, 1975). Elle parvient à faire douter de ses intentions en un seul regard et s’offre également intégralement à la caméra dans un nu troublant. On peut également signaler la bonne tenue des prestations de Honor Blackman et de Denholm Elliott.
Un film lourdement interdit aux moins de 18 ans en France
On peut sauver de l’ensemble quelques bonnes idées liées aux pratiques occultes, mais malheureusement les producteurs ont cherché à travestir ces traditions ancestrales par un fatras hétéroclite décevant et incohérent. C’est décidément bien dommage. Toutefois, la sentence fut particulièrement dure pour la Hammer car Une fille pour le diable fut la dernière production horrifique de la société, avant sa disparition au début des années 80.
En France, l’exploitation du film a été lourdement entravée par une interdiction aux moins de 18 ans (transformée de nos jours en 16 ans) dont on a du mal à comprendre la raison, tant le long-métrage laisse indifférent. Ils ne furent que 91 247 fans de la Hammer à s’assoupir dans les salles françaises, malgré la promesse de sensations fortes. Par la suite, le film n’a été exploité qu’une seule fois en VHS chez l’éditeur Thorn Emi, puis en DVD par Studiocanal. On peut toutefois comprendre ce désintérêt envers une œuvre qui est surtout notable par le fait qu’elle signe l’arrêt de mort d’un studio devenu légendaire – si l’on excepte bien entendu sa remise en route des années 2000.
Critique de Virgile Dumez