Pique-nique à Hanging Rock a permis de révéler au monde le talent du cinéaste Peter Weir, tout en confirmant l’excellente santé du cinéma australien durant les années 70. Son ton fantastique non conformiste séduit encore aisément de nos jours.
Synopsis : En Australie, Hanging Rock est une montagne sacrée, autrefois lieu de culte des aborigènes. Le 14 février 1900, les élèves d’une école de jeunes filles y partent en excursion afin de pique-niquer. Une fois sur place, plusieurs d’entre elles sont comme étrangement attirées par les rochers. Trois des élèves, accompagnées d’une professeure, s’engouffrent dans les passages dessinés par les monolithes. C’est au retour à l’école que l’on se rend compte que les quatre jeunes femmes manquent à l’appel. Des battues sont organisées pour les retrouver ; la police enquête. L’une d’entre elles est bientôt retrouvée, totalement amnésique…
L’émergence d’un cinéma australien de qualité
Critique : Au début des années 70, un cinéma purement australien commence à émerger. Après avoir surtout servi de décor à des productions internationales anglo-saxonnes, le pays se dote d’un système de financement qui allie aides publiques et mécénat privé afin de produire les œuvres de cinéastes locaux. Parmi les nouveaux venus, le premier à rencontrer un énorme écho international a pour nom Peter Weir.
Alors qu’il a déjà signé un étrange Les voitures qui ont mangé Paris (1974), il connaît une soudaine renommée grâce au succès international rencontré par son Pique-nique à Hanging Rock (1975). Enorme succès public dans son pays, le long-métrage a porté haut les couleurs d’un cinéma australien qui allait confirmer son excellente tenue jusqu’au milieu des années 80, avant qu’une nouvelle crise ne l’abatte en partie.
Plongée dans les tréfonds d’un fantastique inexplicable
Basé sur un fait divers survenu en 1900, à savoir la disparition mystérieuse de plusieurs élèves et de leur professeur lors d’une sortie en pleine nature, le long-métrage a le grand mérite de prendre à bras le corps son postulat fantastique et de ne jamais chercher à expliquer les événements qui se déroulent à l’écran. Peter Weir inaugure ainsi un style qui sera encore le sien dans des œuvres comme La dernière vague (1977) et Etat second (1993).
Sans avoir recours au moindre trucage, le cinéaste parvient à créer une atmosphère d’inquiétante étrangeté qui finit par contaminer l’ensemble des protagonistes et par-là même le spectateur. La réalisation use souvent de déformations optiques et du grand angle pour créer des plans audacieux qui insinuent que les éléments qui nous entourent conspirent contre nous. Weir a également recours à une magnifique musique progressive qui crée une atmosphère éthérée du plus bel effet. On n’est jamais très loin de l’ambiance doucereuse développée plusieurs années plus tard par Sofia Coppola dans son Virgin Suicides (1999).
Un film de l’indicible, et de l’invisible
Toutefois, la véritable audace est d’avoir fait tenir l’intégralité du film sur un sentiment d’étrangeté aussi fugace. Très rapidement, le spectateur sent que quelque chose de dramatique va se passer, mais le cinéaste soustrait à notre vue cet événement. Par la suite, il pousse le vice jusqu’à mettre en place une enquête qui n’aboutira finalement nulle part, comme si l’oubli était finalement la seule solution possible. Tous ceux qui cherchent à s’approcher de la vérité finissent par périr dans des circonstances tout aussi étranges – et encore une fois sans que le cinéaste insiste sur ces décès inexpliqués.
On signalera également la présence d’une thématique sexuelle à peine déguisée, puisque tous les personnages souffrent à l’évidence d’une terrible solitude sentimentale. Au sein de cette société fondée sur le non-dit et l’hypocrisie, rien ne sera finalement explicité. Tout est étouffé, ce qui est en parfait accord avec le style allusif du film.
Un état d’attente délicieusement pernicieux
Avec un talent admirable, Peter Weir place donc le spectateur en état d’attente, tout en sachant qu’il ne pourra jamais répondre à celle-ci. Il nous met donc dans la même position inconfortable que l’ensemble de ses personnages et ne nous accorde aucun répit, ni soulagement. Le film se referme ainsi de manière implacable, comme il s’était ouvert, sans qu’aucune réponse ne nous soit apportée.
Cela explique le sentiment de déception de certains spectateurs habitués à davantage de cartésianisme. Ceux qui aiment au contraire se perdre dans les méandres d’un monde aux contours flous, entouré d’incertitudes philosophiques, seront aux anges. Il s’agit ici d’une œuvre qui ose plonger totalement dans un univers fantastique aux allures pourtant si réalistes.
Une équipe formidable pour un résultat hypnotique
Le réalisateur s’est entouré pour cela du directeur de la photographie Russell Boyd qui a fait un travail remarquable, ainsi que d’un casting bien équilibré. Si Rachel Roberts est formidable en directrice de pensionnat rigide, on signalera aussi la présence de la jeune Jacki Weaver (vue depuis dans le magnifique Animal Kingdom en 2009) et de John Jarratt (qui a ensuite été remarqué dans Next of Kin, puis la franchise des Wolf Creek).
Sorti en France deux ans après son tournage, Pique-nique à Hanging Rock (d’ailleurs orthographié à l’époque Picnic à Hanging Rock) a attiré dans ses filets 70 417 curieux sur toute la France, sur la durée, malgré très peu de salles dans son circuit. Toutefois, cette contre-performance en salles n’a aucunement empêché le long-métrage de gagner ses galons de film culte et de permettre à Peter Weir de continuer une brillante carrière (détaillée ici), notamment à Hollywood.
Critique du film : Virgile Dumez