Joachim Lafosse confirme avec Un silence l’originalité de sa démarche stylistique, tout en s’appuyant sur la puissance de jeu d’Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil. Un silence n’est pas une œuvre aimable, mais in fine, la réussite est patente.
Synopsis : Silencieuse depuis 25 ans, Astrid la femme d’un célèbre avocat voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.
Une affaire véridique comme point de départ
Critique : Si le cinéaste Joachim Lafosse paraît nettement moins à son aise lorsqu’il s’éloigne de sujets tirés de faits divers (on songe notamment aux déceptions de Les chevaliers blancs avec Vincent Lindon ou encore de Continuer avec Virginie Efira), il demeure très habile pour traiter de problèmes liés à un environnement familial ou sociétal toxique. On se souvient par exemple de son perturbant Elève libre (2009) et bien entendu de son chef d’œuvre à ce jour, le très dur A perdre la raison (2012) sur un infanticide.
Pour écrire Un silence (2023), Joachim Lafosse s’est souvenu de son adolescence en Belgique, juste au moment de l’affaire Dutroux, mais aussi de ses nombreuses ramifications ultérieures. Effectivement, bien plus tard en 2007, l’avocat de la famille des victimes a lui aussi été pris dans la tourmente judiciaire pour détention de matériel pédocriminel. Cette affaire Hissel a défrayé la chronique car elle s’est doublée d’un règlement de compte familial que nous sommes contraints de taire pour ne pas révéler la fin du film.
Quelque chose de pourri au sein de la cellule familiale
Un silence prend donc comme point de départ ce fait divers plutôt glaçant, même si Joachim Lafosse se refuse à en détailler le processus judiciaire. Il va même jusqu’à modifier les noms et situer son film à Metz, et non en Belgique. Le réalisateur s’est donc servi de cet événement pour traiter le sujet si délicat du silence complice à l’intérieur des familles. Certes, il évoque rapidement les agissements souterrains du personnage d’avocat trouble interprété par Daniel Auteuil. Mais son regard de cinéaste s’applique essentiellement à suivre le personnage de sa femme, murée dans un silence absolu depuis une trentaine d’années. Celle-ci est incarnée avec brio par la grande Emmanuelle Devos qui joue à merveille cette femme tour à tour interloquée, complice, puis rebelle.
Pourtant, ce drame familial et judiciaire ne se donne pas forcément facilement. Loin de respecter la règle commune d’exposition des faits et des personnages, Joachim Lafosse ose s’affranchir de tout éclaircissement dans un premier temps. Il cherche avant tout à décrire une famille de la grande bourgeoisie provinciale sur laquelle plane un secret qui n’est jamais explicité, du moins pendant une quarantaine de minutes qui évoquent parfois le cinéma de Claude Chabrol. Dès lors, les scènes s’enchaînent de manière apparemment aléatoire et le spectateur est contraint de s’accrocher à quelques indices disséminés çà et là. Certains risquent donc de déclarer forfait avant que la révélation sur le passé trouble de l’avocat n’intervienne.
Une deuxième partie plus intense qui compense les quelques faiblesses du début
Pourtant, rétrospectivement, cette première partie plutôt floue était nécessaire en adoptant le point de vue des personnages. Muré dans le silence et le déni, chacun tente de mener une vie en apparence normale, alors qu’il évolue au cœur d’un foyer gangrené par le mal. Finalement, la deuxième partie du long métrage nous précipite dans un drame familial intense comme les affectionne tant le réalisateur. On lui sera d’ailleurs reconnaissant de ne jamais juger ses personnages, même pas celui interprété par Daniel Auteuil, puisque le film se termine par une scène évasive situées dans un tribunal qui, lui, sera compétent pour trancher.
Au milieu des deux monstres sacrés qui se retrouvent ici après leur collaboration sur L’adversaire (autre film choc de Nicole Garcia, 2002), on saluera la prestation du débutant Matthieu Galoux qui s’acquitte parfaitement de son rôle d’adolescent en butte à l’autorité paternelle. Réalisé de manière précise par Joachim Lafosse, avec une tendance à plonger les personnages dans une pénombre assez gênante, mais si révélatrice de leur psyché, Un silence évoque donc une thématique qui demeure d’actualité. Car la famille demeure l’un des lieux les plus secrets qui soit, avec ses parts de joie, mais aussi ses drames destructeurs.
Un silence a su faire parler de lui
Sorti initialement le 10 janvier 2024 sur une combinaison raisonnable de 227 cinémas, Un silence obtient la meilleure moyenne par copie des sorties de la semaine lors de son premier jour d’exploitation. Avec 18 611 entrées en une seule journée, le drame sait attirer les spectateurs dans les salles malgré son sujet difficile. Sur sa première semaine, Un silence glane 90 037 fidèles. Face à la demande, Les Films du Losange augmente sa présence en salles en deuxième semaine avec 334 copies et une chute modérée de 39 %. Le film tutoie alors les 150 000 entrées en quinze jours.
Visiblement confiant, le distributeur double son parc avec 636 copies qui permettent au drame de ne perdre que 25% de ses entrées. Toutefois, la moyenne par copie chute drastiquement et de nombreuses salles se retrouvent désertes. Ils sont donc 40 809 retardataires à faire le déplacement. C’est en quatrième septaine qu’Un silence franchit la barre symbolique des 200 000 spectateurs. Les trois semaines suivantes vont le voir chuter très rapidement, si bien que le film termine avec 222 098 tickets vendus. Il s’agit, à ce jour, du plus beau succès obtenu par le cinéaste belge sur notre territoire, sans aucun doute porté par la présence de ses deux comédiens.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 janvier 2024
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Joachim Lafosse, Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Damien Bonnard, Baptiste Sornin, Louise Chevillotte, Matthieu Galoux, Jeanne Cherhal
Mots clés
Cinéma belge, Drames psychologiques, La pédophilie au cinéma, Les avocats au cinéma, Les relations père-fils, Les faits divers au cinéma