Trois amies est un nouveau conte de marivaudage par le fils spirituel d’Eric Rohmer, Emmanuel Mouret, passé maître en la matière.
Synopsis : Joan n’est plus amoureuse de Victor et souffre de se sentir malhonnête avec lui. Alice, sa meilleure amie, la rassure : elle-même n’éprouve aucune passion pour Eric et pourtant leur couple se porte à merveille ! Elle ignore qu’il a une liaison avec Rebecca, leur amie commune… Quand Joan décide finalement de quitter Victor et que celui-ci disparaît, la vie des trois amies et leurs histoires s’en trouvent bouleversées.
Musset, Rohmer et les autres
Critique : Chantre du marivaudage français, Emmanuel Mouret s’empare de la ville de Lyon pour dresser le portrait de 3 amies et des hommes qui gravitent autour d’elles.
Le réalisateur de Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait quitte Paris pour une province à la fois urbaine et rustique, propice aux promenades champêtres, aux cadrages ruraux et aux bohèmes d’esprit.
Il insère sa trame à l’écart de la haute bourgeoisie, chez des bobos de cœur et d’âme, trois amies, professeures dans une classe moyenne mais cultivée où le livre et le pinceau ne sont jamais très loin des archétypes qu’elles représentent. Le décor a le sens du détail. Il est un personnage essentiel de cette toile de maître.
Récit de marivaudage d’un 19e siècle de classe et d’humeur qui ne dit pas son nom, entre Alfred de Musset, Jane Austen, et Éric Rohmer, jusqu’aux entournures provinciales, Trois amies tourne essentiellement autour du personnage joué par India Hair, prof d’anglais qui, au lendemain de l’annonce de sa séparation d’avec son compagnon (Vincent Macaigne), prof de français et père de sa fille, découvre la mort de ce dernier dans un accident de voiture alors qu’il venait de noyer le chagrin de leur rupture dans l’alcool. Il ressort alors dans ce personnage de femme dévorée par la culpabilité une quête d’un amour passion qu’elle n’ose avouer.
Le fruit de la passion
Ce drame pourrait donner une tonalité automnale mélancolique aux images si le personnage du défunt mari n’était pas le narrateur post-mortem, fantôme jovial et bonhomme qui semble vouloir nous dire que le plus important dans cette trame, ce n’est pas sa mort mais bel et bien le bonheur de cette femme qu’il a tant aimée et qu’il aime encore de l’au-delà. C’est peut-être une maladresse de la part du scénariste. Evacuer si vite ce suicide par accident alcoolisé car cela ne serait pas l’objet du film, semble vouloir hiérarchiser les peines de cœur. Rien ne justifie plus le bonheur de cette femme au détriment du personnage de Macaigne, si ce n’est qu’elle refuse la routine terne du couple car née pour les tumultes de la passion.
Gentiment décalé, le personnage d’India Hair, continuellement en quête de rédemption et d’amour, se nourrit des philosophies de la vie de ses amies et notamment de celles de Camille Cottin, autre prof dans le film qui refuse la passion et préfère jouer la comédie auprès de son ami Grégoire Ludig.
Le retour de Sara Forestier au cinéma
Cottin, toujours un cran au-dessus du casting de par sa présence indéniablement glamour, se satisfait d’un quotidien pantouflard plutôt que des vertiges d’un amour indomptable qui l’inciterait à la jalousie. Dit-elle vrai ou cherche-t-elle à se persuader de tout cela ? Et pourtant des raisons d’être jalouse, ce n’est pas ce qui manque à cette amie, puisqu’elle-même est trompée par son chéri qui entretient une liaison avec sa meilleure amie. Il est le Monsieur X dont la facétieuse Sara Forestier, dont c’est enfin le grand retour au cinéma, aime raconter sa liaison derrière l’anonymat d’une appellation mystère. L’artiste bohème que Sara Forestier joue, un peu socialement à la marge dans son atelier, loin de la stabilité de couple et de profession de ses deux amies, est quelque peu l’archétype de l’artiste brouillonne qui ne le restera pas puisque chez Emmanuel Mouret comme chez Rohmer l’on doit trouver une issue individualisée à la solitude.
Trois amies nourrit davantage les esquisses d’un conte au féminin que d’une introspection cruelle de la vie où certains demeureront des laissés-pour-compte.
De la banalité des êtres qui n’ont rien d’exaltants, Emmanuel Mouret tire un film remarquable au gré de dialogues affûtés. Son sens de la mise en scène pare l’image de cadrages dont il peut s’enorgueillir tant ils allient le sens à la beauté. Son style batifole dans les mots et transcende les décors de par des superpositions de cadres dans lesquels il affectionne l’insert de citations artistiques.
Emmanuel XI : laissons Mouret faire
En 20 ans et des poussières, Emmanuel Mouret n’a pas perdu de son expertise de la poésie, ce peintre de l’âme romanesque confine au portrait ciselé de ces gens faussement vains dans lequel on aime se retrouver.
Peut-être un peu trop long dans ses rebondissements multiples, Trois amies est d’une solide tenue et d’une qualité incomparable dans son écriture au sein du cinéma français contemporain. Il semble chercher son hérédité dans le cinéma désormais classique (La Femme d’à côté de Truffaut), sans trahir sa propre ADN. Mouret, depuis Changement d’adresse et Un baiser s’il vous plaît, est un cinéaste de l’excellence. Ce n’est pas pour rien s’il a décroché 13 nominations aux César avec Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait.
Il dirige un casting en tout point remarquable mais l’on regrette que Mathieu Metral ne soit pas un peu plus mentionné dans les crédits tant son intervention rajoute une touche dandy qui, pendant longtemps, était l’apanage de Mouret acteur.
Emmanuel Mouret, fils spirituel d’Eric Rohmer, perpétue avec talent les portraits d’humains plaisants d’être dans leur refus de l’amertume et de la violence, tous au-dessus de la mêlée des bassesses des ressorts commerciaux.
Son cinéma en 2024 est le même délice qu’en 2004.
Laissons Mouret faire.
Sorties de la semaine du 6 novembre 2024
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Emmanuel Mouret, Damien Bonnard, Sara Forestier, Vincent Macaigne, Camille Cottin, India Hair, Grégoire Ludig, Mathieu Metral