Grand amateur de cinéma de genre, Jim Jarmusch livre avec The Dead Don’t Die un film gimmick agréable, mais qui n’a pas les arguments cinématographiques pour réveiller les morts.
Synopsis : Dans la sereine petite ville de Centerville, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Les nouvelles sont effrayantes et les scientifiques sont inquiets. Mais personne ne pouvait prévoir l’évènement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : THE DEAD DON’T DIE – les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville.
Critique : Phénomène médiatique du début de la 71e édition du Festival de Cannes, The Dead don’t Die est un joli coup pour son distributeur et Jim Jarmusch, car il s’agit de transformer une oeuvre faussement mineure en événement majeur. Le casting, plébiscitant les habitués du cinéaste new-yorkais jusqu’à en enterrer le concept, est l’événement premier. Le genre du film, le second. Des macchabées anthropophages dirigés par l’auteur cannois par excellence de Stranger than paradise et Down by law, sur la Croisette, forcément, cela a de la gueule sur l’affiche.
The Dead Don’t Die, du cinéma de quartier?
Toutefois, l’on déplorera évidemment le constat d’un résultat bancal. Aussi sympathique soit-il, The Dead don’t Die, n’apporte rien à l’oeuvre de son auteur qui s’approprie une fois de plus le cinéma de genre, mais cette fois-ci, sans parvenir à le transcender. L’émoi poétique du western crépusculaire, avec Johnny Depp, le somptueux Dead Man (1995), avait largement été reproduit lors de l’incantation mystique que représentait Ghost dog : la voie du samouraï (1999), qui s’appropriait les codes du cinéma de sabre, pour le sublimer dans un contexte urbain inattendu. On en ressortait ébloui par l’expérience spirituelle, qui allait parer une fois de plus la carrière magistrale de Forest Whitaker. On n’oubliera pas de mentionner les Nosferatu décadents de Only lovers left alive qui offraient une vraie alternative au cinéma vampirique. Un chef d’oeuvre.
En 2019, The Dead don’t Die semble vouloir réitérer l’appropriation d’un genre, mais en le trempant dans le pastiche jamais exubérant, davantage dans la lignée enjôleuse du cinéma de l’auteur.
Plus on est de fou, plus on rit?
Oui, mais ce n’est pas tout à fait le cas ici. On est ravi de voir ce casting s’agiter devant cette invasion lumineuse de morts vivants sur une terre désaxée de son orbite, mais le plaisir est de surface, faute de consistance dans le plat proposé.
Aucun éblouissement dans la réalisation, pour marquer les sensibilités cinéphiles. Aucun plan d’anthologie pour habiter les souvenirs, à la différence de l’ambiance de Mystery Train ou du film de vampire, Only lovers left alive, pour convoquer deux époques distantes dans l’oeuvre de cette figure post-new wave d’un éternel cinéma underground, toujours sur la voie de la ré-incarnation.
La série B proposée n’est pas avariée, on le concède, mais elle se contente de faire ce que ses congénères dégénérés du cinéma d’exploitation se sont toujours lourdement attachés à faire. Il faut rendre hommage aux créateurs du mythe, multiplier les références, avec ici l’estampille Jarmusch qui ne marque pas suffisamment le morceau de viande pour en faire un mets nécessaire dans sa filmographie.
Pas assez délirant, peu percutant, ce film d’ouverture cannoise est donc un hommage à Romero (inévitablement), à Lynch (on pense à la constellation Twin Peaks), à Tarantino également, avec l’analogie dressée entre Tilda Swinton et Uma Thurman. Plus étonnant, Jarmusch fait un clin d’œil affectueux aux films d’horreur adolescents qui mettent leur road-trip en pause-essence chez un redneck forcément un peu farfelu.
Et le fond de l’histoire?
L’on trouvera toujours convenu le discours sur le consumérisme, le réchauffement climatique, et l’image d’un monde qui ne tourne tellement pas rond qu’il en sort de son axe orbital. Le scénario confine à la banalité et au gimmick.
Seuls le casting et le ton décidément très Jarmuschien permettent aux morts de retrouver un peu de dignité sur cette toile en ordre dispersé. Aussi, si la sauce, pimentée par le marketing et provoquer le buzz, a un fort pouvoir d’attraction, force est d’admettre qu’elle aura du mal à prendre face au grand-public ou à un jeune public qui ne fera pas de vieux os dans la salle .
Critique de Frédéric Mignard