Meilleur film de Dario Argento des années 90, Le syndrome de Stendhal s’impose comme une œuvre audacieuse regorgeant de fulgurances, mais non dépourvue de scories qui peuvent éconduire les spectateurs moins tolérants.
Synopsis : Une jeune inspectrice de police, victime du « syndrome de Stendhal », est sujette à des hallucinations et des vertiges en plein musée des Offices de Florence. Elle devient ensuite la proie du maniaque sexuel qu’elle cherche à arrêter.
Un projet imaginé aux Etats-Unis, mais tourné en Italie
Critique : Toujours en exil volontaire aux Etats-Unis au mi-temps des années 90, Dario Argento prend connaissance dans une librairie de la publication d’un livre intitulé Le syndrome de Stendhal écrit par la psychologue Graziella Magherini. Intrigué par le titre, le cinéaste découvre durant sa lecture que le syndrome en question affecte régulièrement des touristes qui peuvent rester en état de sidération devant des œuvres d’art, au point d’en perdre tous leurs repères. Le syndrome est nommé ainsi car le premier écrivain a avoir fait mention de ce phénomène n’est autre que Stendhal.
Durant sa lecture, le réalisateur prend conscience qu’il a déjà vécu une expérience similaire à l’âge de 14 ans lors de sa visite du Parthénon à Athènes. Cette connexion personnelle a déclenché un processus d’écriture qui l’a mené à rédiger le script de ce qui deviendra Le syndrome de Stendhal (1996). Prévu pour être interprété par l’actrice américaine Bridget Fonda, le métrage est donc préparé aux States, mais Dario Argento ne parvient pas à trouver des lieux suffisamment impressionnants pour que son histoire fonctionne. Cette absence de repère géographique était déjà pour beaucoup dans le semi-échec artistique de Trauma (1993) et Dario Argento choisit de tout plaquer aux Etats-Unis pour revenir sur sa terre natale.
Argento de l’autre côté du miroir
En situant son intrigue entre Florence (pour la Galerie des Offices) et Rome, Dario Argento retrouve ses repères esthétiques et livre un nouveau giallo dont l’intrigue n’est pas si tortueuse. En réalité, le long métrage est essentiellement un drame psychologique, pour ne pas dire psychiatrique, regorgeant de références freudiennes, tout en étant un manifeste esthétique de premier ordre.
Totalement fasciné par l’art, et en particulier la peinture, Argento réalise ici un fantasme qui lui tient à cœur depuis toujours, à savoir pénétrer à l’intérieur des toiles peintes – ou franchir les surfaces planes pour aller ausculter l’autre côté du miroir. Cette obsession est au cœur de son cinéma depuis ses premières œuvres et trouve donc une nouvelle expression à travers la première grande séquence où Asia Argento finit par être aspirée par les toiles qui l’entourent dans la Galerie des Offices. Cette entrée en matière, magistralement chorégraphiée, est bien entendu une référence implicite au Sueurs froides d’Alfred Hitchcock qui sert également de référence dans la construction du personnage féminin à la psyché multiple. Pour autant, le réalisateur propose à nouveau des visions inédites, comme celle où Asia Argento embrasse sur la bouche un bien étrange poisson.
Un giallo, mais pas seulement…
A partir de ce moment fondateur, le cinéaste va déployer une intrigue de giallo qui se joue constamment des attentes du spectateur. Ainsi, il n’hésite pas à dévoiler l’identité du serial-killer dès le premier quart d’heure (glaçant Thomas Kretschmann), avant de carrément l’éliminer de l’équation au bout d’une heure de projection. Cette construction alambiquée est plutôt audacieuse, mais n’empêche pas le film de demeurer efficace de bout en bout malgré une durée de deux heures. En fait, l’intérêt du film ne réside pas tant dans sa composante policière – assurément la partie la plus faible du métrage, comme souvent chez Argento – que dans le désordre psychologique qui envahit progressivement le personnage féminin, avant de totalement l’engloutir.
Dès que le cinéaste s’éloigne des inévitables scènes d’exposition de l’intrigue – et sa tendance à filmer des conversations dans des bureaux moches de type Derrick – il retrouve une grande partie de sa maestria dans ce dernier film important au sein d’une carrière qui a ensuite décliné dangereusement. On lui doit encore des séquences mémorables de meurtre, même si la violence y est sans doute excessive, voire dérangeante lorsque le réalisateur insiste sur les viols subis par Anna Manni (c’est-à-dire Asia Argento, sa propre fille, dans un rapport décidément étrange). Comme souvent avec Argento, le Mal prend donc plusieurs visages et semble contaminer la plupart des protagonistes. On apprécie également l’ambiguïté qui frappe le personnage féminin et sa tendance à se métamorphoser en homme au cours du long métrage.
Des fulgurances, mais aussi quelques dérapages
Par ailleurs, Le syndrome de Stendhal bénéficie de la collaboration de techniciens valeureux, au premier rang desquels il convient de citer le directeur de la photo Giuseppe Rotunno et le musicien Ennio Morricone qui signe une partition inspirée. Tout ceci contribue à faire du Syndrome de Stendhal une œuvre intéressante qui est de loin le meilleur opus du cinéaste depuis une trentaine d’années.
Pour autant, le métrage n’est pas exempt de défauts qui s’amplifieront dans la suite de la carrière du bonhomme. Argento expérimente ainsi pour la première fois des effets numériques qui ont fort mal vieilli, mais qui n’étaient déjà pas très convaincants à l’époque. On peut également trouver certains idées grotesques comme ces plans où la caméra suit le trajet de cachets d’aspirine dans l’œsophage de la protagoniste. Outre la laideur des effets numériques, l’idée n’est pas forcément bonne. On peut aussi se poser la question de l’excès de zèle du réalisateur dans sa description de violences très réalistes envers les femmes – et même sa propre fille. Cela contribue à créer un certain malaise. Enfin, les séquences d’enquête peuvent parfois prendre des allures télévisuelles qui contrastent fortement avec le brio des autres scènes.
Un film resté injustement inédit dans les salles obscures françaises
Pour autant, on ne fera pas la fine bouche tant ce long métrage s’élève largement au-dessus de l’ensemble de la production du réalisateur durant les années 90. Malheureusement, le résultat n’a pas eu les honneurs d’une sortie en salles en France. Les amateurs du réalisateur ont dû se contenter d’une présentation en sélection officielle du jeune festival Fantastic’Art (futur festival de Gérardmer) en 1997 d’où il est reparti bredouille, puis d’une sortie VHS sous le titre Stendhal Syndrome. La piètre qualité du support laissait entrevoir les quelques fulgurances du film, mais était fatal aux séquences plus routinières d’enquête, laissant dans notre souvenir une impression d’inachèvement. Cela ne fut guère corrigé par la piteuse édition DVD chez Opening.
Il a donc fallu redécouvrir le film en version restaurée publiée en blu-ray chez Extralucid Films pour lui redonner la chance qu’il mérite vraiment. Désormais affublé d’images de cinéma, le long métrage s’impose comme un opus valeureux au sein de la riche filmographie du cinéaste qui n’aura de cesse de nous décevoir par la suite avec des films indignes de son talent comme Le fantôme de l’opéra (1998), Mother of Tears (2007) et son pitoyable Dracula 3D (2012).
Critique de Virgile Dumez
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Biographies +
Dario Argento, Thomas Kretschmann, Veronica Lazar, Cinzia Monreale, Marco Leonardi, Asia Argento, Luigi Diberti
Mots clés
Giallo, Psycho-killer, Les tueurs fous au cinéma, Le viol au cinéma, La peinture au cinéma, L’art au cinéma