Premier long de Quentin Dupieux, Steak a fait émerger en 2007 le style d’un auteur dans la douleur, celle d’un grand public qui ne s’attendait pas à pareils délires, et d’un cinéaste qui n’a pas été compris en raison d’une distribution contre-productive. La comédie drôle, dans son humour, son histoire, son style, et sa musique, l’était surtout dans le sens élargi de l’adjectif, synonyme de bizarre et d’étrange.
Synopsis : Georges et Blaise ne s’étaient pas revus depuis sept ans. Ils se retrouvent à une époque où tous les codes ont changé et où le lifting du visage est devenu un must pour les jeunes. Tandis que Georges essaye désespérément de s’intégrer à la bande la plus “in” de la région, les Chivers, l’arrivée de Blaise risque de tout compromettre… Lequel des deux va devenir un vrai Chivers ?
Quentin Dupieux, de Steak à Yannick
Critique : Attention curiosité ! Steak est un drôle de métrage, qui ne ressemble pas à grand-chose si ce n’est à lui-même quand il aborde les multiplexes, en 2007. Il atterrit dans les salles comme un OVNI à la frois franchouillard et avant-gardiste dans ses allures de pastiche lunaire de comédie américaine. La tendance était française, puisque l’on sortait du succès de Pamela Rose (2003) d’Eric Lartigau et de l’échec de Foon (2005), de Benoît Pêtre, Déborah Saiag, Isabelle Vitari et Mika Tard. Deux autres occurrences d’une décennie qui n’était pas encore consciente, qu’avec Quentin Dupieux, elle mettait sur orbite l’un de nos grands auteurs.
Moins un film avec Eric et Ramzy qu’un film de Quentin Dupieux
Derrière son titre énigmatique, volontairement absurde et abscons, d’une brièveté qui sera le lot de la plupart des films de Quentin Dupieux, se dissimule une fausse comédie populaire à la Eric et Ramzy, qui a pris moult spectateurs au dépourvu. Les deux acteurs qui portent entièrement le film sur leurs épaules à la sortie, sortent du cadre télévisuel et des blockbusters du rire que furent Double Zéro (2004), Les Dalton (2004) et Iznogoud (2005), et revenaient au cinéma un 20 juin 2007, trois ans après l’adaptation de Morris et Goscinny, en tant que têtes d’affiche, pour une Fête du Cinéma dont ils allaient casser les codes et se prendre une sacrée veste. Le bide de Steak sera saignant.
Si leurs personnages bêtas et décalés ne dépareillent pas des “zéros” qu’ils incarnaient dans leurs précédentes parodies régressives (La tour Montparnasse infernale demeure leur triomphe personnel), les deux zigotos ont mis la pédale douce sur la fausse puérilité. Moins de bégaiements, moins de gags verbaux, moins de gags tout court. Pas de quoi ravir les spectateurs des multiplexes qui en ressortirent avec le “seum”.
Le cinéaste, Quentin Dupieux, alias Mr Oizo, l’un des hitmakers de l’électro française de l’époque, brandissait un budget correct de 6 millions d’euros pour une coproduction franco-canadienne, avec le soutien de StudioCanal, désarmé face au résultat. Le distributeur espérait vraiment autre chose. Au générique, la présence du producteur malchanceux Jean Cottin aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. La filmographie du monsieur aligne une sacrée liste de flops, autant d’échecs commerciaux divers et variés qui ne récompensèrent jamais sa prise de risque, comme Hibou, le film réalisé par Ramzy Bedia en 2016.
Dupieux, musicien réalisateur? A l’époque, l’association étonne ; elle détonne. Pourquoi pas, mais pour quoi faire? L’univers de science-fiction que l’auteur visionnaire met en place est un hommage distant à Grease, avec ses bandes de jeunes loubards des années 60, plaqués aux codes américains d’un futur proche, celui de 2016. L’obsession pour l’apparence physique sert de pied de nez à la société des années 2000, entre télé-réalité et délires de chirurgie qui commencent à refouler sur internet.
Ça platane pour moi !
Les deux acteurs principaux acceptent de déconcerter, avec courage, sans forcément trahir l’esprit immature et cocasse de leurs sketchs. Le ton de la série Platane d’Eric Judor, est déjà présent en filigrane. Le duo y trouvera le film d’auteur à surligner dans une filmographie, de ceux qui changent une orientation et imposent le respect. Mais, la satisfaction n’en est que limitée tant on leur reprochera cette aventure au-delà de la raison, dans le loufoque.
Il faut dire que malgré de nombreuses qualités, Steak est un premier essai et n’atteint pas les réussites de Dupieux dans les années 2020, comme Mandibules ou Yannick. Les scènes trainent en longueur, heureusement relevées par moments par quelques dialogues savoureux, écrits par Dupieux en personne.
Des défauts de premier film
Pour cette reconstitution américaine tournée au Canada, le manque de moyens limite également les extravagances visuelles et les audaces de réalisation. L’auteur du tube Flat Beat a de l’ambition et des références plein la pelloche mais curieusement déconcerte plus qu’il ne génère les rires. Comme souvent chez l’auteur, s’il marque d’une pierre son univers, Steak relève du concept, du court-métrage qui n’a pas su calmer ses ambitions. Il lui manque du rythme ; les private jokes entre potes étirées sur 1h25 lassent, surtout quand le film se conclut de manière ubuesque par une coupure qui déstabilise un peu plus, laissant un sentiment d’inaccomplissement.
Pour beaucoup, ceux qui boulottent de la comédie franchouillarde aux délires commerciaux bien délimités, cette faute de goût est apparue comme un nanar car irrationnel et sans queue ni tête. L’échec fut effroyable au box-office, avec une exploitation expéditive sur 4 semaines. Les cinéphiles exigeants, peu friand de comédies populaires, ont néanmoins préféré l’indulgence, car surgissait tout un univers en construction, dont ils n’avaient pas encore les codes. De quoi nourrir une future hype.
Il y a du Mr. Oizo dans Steak
L’originalité était en effet de mise et l’atmosphère, subtilement entretenue par la musique électro nostalgique de Mr. Oizo, Sébastien Tellier et Sébastian, méritait vraiment qu’on y vienne jeter une oreille. Cela tombait bien, l’excellente bande originale était alors proposée à la vente, en CD, chez Ed Banger Records, soit 21 titres de French Touch novatrice. Le CD s’avérait même bien plus incontournable que la séance en salle, démontrant que Dupieux, en 2007, était encore davantage perçu comme un musicien qu’un réalisateur, ce qui a changé avec le temps.
Avec Steak, Mr Oizo ne faisait pas mouche, mais au moins il tombait le masque ; le musicos avançait à l’écran un délire décalé auquel peu de monde pouvait encore adhérer. Des voix criaient au génie. Ils n’avaient peut-être pas tort, quand d’autres rétorquaient qu’il s’agissait d’une arnaque pour urbains boboïsés des méninges. L’artiste devra patienter encore quelques essais (Rubber, Wrong, Wrong Cops), pour que le public puisse se mettre vraiment à la hauteur de ses délires. Oui, le monde acceptera de changer et de s’adapter. Dupieux, lui, restera le même.
Box-office de Steak
Juillet et août 2007 ont été marqués par de magnifiques succès. Harry Potter et l’ordre du Phénix, Ratatouille, Les Simpson le film, Die Hard 4, Transformers, Les 4 Fantastiques… Même le cinéma français était de la fête avec Persépolis, Chabrol et La fille coupée en deux, Lelouch et son Roman de gare, 2 Days in Paris de Julie Delpy, sans oublier Caramel de Nadine Labaki. Steak ne tirera aucun bénéfice d’un contexte très favorable.
Vendu comme l’un des gros titres de la Fête du Cinéma qui se tenait lors de sa première semaine d’exploitation, entre le 24 et le 26 juin, Steak le film d’auteur est proposé en objet marketé par StudioCanal. Le distributeur, embarrassé, s’est mis en tête de le vendre comme “la nouvelle comédie d’Eric et Ramzy”, sachant que les adolescents, cœur de cible du duo, allaient le détester. Ce n’est pas grave. StudioCanal avait déjà enterré l’idée d’un bouche-à-oreille favorable et comptait sur une première semaine aussi élevée que possible pour éviter la casse. Mais la chute de la première à la deuxième semaines sera vertigineuse, puisque cette dernière ne bénéficiera nullement de l’effet Fête du Cinéma.
Une Fête, célébréé avec Shrek 3, Ocean’s 13, des films d’épouvante comme La colline à des yeux…laisse un espoir palpable chez les exploitants. In fune, Steak laissera tout le monde sur sa faim : exploitants, spectateurs, producteurs et évidemment distributeur.
Réaction du public : rejet massif !
Comment les spectateurs ont-ils réagi à la sortie du film ovniesque d’un jeune cinéaste dont le ton était inconnu? Mal. Très mal.
Dès le premier jour parisien, l’échec est acté. 6 548 spectateurs dans 52 salles, c’est un four. Les Dalton avait séduit 21 964 spectateurs dans 38 salles et Double Zéro 28 965 spectateurs dans 39 cinémas.
La première semaine n’est pas glorieuse malgré le contexte festif. Steak est présent dans 413 cinémas et trouve 197 722 fans du duo. Ce n’est pas encore un désastre, mais cela pourrait le devenir. La colline a des yeux d’Alexandre Aja a réalisé autant d’entrées pour sa première semaine, avec seulement 227 écrans ! La comédie déjantée de Dupieux réalise moins que Dialogue avec un jardinier de Jean Becker avec Daniel Auteuil et Jean-Pierre Darroussin (233 269 entrées) qui en est pourtant sa 3e semaine.
Déjà mort. Steak est calciné en deux semaines.
La 2e semaine est mortelle. Le bouche-à-oreille a joué. Quentin Dupieux n’est pas encore un cinéaste à suivre. Toute l’attention porte sur le rejet du duo. Le public cible de StudioCanal n’aime pas les comédies d’auteur et l’art et essai. Et ceux qui auraient dû aller voir Steak, étudiants, bobos et amateurs d’étrangetés, n’avaient aucune attirance pour une nouvelle comédie avec Eric et Ramzy.
Aussi, en deuxième semaine, Steak chute de 68%. C’est le plus gros gadin du top 10. Désormais, la comédie n’attable que 62 317 amateurs de carne. Tout le monde le sait désormais, les échos sont catastrophiques ; le film est déjà mort. Sa moyenne de 158 spectateurs par écran est encore plus douloureuse pour les exploitants. C’est évidemment la moyenne la plus basse du top 13. Paris ne rattrape pas la bévue promotionnelle. La baisse y est tout aussi massive (-66%).
La troisième semaine pare Steak du triste record de la plus grosse baisse du top 40 (-77%). Désormais, le flop s’élève à 14 368 spectateurs dans 152 salles. Ramzy Bedia et Eric Judor ont effectivement été rayés du programme de 395 cinémas. Avec 100 spectateurs par écran, c’est désormais la pire moyenne du top 20.
Pour sa 4e et dernière semaine d’exploitation, Steak est cuit et chute en 40e place. Désormais rance, la viande a perdu 85% de sa fréquentation et n’a trouvé que 2 097 gourmets dans 62 cinémas. Avec 176 000 entrées, il n’aura même pas doublé sa première semaine d’exploitation.
Heureusement, le temps sera favorable au film, puisque ce dernier, certes, toujours inédit en blu-ray, est parvenu à grappiller 14 000 entrées France, entre 2007 et 2013, grâce à la carrière épatante de Quentin Dupieux qui a multiplié sa progéniture. De quoi alimenter les séances spéciales et les rétrospectives et donner de la chair au Steak en décomposition.