Deuxième long-métrage tourné par Ariel Zeitoun, Saxo est un polar noir plutôt correct qui bénéficie d’une bonne ambiance, d’acteurs solides et d’une musique blues assez intemporelle. Sympathique.
Synopsis : Sam, minable producteur musical, découvre par hasard un groupe de musiciens, qui selon lui, possède un potentiel de succès incroyable. Il ira jusqu’au bout pour leur faire enregistrer un disque…
Un script original de Gilbert Tanugi et Jacques Audiard, spécialistes du polar
Critique : Producteur attitré de Francis Girod et Alexandre Arcady et réalisateur d’un premier film plutôt sympathique (Souvenirs, souvenirs avec Christophe Malavoy en 1984), Ariel Zeitoun décide en 1987 de tourner un script original de Gilbert Tanugi (romancier qui fut adapté en 1973 par Patrick Jamain avec son Affaire Crazy Capo). Pour ce faire, il dispose également du jeune Jacques Audiard qui est lui-même un grand amateur de polar sombre. Enfin, histoire de mettre toutes les chances de son côté, Ariel Zeitoun parvient à convaincre Gérard Lanvin d’incarner ce jeune producteur de musique qui va tout risquer pour donner libre cours à sa passion de la musique.
Pour mémoire, Gérard Lanvin est alors au firmament de sa popularité, puisqu’il a tourné dans des succès commerciaux aussi importants que Marche à l’ombre (Blanc, 1984), Les spécialistes (Leconte, 1985) et Les frères Pétard (Palud, 1986). L’acteur a ensuite fait une pause et Saxo était donc son grand retour sur les écrans, dans un rôle plus sérieux.
Plongée sans concession dans le Paris interlope
Ariel Zeitoun pose effectivement sa caméra dans un Paris interlope qui fascine. Il arpente à la suite de son personnage principal les caves clandestines où s’organisent des concerts. Si son personnage est clairement identifié comme un jeune entrepreneur juif qui cherche à percer en tant que producteur de musique, Ariel Zeitoun s’intéresse aussi à la communauté africaine et à ses trafics en tout genre. Ainsi, le hasard met en présence le jeune loup interprété avec beaucoup de naturel et de spontanéité par Gérard Lanvin avec un duo d’artistes venu tout droit d’Afrique noire.
Leur musique puise aux racines du blues, avec une guitare affirmée, un saxophone endiablé et une belle puissance vocale de la part de la jeune femme (impressionnante Akosua Busia, qui sortait tout juste de La couleur pourpre de Spielberg). Composés par Roy Buchanan, génie du blues des années 70-80, les morceaux de Saxo sont assurément un des points forts du long-métrage pour tous ceux qui aiment le blues. Il est donc assez crédible qu’un producteur veuille s’emparer du duo pour leur faire enregistrer un disque. Toutefois, la spirale qui s’enclenche pousse sans doute le bouchon un peu loin. Effectivement, Gérard Lanvin va peu à peu perdre tout son argent, sa famille, et peut-être même sa liberté, à cause de sa passion pour cette musique.
Une musique blues inspirée et une atmosphère sombre bien retranscrite
Bien évidemment, la rationalité n’a plus droit de cité lorsque la passion s’en mêle, mais cet attachement au duo constitué par ce frère au caractère étrange et cette sœur protectrice n’est pas toujours crédible. C’est sans aucun doute le plus gros défaut d’un long-métrage qui possède pourtant de nombreuses qualités. Tout d’abord, il faut signaler une vraie capacité à créer une atmosphère sombre – que l’on retrouvera ensuite dans les films de Jacques Audiard notamment. Ensuite, les dialogues s’avèrent de bonne tenue, de même que l’interprétation de l’ensemble du casting.
En ce qui concerne la réalisation, Ariel Zeitoun se contente parfois de plans un peu trop classiques, mais il parvient à compenser à l’aide d’une photographie maîtrisée et d’une certaine science de l’atmosphère. Avec Souvenirs, souvenirs, Saxo est assurément l’un de ses meilleurs films.
Un échec commercial sans appel
Malgré des qualités indéniables, Saxo fut un cruel échec lors de sa sortie au mois de janvier 1988, soit en plein cœur de la crise du cinéma. Les salles étaient alors désertées par le grand public et Saxo a sans doute été entravé par une affiche repoussoir et un titre peu porteur qui ont d’ailleurs fait l’objet de longues tractations entre les publicitaires et le réalisateur.
La semaine de sa sortie, le thriller Liaison fatale (Lyne) faisait le plein en mobilisant trois fois plus de spectateurs sur Paris que le polar avec Lanvin. Mais le pire allait intervenir la semaine suivante avec la sortie d’un concurrent inattendu intitulé La vie est un long fleuve tranquille de Chatiliez. Dès sa troisième semaine d’exploitation, Saxo dévisse sur Paris et perd plus de la moitié de ses entrées. Il finira son exploitation parisienne avec 125 363 mélomanes parisiens dans son escarcelle et 497 067 sur la France entière. Une sacrée déception.
Sorti en VHS, le long-métrage a depuis longtemps été oublié, à tel point qu’il n’a pas eu les honneurs du support DVD. S’il ne s’agit pas du polar du siècle, on peut toutefois y jeter un œil curieux.
Critique de Virgile Dumez