Sage femme est un récit de femmes épris de liberté, qui convie l’intimisme et le romanesque au détour des jeux grandioses des deux grandes Catherine du cinéma français, Deneuve et Frot. Une fois de plus, Martin Provost (Séraphine) a ressenti juste.
Critique : Après les réussites de Séraphine (2008), Où va la nuit (2011) et Violette (2013), le cinéaste Martin Provost poursuit son tour des femmes, délaissant a priori la folie contagieuse des héroïnes de ses œuvres précédentes, pour investir la dualité banale des caractères : la fougueuse excentrique qui a brûlé la vie par les deux bouts, jouée par Deneuve, opposée à la rigoureuse prudence de la sage-femme, au caractère social bien trempé, Catherine Frot.
Dans cette peinture obsessionnelle de la beauté féminine dans ses différences, on retrouve pourtant la frustration dévorante qui a rongé certaines des héroïnes passées de l’auteur dans leur soif de liberté. Cette fois-ci, ce désir de vie est abordé avec l’exubérance de jeu de Deneuve, et de ton du film dans son ensemble, celle d’une rencontre cocasse de cinéma, parfaitement à l’aise entre la comédie dramatique et le mélodrame sobre.
Le personnage cadré de Catherine Frot apparaît sage, obtuse, conditionnée à vivre sa vie en retrait, loin de la lumière, pour offrir la sécurité à son fils étudiant (Quentin Dolmaire, vu chez Depleschin) et à donner naissance, dans une maternité vouée à fermer pour des raisons de coût, aux jeunes êtres qui connaîtront des destins variés.
Deneuve est l’ancienne amante de son défunt père. Un amour passionnel du passé dont le départ à pousser l’homme au suicide, éteignant à jamais la flamme de vie chez sa fille. La réapparition soudaine du personnage de Deneuve, plusieurs décennies après sa disparition inexpliquée, dans le quotidien sous cloche de la sage-femme, ravive les plaies, exhume les fantômes du passé, et via l’annonce de sa maladie létale – une tumeur au cerveau -, va surtout ranimer le désir de passion chez la quinquagénaire plus habituée à donner qu’à recevoir.
Dans cette opposition constante entre la vie et la mort, les liens inextricables se tissent, jusqu’au final métaphorique d’une sobriété étonnante. Au drame urbain, Provost convie l’échappatoire bucolique, donne à la musique des emphases romanesques, quand les enjeux bouillent en interne, chez ces deux personnages féminins qui expriment à leur façon leur frustration face à l’existence. L’une a trop vécu, mais doit partir, l’autre n’a pas pu vivre, mais doit revenir à la vie, et Provost se fait le miroir magnifique de ces sentiments humains tellement beaux et signifiants dans leur apparente banalité.
L’auteur, qui a lui-même été sauvé à sa naissance par une sage-femme, sublime les instants d’intimité avec son sens pictural du cadrage et rend ainsi un nouvel hommage magnifique à la femme, plurielle, éprise de liberté, dans un monde patriarcal que l’on devine en sous-texte bouleversé par la nouvelle donne. Les portraits masculins d’hommes sages viennent adoucir un peu plus le mélodrame en déployant de belles lignes de fuite, dans cette œuvre lumineuse, dont on ressort ému, mais apaisé.
Réception & box-office
Malheureusement, le film n’a reçu aucune reconnaissance aux César puisqu’il ne fut même pas nommé. Heureusement, le succès fut réel en France, avec une belle première semaine à 331 215 spectateurs et une deuxième semaine solide à 171 540 spectateurs. En 6e semaine, Sage femme était encore revisité par 21 000 spectateurs, pour un final très bon de 700 106 entrées, soit le 6e meilleur score de Catherine Deneuve sur toute la décennie 2010 sur 23 longs métrages. Depuis mars 2017, jusqu’à ce jour de septembre 2022, elle n’a pas fait mieux. Cela sera également une belle aventure pour Catherine Frot qui n’a fait mieux durant la décennie 2010 qu’à deux reprises (Marguerite et Les saveurs du palais, tous deux millionnaires).
Pour le grand Martin Provost, il s’agira du deuxième meilleur score de l’auteur au box-office derrière Séraphine (850 795 entrées). La bonne épouse (632 661 entrées, 2020) aurait dû faire mieux, mais il en a été empêché par la fermeture des cinémas lors du grand confinement.
Cette très belle œuvre de femme réalisée par le plus sensible de nos réalisateurs a également été un vrai succès dans le circuit indépendant américain, avec une entame à 21 000$ dans 3 salles lors de son lancement et 603 000$ de recettes à l’issue de trois beaux mois d’exploitation. Les recettes américaines seront les deuxièmes meilleures après la France (4 962 364$). Suivent l’Australie (406 000), l’Italie (321 000), les Pays-Bas (294 000) et la Finlande où le succès fut réel (112 000$).
Les sorties de la semaine du 22 mars 2017
Biographies +
Martin Provost, Catherine Deneuve, Catherine Frot, Mylène Demongeot, Olivier Gourmet, Pauline Parigot, Audrey Dana, Sébastien Chassagne, Quentin Dolmaire