Rêve de singe : la critique du film (1978)

Drame, Fantastique | 1h53min
Note de la rédaction :
9/10
9
Rêve de singe, l'affiche

  • Réalisateur : Marco Ferreri
  • Acteurs : Gérard Depardieu, Marcello Mastroianni, Mimsy Farmer, Jack Betts, James Coco, Geraldine Fitzgerald, Abigail Clayton
  • Date de sortie: 26 Mai 1978
  • Nationalité : Italien, Français
  • Titre original : Ciao maschio, Rêve de singe, Bye Bye Monkey (International)
  • Année de production : 1978
  • Scénariste(s) : Marco Ferreri, Gérard Brach, Rafael Azcona
  • Directeur de la photographie : Luciano Tovoli
  • Compositeur : Philippe Sarde
  • Société(s) de production : 18 Dicembre, Prospectacle, Action Films
  • Distributeur (1ère sortie) : Gaumont
  • Éditeur(s) vidéo : Arts et Mélodie (VHS, juin 1983) / Fil à Film (VHS)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 365 973 entrées / 148 045 entrées
  • Classification : Interdit aux moins de 12 ans
  • Formats : 1.75 : 1 / Couleurs / Son : Mono / Langue originale : anglais
  • Festivals et récompenses : Grand Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes en 1978, ex-aequo avec Le Cri du sorcier (The Shout) de Jerzy Skolimowski
  • Illustrateur / Création graphique : René Ferracci, Vanni Tealdi
  • Crédits : 18 Dicembre, Prospectacle, Action Films
  • Bandeau : Eléments tirés de la jaquette vidéo VHS de Arts et Mélodie (1983). Tous droits réservés
Note des spectateurs :

Ferreri orchestre avec Rêve de singe la fin du mâle traditionnel dans une œuvre visionnaire, puissamment évocatrice grâce à une multitude de métaphores pertinentes. Déstabilisant et d’une liberté de ton absolue.

Synopsis : A New York, Gérard Lafayette adopte une jeune guenon trouvée dans un terrain vague et l’élève comme si c’était son enfant…

rêve de singe avec Depardieu, critique du Ferreri

© 1978 18 Dicembre – Prospectacle – Action Films / Affiche : René Ferracci ; Vanni Tealdi – Visuel issu de la VHS Arts et Mélodie

De l’art de la métaphore et de l’improvisation

Critique : En 1978, le réalisateur iconoclaste Marco Ferreri continue d’approfondir ses thématiques personnelles liées aux bouleversements sociétaux des années 70, notamment dans les rapports de plus en plus complexes entre hommes et femmes. Il s’adjoint les services du scénariste Gérard Brach, fidèle collaborateur de Roman Polanski, pour créer une histoire totalement surréaliste se déroulant dans un monde moderne en voie d’extinction. Si la structure générale du film est clairement établie, le réalisateur ne change guère sa méthode qui est de favoriser l’improvisation sur place, avec l’aide de ses acteurs. Marco Ferreri le précise lui-même en parlant de ses comédiens (dans Gérard Depardieu de Christian Gonzalez, 1985, p 119) :

Ils ne savent jamais, avec moi, ce qui vient après. Les personnages s’adaptent à eux. Empruntent leurs propres chemises. Je suis un tailleur sur mesure.

Ce goût de l’improvisation et du work in progress est confirmé par Marcello Mastroianni qui déclare (dans Marcello Mastroianni, le jeu plaisant du cinéma de Matilde Hochkofler, 1992, p 132) :

Je ne savais absolument rien de Rêve de singe lorsque je suis parti, appelé par Ferreri qui était déjà en Amérique où il tournait. Nous avons construit mon personnage de jour en jour, en recréant le goût de travailler sur un seul sujet, dans l’esprit qui caractérise toujours les films de Ferreri. En m’observant dans ce paysage, en me suggérant certaines choses, Ferreri est arrivé à tirer, petit à petit, un très beau personnage, dans un film que j’estime formidable.

Nous ne contredirons pas le comédien dans son jugement sur ce long-métrage qui appartient clairement à la catégorie des grands films dingues des années 70.

La mort programmée du mâle lambda

Comme le suggère le titre original du film (en gros : Adieu macho), Marco Ferreri prophétise la mort programmée du mâle traditionnel dans un monde en profonde mutation. Il montre notamment l’indépendance de plus en plus farouche des femmes à travers des séquences inaugurales qui ne laissent aucun doute quant à ses intentions. Il renverse notamment la proposition habituelle en faisant de Gérard Depardieu la victime d’un viol commis par un groupe de féministes. Par la suite, le long-métrage n’aura de cesse de décrire des hommes impuissants à séduire et à se reproduire. Ainsi, le personnage de vieux beau incarné par Marcello Mastroianni se révèle incapable de plaire aux femmes, même âgées. Il finira seul et désemparé, lui qui incarne une société encore machiste.

Toutefois, le mâle, quelle que soit sa position, est une fois de plus destiné à mourir. On retrouve là les théories développées dans La dernière femme (1976) qui se terminait par l’émasculation de Depardieu. Ici, son sort n’est guère plus enviable et, sans vouloir déflorer la fin, on peut constater que les hommes finissent tous par mourir, tandis que le dernier plan suggère la solitude d’une mère de famille au bord d’une plage avec son enfant en bas âge.

King Kong est bien mort

Outre ce bouleversement dans les rapports entre hommes et femmes, Ferreri orchestre également la décadence de la société moderne. Il situe d’ailleurs une partie de l’action dans un musée de cire qui reproduit des scènes de la Rome antique – image de la décadence d’une civilisation autrefois brillante.

Evacuant volontairement des décors des éléments trop ancrés dans leur époque, Ferreri parvient à brouiller les repères temporels et signe une œuvre universelle qui n’a pas pris une ride. Tourné en anglais, à New York, avec ses buildings noyés dans un brouillard persistant pour seul horizon, Rêve de singe décrit une société moderne, mais qui pourrait tout aussi bien être post-apocalyptique – les rats infestent notamment les rues et les logements. Noyée dans une brume constante, la ville apparaît fantomatique, comme si le rêve américain s’était déjà effondré. King Kong lui-même ne gravit plus l’Empire State Building mais gît sans vie sur une plage, sans que personne ne s’en étonne, dans une scène splendide au surréalisme assumé. Cette séquence fait d’ailleurs songer à celle de la baleine dans Les harmonies Werckmeister (2000) de Béla Tarr.

Animal Kingdom

Comme souvent chez Ferreri, l’être humain est voué à sa perte ou encore à une mutation vers d’autres formes. Ici, la plupart des personnages sont soumis à une forme de réification. Le personnage de Depardieu s’exprime souvent par grognements, mais aussi par le biais d’un sifflet qui fait office de vecteur du langage. L’homme retombe soit au niveau de l’animal, soit à celui d’un simple objet décoratif. Ferreri signe même une scène surréaliste où les personnages parviennent à faire enregistrer un petit chimpanzé au registre officiel des naissances de New York, sans que personne ne s’aperçoive de la supercherie. Son nom de Cornelius est d’ailleurs une référence directe à La planète des singes (Schaffner, 1968), trait d’humour typique d’un cinéaste malin.

Rêve de singe est donc une œuvre insaisissable, fuyante et qui sait créer le malaise par son ambiance mortifère de fin du monde. Outre un discours que certains qualifieront de réactionnaire – l’homme est ici la victime de la libération de la femme – Ferreri se fait l’écho du malaise de la civilisation moderne avec un sens inné de la métaphore. Il signe de splendides tableaux magnifiquement mis en lumière par le grand Luciano Tovoli, tandis que Philippe Sarde nous gratifie d’une bande-son déstabilisante du meilleur effet. Il faut également signaler l’implication de Gérard Depardieu qui se donne corps et âme au cinéaste. L’acteur qui disait en avoir “ras-le-bol” d’enchaîner les tournages (il s’agissait de son sixième film en un an) sortait par ailleurs d’une longue série d’échecs. Mastroianni et tous les autres comédiens sont également au sommet de leur talent, portés par un cinéaste décidément au pic de sa créativité durant ces folles années 70.

Un Prix spécial du Jury à Cannes largement mérité pour un film malheureusement trop rare et oublié

Puissamment original, Rêve de singe a glané le Prix spécial du jury à Cannes en 1978, ex æquo avec un autre film fou, à savoir l’excellent Cri du sorcier de Skolimowski. Sorti dans la foulée dans les salles, Rêve de singe n’a pas connu le triomphe de La grande bouffe (2,8 millions d’entrées), ni même le retentissement de La dernière femme (803 133 spectateurs), se contentant de 365 973 entrées sur tout le territoire français. Au vu de l’étrangeté du film, cela n’est guère étonnant, mais l’échec ne fut pas sans conséquences financières au vu du très gros budget dont il disposait. Le succès français lui était vital.

Il s’agit pourtant de l’une des œuvres les plus remarquables de son auteur, par la puissance évocatrice de ses images et la profondeur de ses thématiques, toujours d’actualité plus de quarante ans après sa réalisation.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 24 mai 1978

Rêve de singe, l'affiche

© 1978 18 Dicembre – Prospectacle – Action Films / Affiche : René Ferracci ; Vanni Tealdi © ADAGP Paris, 2020. Tous droits réservés.

Box-office :

Cannes 1978, le grand affrontement. 

Sorti en France un vendredi, en raison du calendrier cannois, Rêve de singe n’a pu réaliser que 24 969 entrées sur ses 5 jours de programmation, sur Paris-périphérie. Pas de quoi exciter le box-office curieux de voir Brooke Shields, en prostitué de 12 ans dans La petite de Louis Malle, numéro 1 triomphal avec 90 094 spectateurs dans 22 salles. Le film sulfureux de Malle ne serait pas bien vu en cette ère post#MeToo.

Violette Nozière, autre film cannois, qui a valu un prix d’interprétation à Isabelle Huppert, entrait en 2e place, avec 48 478 spectateurs dans 19 cinémas. Le top 15 était obsessionnellement porté sur le rapport homme-femme, puisqu’outre Rêve de singe, La femme libre de Paul Mazursky, était un vrai succès. Egalement présent à Cannes et diffusé seulement 5 jours en première semaine, le classique avec Jill Clayburgh, fédérait 16 501 cinéphiles dans 7 salles.

Box-office de la semaine du 24 mai 1978

Les autres films débarquant sur les écrans cette semaine sont évocateurs de l’époque, avec l’alligator misogyne du Crocodile de la mort (16 596 entrées/17 salles). La grande sauterie était le porno de la semaine avec 23 271 entrées dans 11 cinémas, Allo… Madame, marquait l’échec d’un film de mœurs charnel, avec Françoise Fabian et Corinne Cléry (22 105 entrées dans 17 cinémas). L’école des petites baiseuses entrait avec son titre ravageur en 14e place, avec 15 057 entrées dans 7 salles, quand le porno de Claude Pierson, Les aventures des queues nickelées, parlait visiblement moins à sa cible, avec 6 576 clients dans 6 salles spécialisées.

Cette même semaine, le distributeur Arts et mélodie (Creepshow, Evil Dead, en 1983), essayait de sortir de façon opportuniste un documentaire de Ringo Starr de 1972, Born to Boogie, dans une seule salle (690 entrées).

Le polar urbain italien, Salut les pourris, avec Luc Meranda et Raymond Pellegrin, rassemblait à peine 3 292 amateurs de bis rital dans 8 cinémas Paramount. C’était moins que La tirette, à l’endroit à l’envers, énième film classé X, qui convoquait 5 195  amateurs de spectacles pour adultes dans 4 cinémas.

Dans quelles salles pouvait-on voir Rêve de singe ?

En première semaine parisienne, en intra-muros, le film de Ferreri était accessible au Concorde Pathé, au Clichy Pathé, au Montparnasse Pathé, à l’Impérial Pathé, à l’ABC, au Quartier Latin, à l’Hautefeuille, au Nation, aux 14-Juillet Bastille, à l’Entrepôt et au Gaumont Convention. Sept cinémas de banlieue accompagnaient sa sortie parisienne.

Un Grand Prix cannois au succès limité

En 2e semaine, Depardieu, accompagné de son singe adoptif, grimpait à 31 556 spectateurs sur 18 écrans. C’était sa première vraie semaine complète. Les deux premiers restaient inchangés. En semaine 3, il glisse de 3 places, perd 3 écrans et s’abîme à 24 197 entrées. Il se retrouve à 20 315 entrées pour son 5e tour dans 14 cinémas. La stabilité est certaine, mais le film est parti de trop bas pour pouvoir satisfaire ses producteurs. Cette semaine-là, le film dépasse à peine les 100 000 entrées, contre 141 000 pour La femme libre, 183 000 pour Violette Nozière, 251 000 pour La petite, ses trois concurrents cannois sortis le même jour.

A la fin de l’été, Rêve de singe traîne encore au Studio de la Harpe (999 spectateurs en 14e semaine, total de 145 231). Il finirait sa carrière quelques semaines plus tard, à 148 000 franciliens et 366 000 spectateurs sur l’ensemble de la France).

Deux éditions VHS suivirent en France, l’une dans les années 80, l’autre dans les années 90. Depuis, ce chef d’œuvre oublié n’a pas été réédité en DVD et blu-ray en France, ne devenant accessible que sur une piètre copie, en VOD.

Analyse du box-office par Frédéric Mignard

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Bande-annonce de Rêve de singe (VO)

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