Thriller tendu au suspense bien géré, Rapaces se veut aussi un hommage au journalisme d’investigation, tout en évoquant un thème toujours d’actualité : les féminicides. A découvrir.
Synopsis : Samuel, journaliste, et Ava, sa fille et stagiaire, couvrent pour leur magazine le meurtre d’une jeune fille attaquée à l’acide. Frappé par la brutalité de ce meurtre, ainsi que par l’intérêt de sa fille pour l’affaire, Samuel décide de mener une enquête indépendante, à l’insu de sa rédaction, et découvre des similitudes troublantes avec le meurtre d’une autre femme…
Un fait divers réel largement modifié
Critique : Visiblement attiré par les faits divers glauques, le cinéaste Peter Dourountzis revient avec Rapaces (2025) sur un terrain assez proche de celui de son premier long intitulé Vaurien (2020). S’il hésite encore entre le commentaire social et le cinéma de genre, son deuxième effort paraît bien plus maîtrisé que le précédent. Ici, il s’appuie sur une affaire réelle de féminicide sur la personne d’Elodie Kulik, retrouvée morte en 2002 et dont l’enquête a duré près de dix ans.
Toutefois, si le script initial de Christophe Cantoni tombe dans ses mains et qu’il sent qu’il tient là un matériau intéressant, Peter Dourountzis choisit de repartir de zéro en s’éloignant volontairement des faits pour créer une fiction qui correspond davantage aux préoccupations actuelles post-#Me Too et le coup de projecteur qui a été mis ses dernières années sur la recrudescence des féminicides. Au passage, le réalisateur tenait aussi à rendre hommage aux journalistes d’investigation qui ne se contentent pas de réécrire parfois au mot près les dépêches de l’AFP.
Des journalistes de terrain aux méthodes parfois douteuses
Toutefois, lorsque débute le film, le spectateur est en droit de se demander si le titre Rapaces ne s’applique pas également à ces journalistes qui travaillent à Détective (ancien nom de l’actuel Nouveau Détective), un hebdomadaire entièrement consacré aux faits divers et qui n’a pas toujours évité le sensationnalisme, au point de frôler l’invention pure et simple à partir de faits très minces. Dès les premières scènes, le spectateur suit les pas de plusieurs journalistes sur différentes affaires (Sami Bouajila, Valérie Donzelli et Jean-Pierre Darroussin).
Design : Le Cercle noir pour Silenzio. © Oriflamme Films, 24 25 Films (Mediawan). All Rights Reserved.
Le point commun est leur capacité à s’incruster sur des scènes de crime sans en avoir nécessairement l’autorisation, mais aussi la manipulation de témoins pour leur soutirer des renseignements, le mensonge et même des effractions de domicile. Bref, une forme de journalisme qui s’affranchit des lois pour pouvoir alimenter leurs papiers de faits sensationnalistes. Pourtant, ce qui pourrait n’être qu’une œuvre à charge contre des méthodes douteuses se mue rapidement en un pur film de genre lorsque le personnage de Sami Bouajila fait le lien entre deux affaires similaires dans leur modus operandi, mais distantes de quelques années.
Féministes contre masculinistes
Dès lors, Peter Dourountzis prend fait et cause pour ces hommes et femmes qui prennent parfois de gros risques pour faire avancer des affaires parfois abandonnées un peu trop rapidement par les forces de l’ordre. Avec l’aide de sa fille stagiaire dont il ne s’est pas beaucoup occupé par le passé, le journaliste incarné avec une certaine froideur par Sami Bouajila va donc creuser une piste qui va le mener au cœur de la France profonde où les mœurs ne semblent pas avoir beaucoup évolué.
Finalement, les rapaces du titre ne sont pas tant les journalistes que les hommes qui s’en prennent aux femmes, considérées comme des victimes par nature. Sans vouloir trop déflorer l’aboutissement de l’intrigue, il est ici question bien entendu de féminicide, mais aussi de la recrudescence des mouvements masculinistes à l’image de ceux qui prolifèrent actuellement aux Etats-Unis.
L’homme quand il chasse en meute
Toutefois, le réalisateur ne tombe pas dans le piège de la simplification puisque de nombreux protagonistes masculins s’avèrent positifs et que son constat d’une violence régulière faite aux femmes est malheureusement une réalité que l’on constate régulièrement. Il dénonce plutôt ici la tendance au repli de certaines campagnes, avec des hommes au profil fortement influencé par des comportements de meute assoiffée de violence, proche du fascisme.
Design : Le Cercle noir pour Silenzio. © Oriflamme Films, 24 25 Films (Mediawan). All Rights Reserved.
Outre une enquête qui tient en haleine grâce à un script bien charpenté, Rapaces gagne des points dans sa dernière demi-heure marquée par plusieurs scènes de suspense qui sont particulièrement tendues. Sans en dire les tenants et les aboutissants, on aime particulièrement la séquence entière située dans le restaurant où la tension passe majoritairement par les regards.
Des comédiens au diapason d’un sujet fort
Bien mieux charpenté que Vaurien (2020) qui s’éparpillait dans des digressions inutiles, Rapaces assume davantage sa dimension de film de genre, tout en en profitant pour évoquer un phénomène de société bien trop fréquent pour laisser indifférent. Pour cela, Peter Dourountzis a fait appel à des comédiens en parfaite osmose. Sami Bouajila interprète un personnage plus rude qu’à son habitude, Mallory Wanecque s’avère très juste en jeune stagiaire qui tente de tisser de nouveaux liens avec son père. Enfin, Valérie Donzelli est parfaite en femme indépendante, tandis que Jean-Pierre Darroussin étonne dans un emploi assez inhabituel pour lui, même si sa bonhommie réapparaît à plusieurs reprises.
Grâce à une maîtrise certaine de la réalisation, une photographie assez sombre de Victor Seguin, Rapaces donne une image plutôt inquiétante d’une France basculant dans l’insécurité, y compris jusque dans ses campagnes profondes, non à cause de l’immigration, mais bien par une violence inhérente à une société où tous les repères semblent abolis.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 2 juillet 2025
Design : Le Cercle noir pour Silenzio. © Oriflamme Films, 24 25 Films (Mediawan). All Rights Reserved.
Design : Le Cercle noir pour Silenzio. © Oriflamme Films, 24 25 Films (Mediawan). All Rights Reserved.
Biographies +
Peter Dourountzis, Andréa Bescond, Jean-Pierre Darroussin, Paul Hamy, Sami Bouajila, Samuel Jouy, Valérie Donzelli, Sébastien Houbani, Gilles Cohen, Matthieu Lucci, Stefan Crepon, Mallory Wanecque
Mots clés
Cinéma français, Thrillers français, La violence faite aux femmes au cinéma, Films sur le journalisme