Pour qui sonne le glas est une adaptation d’un grand roman d’Hemingway, magnifique sur le plan esthétique, mais bien trop académique dans sa réalisation.
Synopsis : En 1937, durant la guerre d’Espagne, un instituteur américain se range du côté des Républicains. Il est chargé de faire sauter un pont dans la montagne afin de retarder l’avance des nationalistes. Il y rencontre au passage l’amour de sa vie.
Sam Wood était-il l’homme de la situation ?
Critique : Ernest Hemingway a relaté son expérience lors de la guerre civile espagnole dans un de ses romans les plus célèbres intitulé Pour qui sonne le glas, publié en 1940, avec un succès immédiat. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Hollywood ne pouvait pas passer à côté de l’occasion d’adapter enfin cette histoire édifiante pour le grand écran. Le studio eut un choix étrange en décidant de confier cette vaste et coûteuse entreprise au vétéran Sam Wood.
Effectivement, celui-ci tournait depuis les années 10 des films impersonnels et sans grand intérêt. Il a obtenu une certaine reconnaissance grâce à Goodbye Mr Chips (1939) qui fut un grand succès et a participé au tournage mouvementé d’Autant en emporte le vent la même année.
Quand un réalisateur connu pour ses positions violemment anticommunistes s’attaque à un auteur engagé à gauche
La Paramount a donc confié à cet artisan laborieux connu pour ses positions très réactionnaires l’adaptation d’un roman qui exalte la liberté et la lutte contre l’oppression. N’étant pas forcément l’homme de la situation, Sam Wood s’est contenté d’effectuer un travail appliqué, s’appuyant sur son directeur de la photographie Ray Rennahan et sur la technique du Technicolor. Ainsi, le film est visuellement somptueux et subjugue par sa beauté plastique, mais la réalisation reste bien en retrait et s’enfonce dans un académisme ennuyeux.
Malgré l’implication de comédiens formidables (superbe Katina Paxinou, actrice grecque que l’on retrouva par la suite dans les films d’Orson Welles ou de Luchino Visconti ou encore d’Ingrid Bergman dont ce fut le premier film en couleurs), on regarde assez vite sa montre devant la multitude de scènes plates et sans relief – un comble pour un film se déroulant en pleine montagne.
L’ennui pointe le bout de son nez, déjà dans la version courte
Il faut préciser qu’il existe deux versions du métrage : une longue de deux heures et cinquante minutes et une autre de cent vingt-cinq minutes. Or, c’est bien cette dernière que nous avons visionnée. Elle contient déjà bon nombre de scènes inutiles ou insignifiantes. Heureusement, la dernière demi-heure relève le niveau grâce à une suite de péripéties bien ficelées, quoique prévisibles.
L’ensemble est donc esthétiquement irréprochable, mais plombé par une mise en scène bien trop sage, voire inexistante, le cinéaste se révélant incapable de donner de la profondeur à ses personnages et au drame humain qui se joue dans le roman d’origine. Sorti durant l’année 1943 aux États-Unis, le film fut un véritable triomphe en cumulant 17,8 M$ (soit 300 M$ au cours ajusté de 2022), se hissant ainsi à la deuxième place du classement annuel, tout juste devancé par le film patriotique This is the Army de Michael Curtiz. Ainsi, Pour qui sonne le glas a récolté 9 nominations aux Oscars 1944, mais l’académie a choisi de ne récompenser que l’actrice grecque Katina Paxinou pour son second rôle féminin.
Un film événement qui a cassé la baraque aux Etats-Unis, comme en France
Les Français ont du attendre au-delà de la Libération pour découvrir enfin le film événement au mois de juin 1947. Les spectateurs se ruent dans les salles et en font le deuxième film de l’année en termes d’entrées avec un total de 8 274 596 tickets vendus, juste derrière Le bataillon du ciel (Esway, 1947), film français avec Pierre Blanchar.
Malgré son triomphe, Pour qui sonne le glas est avant tout un film à Oscars de plus, formaté pour glaner un maximum de récompenses, mais qui a bien mal vieilli.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 juin 1947
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