Magnifique mise en abîme sur l’art de créer, Pasolini s’érige comme une fascinante fantaisie poétique et métaphysique, loin des contingences terrestres du biopic, auquel il échappe miraculeusement, restaurant le prestige écorné de Ferrara après son autre incursion biographique lamentable, au creux des draps froissés de Dominique Strauss-Kahn.
Synopsis : Rome, novembre 1975. Le dernier jour de la vie de Pier Paolo Pasolini. Sur le point d’achever son chef-d’œuvre, il poursuit sa critique impitoyable de la classe dirigeante au péril de sa vie. Ses déclarations sont scandaleuses, ses films persécutés par les censeurs. Pasolini va passer ses dernières heures avec sa mère adorée, puis avec ses amis proches avant de partir, au volant de son Alfa Romeo, à la quête d’une aventure dans la cité éternelle…
Pasolini, par le Abel Ferrara que l’on aime
Critique : Le Abel Ferrara que l’on aimait était de retour en 2014 ! On ne donnait plus cher de sa peau après le porno soft ringard Welcome to New York, nanar sur l’affaire Dominique Strauss-Kahn diffusé directement en VOD par son propre distributeur. Et pourtant, cette même année, l’auteur de New York 2 heures du matin renaissait de ses cendres avec un autre biopic, divagations sur les derniers instants d’un homme qui le fascine et l’inspire vraiment, Pasolini.
Après Strauss-kahn, un nouveau biopic par Ferrara
Entre biographie, documentaire, pensum esthétique et politique, cette page biographique était teintée de ce petit plus poétique, voire délirant, que n’aurait pas renier pas par moments Peter Greenaway lui-même.
Ferrara s’amuse à égarer le spectateur dans la complexité du génie de l’artiste italien, que nous retrouvons en pleine promotion du sulfureux Salo ou les 120 journées de Sodome, dans les coulisses de l’exercice promotionnel, ou en famille. Moins un cinéaste qu’un penseur dans la détestation de son pays, épris de politique, de littérature, plus homme que star, le Pasolini dépeint ici se livre à une perspective prophétique de la société capitaliste, et devient l’objet de différents niveaux de narration, alors que l’artiste relate son dernier script, laissé inachevé, ses textes, et différents types d’écrits, pour une ouverture sur plus de fantaisie et de poésie presque lunaire, mais aussi une meilleure compréhension de l’homme.
Pasolini à la conquête du temps perdu
La notion de temps qui passe instrumentalise le spectateur alors que la vision hallucinée, inlassablement respectueuse et nullement provocatrice de Ferrara, conduit le réalisateur d’Accatone à son peloton d’exécution… Une nuit sur une plage d’Ostie, Pasolini sera battu à mort. Une leçon de cinéma pour un moment d’une cruauté étourdissante qui surprend Ferrara en flagrant délit d’introspection existentielle et méta-cinématographique, s’exprimant via sa mise en scène sur l’art de créer ; l’auteur délivre in fine sa vision de son cinéma, dans une mise en abîme touchante, irradiante de beauté.
Les plans réfléchissent la grandeur de l’artiste, rappelant que Ferrara n’est pas l’auteur de King of New York ou Bad Lieutenant pour rien, même si sa démarche, loin du cinéma de genre qu’il a pu affectionner, renvoie ici à la fois au cinéma européen des années 70, dont il retrouve l’esthétique miraculeuse dans une reconstitution d’ambiance imparable, et à son œuvre contemporaine, celle des années 2000, éloignée du cinéma de ses débuts (Mary, 4h44 dernier jour sur Terre, Go Go Tales).
Willem Dafoe incarne Pasolini
En tête d’affiche, au milieu de quelques artistes italiens qui, pour certains, ont côtoyé le vrai Pasolini, on retrouve son acteur fétiche, Willem Dafoe dont la ressemblance avec l’artiste italien est parfois saisissante. L’acteur est sobre, donnant de la consistance à l’évocation d’un homme sur ses dernières heures, y compris dans les moments délicats qui montre Pasolini en quête de jeunes amants, signe des effets dévastateurs du temps appréhendés ici avec dignité et émotion par l’acteur, il est vrai, dirigé d’une main de maître par Ferrara, pour la quatrième fois.
Capricci et les Bookmakers proposeront une rétrospective Ferrara Willem Dafoe dans les salles françaises à partir du 8 janvier 2020.
Critique : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 31 décembre 2014