Pacifiction tourment sur les îles est un trip onirique baignant dans l’art contemplatif d’Albert Serra. Radical, mais il s’agit pourtant du plus accessible des longs métrages du cinéaste catalan. Couvert de louanges, le film a navigué de Cannes aux César, devenant le plus gros succès de son auteur au rythme hypnotisant.
Synopsis : Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’Etat Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.
Critique : Véritable bête de festival, Pacifiction Tourment sur les îles a été tournée en Polynésie française avec des autochtones non professionnels. Un bain d’exotisme qui a valu au cinéaste catalan Albert Serra de connaître les honneurs d’une nomination cannoise en compétition. Si le jury est resté insensible au film dans son palmarès, l’auteur a été pris d’assaut par une presse enthousiaste. Pacifiction est reparti avec une réputation formidable qui va servir sa dynamique promotionnelle jusqu’à un nombre inattendu de nominations aux César. Neuf au total, dont celle de Benoît Magimel en tant que Meilleur acteur pour son interprétation d’un haut-commissaire, figure impassible de l’autorité française, dans un Tahiti onirique. L’acteur remporte finalement sa deuxième statuette consécutivement, après son triomphe aux César 2022 pour De son vivant d’Emmanuelle Bercot.
Copyrights : Idéale Audience, Anderground Films, Tamtam Film, Rosa Filmes, Arte France Cinéma, Bayerischer Rundfunk, Archipel Productions. Tous droits réservés.
Pacifiction Tourment sur les îles n’a pourtant pas été à la hauteur de sa réputation dans les cinémas. Typique d’un cinéma estampillé France Inter, Télérama et Les Cahiers du Cinéma, le thriller hypnotique, au rythme lent, déroutant car somnolant, est surtout une œuvre visuelle destinée aux aficionados d’un cinéma contemplatif jusqu’au-boutiste. Sur une durée de 2h40, la troisième et dernière partie, est néanmoins la plus convaincante dans son atmosphère, sa photographie et la beauté de ses images.
Curieusement, revenant sur les essais nucléaires français et une rumeur persistante de leur reprise au cœur du Pacifique, le film installe son actualité dans une France en proie à la peur du nucléaire russe (le conflit en Ukraine), à la crainte de pénurie de courant en raison des ruptures d’approvisionnement en pétrole en provenance de son ancien partenaire soviétique, et de la remise en cause de notre parc nucléaire. Quand, en plus, Jean-Paul Salomé évoque l’affaire politique d’Aréva, avec La syndicaliste (2023), la fiction du Pacifique et ses filtres de couleur merveille, se rattache étroitement à la réalité de nos vies.
Pacifiction n’est pas une œuvre consensuelle et partagera même les amateurs de films d’auteur au sein de la communauté des cinéphiles avertis, néanmoins elle impose sa différence et la patte d’un cinéaste intransigeant, rigoureux, au ton qui lui est inhérent, un artiste à la carrière sans frontière qui a trouvé dans un archipel de beauté l’inspiration d’une carrière.
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