Liberté d’Albert Serra est au cinéma d’auteur ce que Pourvu qu’elles soient douces de Farmer est à la pop, une réflexion sur le libertinage d’un autre âge. On préférera relire les éternels Huysmans, Sade et Georges Bataille qui nous parleront davantage.
Synopsis : Madame de Dumeval, le duc de Tesis et le duc de Wand, libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI, recherchent l’appui du légendaire duc de Walchen, séducteur et libre penseur allemand, esseulé dans un pays où règnent hypocrisie et fausse vertu. Leur mission : exporter en Allemagne le libertinage, philosophie des Lumières fondée sur le rejet de la morale et de l’autorité, mais aussi, et surtout, retrouver un lieu sûr où poursuivre leurs jeux dévoyés. Les novices du couvent voisin se laisseront-elles entraîner dans cette nuit folle où la recherche du plaisir n’obéit plus à d’autres lois que celles que dictent les désirs inassouvis ?
© Idéale Audience -Rosa Filmes -Andergraun Films
Photo : © Roman Ynan
Critique : L’œuvre qui divise n’est ni bonne ni mauvaise, mais transgressive, non pas ici dans ses ébats crus et lourdement filmés, mais dans sa radicalité de ton. Plus littéraire et théâtral qu’authentique travail cinématographique, Liberté, salué à Cannes par un Prix Spécial du Jury dans la Section Un Certain Regard, cite, récite, pense en penseurs des lumières du XVIIIe siècle, mais avec la lourdeur indigeste d’un cinéma qui paraît vieux de plusieurs décennies.
© Idéale Audience -Rosa Filmes -Andergraun Films
Photo : © Roman Ynan
Baisons-nous dans les bois
Albert Serra, qui aurait pu faire ce film à l’identique dans les années 70 et 80, avec les mêmes économies de moyens, déploie une nuit de débauche dans un bois, conviant élites et laquais à des jeux de voyeurisme et de partage, où tout est sombre comme la mort qui plane sur cette décadence de classe, d’époque et de pensée alternative.
Volontairement dépravés et malades, les dialogues tournent en rond, avec une diction belle, mais soporifique, quand l’exercice de torture du corps et de l’âme, dans un monde sans Dieu et sans repentance, échoue à susciter l’extase, la sensualité, la fascination ou un semblant de voyeurisme chez le spectateur qui aura bien du mal à participer mentalement à ses ébats d’un autre âge.
© Idéale Audience -Rosa Filmes -Andergraun Films
Photo : © Roman Ynan
Liberté est surtout à court d’idées nouvelles
Pourtant, derrière ce nouveau film historique à costumes de l’Espagnol Albert Serra, décidément obsédé par la Renaissance française, c’est bien un discours de liberté contemporain que l’on saisit, puisqu’après tout, les libertins d’hier, aussi cachés étaient-ils, n’ont rien à envier à ceux de notre époque qui se mélangent dans d’autres cadres, urbains comme à Berlin, que l’auteur aime citer, ou d’Eden en toc, comme le Cap d’Agde, référence devant l’Éternel de Houellebecq.
Nous retiendrons qu’Albert Serra en parfait auteur qu’il est demeure cohérent dans son œuvre et évite tout dérapage moralisateur. Après, en sexualité, comme en cinéphilie, les goûts n’ont pas à s’expliquer et l’on s’engage dans la subjectivité des (dé)plaisirs.
Toutefois, une chose est sûre : Liberté ne sera jamais le nouveau Salò ou les 120 journées de Sodome de Pasolini, auquel il est inévitable de penser.
Critique : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 4 septembre 2019
© Roman Ynan