Objet filmique non identifié, Opération diabolique est une œuvre très étrange, magnifiée par une superbe photographie et une ambiance paranoïaque du meilleur effet. L’un des films les plus ambitieux avec Rock Hudson.
Synopsis : Un homme d’âge mûr, déçu par son existence monotone, reçoit un jour un coup de téléphone d’un ami qu’il croyait mort. Celui-ci lui propose de refaire sa vie en simulant sa mort. Il finit par signer un contrat qui lui permet de changer de visage et de repartir de zéro mais tout a un prix et cette nouvelle existence n’ira pas sans poser quelques problèmes.
Le troisième volet d’une trilogie paranoïaque informelle
Critique : Déjà auteur de deux films considérés comme des classiques de la paranoïa, à savoir Un crime dans la tête (1962) et Sept jours en mai (1964), le réalisateur John Frankenheimer était le candidat idéal pour porter à l’écran le scénario d’Opération diabolique (1966). Celui-ci a été écrit par le débutant Lewis John Carlino à partir d’un roman de David Ely intitulé Seconds, publié au début des années 60.
A priori, il fallait oser porter cette très étrange histoire au grand écran, puisqu’aucun élément n’était fait pour plaire au grand public. Tout d’abord, l’intrigue ne propose pas de véritable héros puisque l’homme qui aspire à changer de vie est un être indécis et fade dont l’existence même est totalement morne. Ensuite, l’univers dans lequel les auteurs le plonge s’inspire visiblement beaucoup de Kafka et notamment de son enfer bureaucratique. Pire, afin d’être certain d’éconduire le grand public, le long-métrage est d’un pessimisme et d’une noirceur totalement glaçante qui se termine même de la manière la plus sombre possible.
Rock Hudson dans un total contre-emploi
Pour faire passer la pilule, les producteurs ont proposé à John Frankenheimer de prendre la star Rock Hudson dans le rôle principal. Peu enthousiaste à cette perspective, Frankenheimer accepte toutefois de rencontrer l’acteur qui s’avère ravi de briser son image de comédien léger. Il faut dire que celui-ci enchaîne alors les comédies à succès avec sa duettiste Doris Day. Avec Opération diabolique, Rock Hudson entend prouver qu’il n’est pas qu’un physique chatoyant qui plaît aux dames mais qu’il sait aussi jouer la comédie. Pour incarner à l’écran le premier Arthur Hamilton, Frankenheimer a également le courage de faire appel à l’acteur John Randolph. Effectivement, le comédien ne peut plus travailler depuis maintenant une quinzaine d’années à cause de son placement sur la liste noire d’Hollywood par le maccarthysme. On sent l’acteur très heureux de fouler à nouveau un plateau et sa prestation est excellente.
© 2014 Paramount Pictures. All Rights Reserved.
Mais pour renforcer encore davantage l’étrangeté de cette histoire où un homme change d’identité grâce à une mystérieuse compagnie privée toute puissante, Frankenheimer a été soutenu dans sa démarche radicale par le chef opérateur James Wong Howe qui a derrière lui une carrière riche de plus de 130 titres depuis l’époque du muet. Les deux hommes ne cessent d’expérimenter en multipliant les perspectives brisées, les angles tarabiscotés et les déformations optiques par l’emploi du grand angle. On note aussi l’emploi novateur de la caméra portée par les acteurs eux-mêmes. Enfin, Frankenheimer ose chahuter le montage en cassant les codes traditionnels, passant notamment violemment de très gros plans à des plans d’ensemble, sans aucune transition.
Un film inconfortable qui anticipe le cinéma de David Fincher, entre autres
Ainsi, le cinéaste parvient à rendre la projection inconfortable, ce qui est encore renforcé par l’excellente partition musicale du grand Jerry Goldsmith. Peu à peu se dessine donc un univers science-fictionnel au bord de la folie. Même si le long-métrage n’a eu aucun succès à sa sortie, il a bien évidemment beaucoup inspiré les cinéastes du monde entier. On songe en premier lieu à David Fincher pour son The Game (1997) au principe narratif similaire, mais aussi à John Woo pour Volte/face (1997).
Très efficace en tant que pur objet cinématographique, Opération diabolique interroge également le spectateur sur la tendance de l’homme moderne à être nombriliste et à ne rechercher que le bonheur matériel au détriment de toute transcendance. A vouloir remplir sa vie d’objets, à trop vouloir se conformer au moule préétabli par la société, ne perdons-nous pas de vue qui nous sommes vraiment et ce que nous souhaitons faire de notre court passage sur terre ? Autant de questions hautement philosophiques auxquelles les auteurs ne répondent pas, mais qui mettent à mal le modèle d’American Way Of Life vanté à l’époque dans tous les magazines.
Un gros échec commercial, longtemps tombé dans l’oubli
Hautement corrosif et sans aucun doute trop en avance sur son temps, Opération diabolique a été présenté au Festival de Cannes en 1966, ne recevant que des quolibets de la part d’une critique trop centrée sur la forme et évitant d’évoquer le fond du film. Aux États-Unis, le long-métrage n’a obtenu aucun succès, ce qui n’est pas très étonnant puisque le public majoritairement féminin de Rock Hudson n’était pas prêt à voir son gendre idéal dans un film complètement dingue.
La France a attendu pour diffuser enfin le long-métrage qui sort sous le titre Opération diabolique la même semaine que Grand Prix (1966), l’autre grosse production de Frankenheimer avec Yves Montand dans le rôle principal. Présent dans peu de salles, Opération diabolique n’a glané que 10 057 entrées à Paris, tandis que la France entière a ignoré le thriller fou (26 400 paranoïaques dans les salles). Pourtant, au cours des années, ce métrage rare a acquis un statut de film culte, largement mérité tant il s’évertue à casser les règles du cinéma hollywoodien.
Si cet OFNI (Objet Filmique Non Identifié) n’a jamais eu les honneurs d’une sortie vidéo en France, le métrage est toutefois ressorti en salle dans une version restaurée en 2014 par les bons soins du distributeur Lost Films. On attend désormais un éditeur valeureux pour se lancer, même si le cœur de cible est assurément réduit aux cinéphiles amateurs de curiosités.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 mars 1967
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© 1966 Joel Productions – John Frankenheimer Productions Inc. – Gibraltar Productions / Affiche : Roje. Tous droits réservés.
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John Frankenheimer, Murray Hamilton, Rock Hudson, John Randolph, Frances Reid