Navajo Joe est un western italien valeureux qui bénéficie d’un budget confortable, de scènes d’action efficaces, d’une excellente musique de Morricone et d’une réalisation baroque de Corbucci. Foncièrement sympathique.
Synopsis : Un village d’Indiens Navajos est pillé et ses hommes massacrés. Alors que les bandits s’enfuient, il ne reste qu’un seul survivant, Joe, dont la femme fait partie des victimes. L’Indien part à la poursuite des hors-la-loi en jurant de venger sa tribu.
Un budget confortable alloué par De Laurentiis
Critique : Alors que le western italien connaît une forte popularité au milieu des années 60 grâce au succès international remporté par Sergio Leone, le cinéaste Sergio Corbucci contribue lui aussi à développer ce sous-genre par une série de films inégaux, mais souvent de bonne tenue. En 1965, il vient d’effectuer sa mue artistique avec l’extraordinaire Django qui intègre enfin tous les excès baroques du genre, là où ses précédents efforts étaient plus respectueux des conventions hollywoodiennes.
Désireux de surfer sur cette vague, le producteur Dino De Laurentiis se lance dans l’aventure du western spaghetti en 1966 en finançant coup sur coup Du sang dans la montagne (Lizzani) et Navajo Joe (Corbucci). Comme à son habitude, le nabab italien met les petits plats dans les grands et offre à Sergio Corbucci un budget confortable qui lui permet de tourner dans de vastes studios romains, mais aussi en Espagne dans les magnifiques paysages offerts par Almería.
De l’action pied au plancher
Cette opulence se retrouve également au niveau du casting puisque Corbucci peut s’offrir les services de Burt Reynolds, acteur américain qui commence à acquérir une certaine popularité à la télévision américaine. On notera d’ailleurs que Navajo Joe reste l’unique contribution de Burt Reynolds au cinéma européen et qu’il retourne rapidement aux Etats-Unis où il accédera au statut de star après le séisme Délivrance (Boorman, 1972).
Cet apport d’argent se retrouve à tous les niveaux dans Navajo Joe, que ce soit dans la magnificence des paysages, la beauté des décors, le soin apporté aux costumes, mais aussi à la profusion de scènes d’action. Tonitruant, le spectacle est particulièrement généreux, avec une excellente exploitation d’un train (son assaut donne lieu à un carnage particulièrement efficace), mais aussi de très nombreuses fusillades et autres chevauchées furieuses. On sent que Sergio Corbucci s’amuse comme un petit fou.
On saupoudre le tout d’une dénonciation du racisme
Certes, on aurait sans doute aimé un peu plus de rigueur dans l’écriture du scénario qui mixe un peu tous les thèmes à la mode (l’inévitable vengeance, mais aussi les chassés-croisés pour obtenir une importante somme d’argent), mais l’ensemble est suffisamment dynamique pour faire oublier les inévitables trous d’air narratifs. On signalera également l’originalité qui consiste à faire du héros un Indien, puisque les Peaux-Rouges sont rarement visibles dans le cinéma transalpin. Dans ce rôle monolithique, Burt Reynolds est plutôt charismatique et ses prouesses physiques nous rappellent qu’il a aussi commencé comme cascadeur.
Au passage, Corbucci en profite pour dénoncer le racisme à l’œuvre aux Etats-Unis et livre même un dialogue accusateur où Joe insiste sur le fait que ses ancêtres arpentent ces terres américaines depuis bien plus longtemps que les récents colons blancs. Ce n’est pas d’une grande finesse, mais cela fait toujours du bien à entendre.
Un film excessif et baroque
Toutefois, là où Navajo Joe ne fera pas l’unanimité, c’est dans son traitement à l’italienne d’un sujet très américain. Les aficionados du western classique seront ulcérés par les excès de Corbucci, tandis que les fans de spaghetti movie seront aux anges. Cela commence par une première scène de massacre bien gratinée, sur une musique agressive du grand Ennio Morricone (ici sous le pseudo de Leo Nichols, on se demande bien pourquoi). Cela continue avec l’assaut du train où le cinéaste ose montrer l’assassinat brutal d’une mère de famille devant son bébé (scène qui fut coupée dans son exploitation des années 60).
On adore également l’habituel passage à tabac du héros où Corbucci fait preuve d’un sadisme prononcé. Le tout est filmé à grands renforts d’angles tarabiscotés, de déformations optiques et de gros plans sur des trognes impossibles. Sans être un sommet de cinéma baroque, Navajo Joe ose toutefois pousser le curseur assez loin dans ce domaine. Ceci est encore illustré par le duel final qui a lieu dans le campement indien fantôme, au milieu de cranes plantés sur des piques, pour finir par un meurtre de sang froid à coup de tomahawk.
Du pur western rital, pour le plus grand bonheur des fans
Tous ces débordements font aujourd’hui la joie des amoureux du genre, mais ils ont contribué à l’époque à rabaisser le genre aux yeux de la critique, effrayée devant tant de violence. A voir de nos jours, Navajo Joe est plutôt une bonne surprise. S’il n’est assurément pas le meilleur film du réalisateur (bien meilleures encore sont des œuvres comme Django, Les cruels ou Le grand silence), il constitue un opus valeureux.
Sorti à Paris la même semaine que Le bon, la brute et le truand (Leone, 1966), Navajo Joe n’a pas vraiment pu lutter et n’a connu qu’une exploitation rachitique sur la capitale. Par contre, il a nettement mieux fonctionné en province où il a fini par cumuler 478 675 entrées.