Film de l’étrange qui tire vers le conte fantastique, Morgiana est une œuvre à la fois conformiste dans son script, mais novatrice par son style baroque et ses délires visuels. Un grand Juraj Herz.
Synopsis : Se sentant défavorisée suite à l’héritage de leur père, Viktoria, tenancière d’une maison de débauche, décide d’empoisonner sa sœur, la belle et vertueuse Klara. Dans un jeu de miroirs hallucinatoires, Viktoria va se retrouver face à ses propres délires schizophréniques.
Un film de commande dynamité par Juraj Herz
Critique : En 1971, le réalisateur Juraj Herz rencontre un très beau succès en Tchécoslovaquie avec son drame Les lampes à pétrole où il confrontait les deux acteurs Iva Janžurová et Petr Čepek. On lui propose donc d’enchaîner immédiatement avec un autre projet qu’il devra tourner avec les mêmes acteurs et la même équipe technique. Il s’agit cette fois de l’adaptation du roman Jessie et Morgiana d’Alexandre Grine, dont le script de Vladimír Bor reprend fidèlement les péripéties. Pourtant, ce scénario n’emballe pas particulièrement Juraj Herz qui accepte de réaliser le film, en espérant le réécrire durant le tournage.
Alors que le roman distingue clairement les deux sœurs au centre de l’intrigue, Juraj Herz décide de confier les deux personnages à la même actrice, à savoir Iva Janžurová. De même, initialement le prénom Morgiana est celui de l’une des sœurs, alors que dans le film, il désigne le chat de la maléfique Viktoria, opposée à la gentille Klara. En fait, Juraj Herz souhaitait réellement traiter du thème de la gémellité, tout en créant un twist final qui faisait de la jeune femme une schizophrène – un peu dans le style du Split de Shyamalan.
Une fin dictée par les cadres du Parti
Malheureusement, lorsque le dessein du cinéaste est apparu clairement aux apparatchiks du Parti communiste, ils ont opposé un refus catégorique. On ne pouvait pas parler de folie et de désordre mental dans la Tchécoslovaquie socialiste. Dès lors, Juraj Herz a été contraint de finir son film par un rétablissement de la morale, avec le triomphe du bien face à la condamnation du mal. Malgré cette fin quelque peu conventionnelle qui correspond finalement à l’atmosphère de conte développée durant tout le long-métrage, Morgiana ne déçoit pas tant sa fin demeure suffisamment cruelle envers celle par qui le mal arrive.
Alors qu’aucun élément n’est vraiment fantastique dans son intrigue de thriller, Morgiana peut pourtant être affilié au genre par son traitement esthétique qui le rapproche à la fois du cinéma gothique et surtout baroque. Marqué par une esthétisation très prononcée, le métrage étonne encore aujourd’hui par ses excès visuels. Ainsi, le réalisateur s’est procuré une caméra fish-eye à une époque où elles n’existaient pas en Tchécoslovaquie pour pouvoir filmer en vue subjective les déplacements du félin qui jouera un rôle majeur à la fin du film. Ainsi, de nombreux plans se rapprochent du Chat noir (Lucio Fulci, 1980) par son emploi d’une caméra très mobile et du grand angle qui déforme le cadre.
Morgiana, un humour camp appréciable
Par son attention maniaque aux décors et aux costumes, Juraj Herz rend également hommage au mouvement de l’Art nouveau viennois. Ainsi, toutes les actrices sont outrageusement fardées pour évoquer les créatures peintes par Klimt au début du 20ème siècle. Cela ajoute une dimension camp au long-métrage puisque les femmes sont globalement des harpies qui cherchent à s’entretuer ou à se faire chanter les unes les autres. Outre sa dimension fantastique, Morgiana est donc également marqué par un humour cruel qui explose un peu plus lors de son final très ironique.
En fait, Juraj Herz s’est débrouillé pour dynamiter son film de l’intérieur puisqu’il n’était pas satisfait du script qu’il avait à illustrer. En forçant volontairement le trait, il a créé une œuvre outrancière et parfois hallucinante – certains plans semblent avoir été réalisés sous LSD – qui tranche avec le tout-venant de la production tchécoslovaque voulue par le Parti.
Une œuvre ambitieuse, mais enterrée par les communistes
D’ailleurs, le réalisateur a eu des soucis pour diffuser son film en Tchécoslovaquie. Même s’il a obtenu le Hugo d’or au Festival de Chicago en 1973, Morgiana a été finalement peu vu à l’étranger puisque sa sortie a été limitée aux pays de l’Est – et dans quelques salles seulement. Cet échec majeur a d’ailleurs contraint le cinéaste à œuvrer dans le téléfilm durant deux longues années.
Il s’agissait clairement d’une punition de la part des officiels du régime qui n’étaient pas satisfait de ce Morgiana trop étrange à leurs yeux. Depuis cette époque, le long-métrage a bénéficié de plusieurs sorties en vidéo qui ont permis de le ressusciter. Ainsi, l’éditeur Artus livre aujourd’hui une superbe édition du film dans une copie magnifiquement restaurée. Les cinéphiles doivent donc impérativement casser leur tire-lire.
Critique de Virgile Dumez
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Juraj Herz, Iva Janžurová, Josef Abrhám
Mots clés
Cinéma tchèque, Thriller domestique, Les chats au cinéma