Désormais réévalué par les fans de Mario Bava, L’île de l’épouvante est pourtant un thriller boiteux et passablement ennuyeux qui est uniquement sauvé par la maîtrise indéniable du réalisateur sur le plan formel et par sa misanthropie clairement affichée. Un peu maigre, toutefois.
Synopsis : Le professeur Farrell est invité à passer le week-end dans la demeure d’un industriel fortuné. Une fois sur place, il se retrouve, ainsi que les autres occupants de la maison, pris au piège d’un terrible tueur.
Mario Bava, éternelle roue de secours des producteurs italiens
Critique : Dans une mauvaise passe à cause de l’échec commercial de son précédent thriller Une hache pour la lune de miel (1970) et de l’interdiction d’exploitation en Italie de son film sexy Une nuit mouvementée (1970), le réalisateur Mario Bava accepte de rendre service aux producteurs Mario et Pietro Bregni qui le prient de prendre en cours de route la réalisation de L’île de l’épouvante (1970). Effectivement, cette petite production devait initialement être mise en boite par le vétéran Guido Malatesta qui se trouve dans un état de santé précaire – il décède d’ailleurs peu de temps après. Prévenu le vendredi pour un tournage le lundi suivant, Mario Bava accepte la besogne contre un gros chèque, même s’il s’aperçoit très rapidement de la médiocrité du scénario de Mario di Nardo qui s’inspire à la limite du plagiat – des Dix petits nègres d’Agatha Christie.
Le point de départ est rigoureusement identique à celui du livre culte de la reine du suspense littéraire et place donc une poignée de personnages sur une île isolée qui vont progressivement disparaître du fait d’un mystérieux meurtrier. Bien entendu, Mario di Nardo a modifié quelques éléments – dont le mobile des meurtres – mais il est difficile de faire abstraction de la filiation avec l’œuvre littéraire. Pire, Mario Bava doit faire face à un scénario mal écrit, où les différents protagonistes sont unidimensionnels et sans la moindre once de psychologie.
L’île de l’épouvante pâtit d’un casting peu charismatique
Lorsqu’il arrive sur le plateau, il doit composer avec un casting déjà constitué et une équipe technique qu’il ne connaît pas. En ce qui concerne les comédiens, il ne se déclare satisfait que de la prestation de Maurice Poli qu’il est d’ailleurs le seul à avoir engagé sur des œuvres postérieures. Tous les autres lui paraissent fades ou inadaptés, ce qui aura une incidence sur l’ensemble du long-métrage, marqué par un jeu très approximatif de la plupart des acteurs.
Tourné en seulement dix-neuf jours, L’île de l’épouvante n’a pas été de tout repos car les journées de travail se sont éternisées. Toutefois, conscient de la médiocrité de l’histoire qu’il a à illustrer, Mario Bava a introduit des trouvailles visuelles de son cru qui permettent de valoriser le produit fini. On apprécie notamment l’ironie sous-jacente et sa description mordante d’une humanité détestable. En réalité, avec L’île de l’épouvante, le cinéaste bascule dans la misanthropie qui sera une caractéristique de son cinéma des années 70. Pour cela, il se sert judicieusement de la musique composée par Piero Umiliani, utilisée ici en décalage avec les images.
Un thriller aussi vide que ses protagonistes principaux
Malheureusement, certains choix se révèlent plus gênants comme cette volonté de ne jamais montrer les meurtres, à tel point qu’on ne sait pas toujours de quelle manière les protagonistes décèdent. L’intrigue s’effiloche au fur et à mesure que le temps passe et L’île de l’épouvante brasse régulièrement du vide, à la recherche d’une histoire qui serait vaguement intéressante. En réalité, le film décrit, comme autrefois Michelangelo Antonioni dans L’avventura (1960), une bourgeoisie d’une superficialité crasse et dont les existences ne servent tout bonnement à rien. Ils peuvent ainsi disparaître du jour au lendemain sans que personne ne s’en inquiète. Cette dimension métaphorique évidente est pour beaucoup dans la réévaluation de cette petite série B considérée longtemps comme un mauvais film.
En fait, L’île de l’épouvante n’est clairement pas un bon thriller à machination puisque son intrigue est incohérente et que l’ensemble souffre d’un rythme languissant. Toutefois, il peut aujourd’hui être réévalué à l’aune de l’ensemble de l’œuvre de Mario Bava. Le film semble ainsi clore le cycle des thrillers esthétiques du cinéaste pour aborder des années 70 plus littérales et grossières – voir l’abus de plus en plus flagrant du zoom. Mais surtout, le métrage annonce de manière évidente le coup magistral représenté par La baie sanglante (1971).
Le brouillon de La baie sanglante
Sorte de brouillon mal dégrossi du proto-slasher, L’île de l’épouvante en annonce clairement la noirceur du point de vue, ainsi que la volonté du réalisateur de s’affranchir de la narration classique pour s’immerger dans un cinéma plus radical et sensoriel. Pourtant, si l’on excepte quelques très belles scènes, le décalque des Dix petits nègres ne possède pas un dixième de la magie et de l’efficacité de La baie sanglante. La faute sans aucun doute à une précipitation dans sa conception qui vient largement contredire les analyses parfois très poussées des critiques contemporains qui n’hésitent pas à surinterpréter les intentions du réalisateur.
D’ailleurs, lui-même ne déclarait-il pas à propos de L’île de l’épouvante qu’il s’agit d’:
Un film miteux, le plus mauvais que j’aie réalisé.
Certes, on ne souscrit pas totalement à ce jugement péremptoire de la part d’un cinéaste qui en a détesté le tournage, mais force est d’admettre que le film constitue bien un opus très mineur dans la filmographie riche en pépites d’un auteur parfois contraint à réaliser des œuvres alimentaires. Il y apporte assurément sa patte, mais cela n’est pas toujours suffisant pour relever le mets proposé.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Sorti à Paris le 22 novembre 1972, L’île d’épouvante trouva 6 000 spectateurs lors de son unique semaine d’exploitation, au Colorado. Le thriller sortira 10 ans plus tard en VHS chez VIP, et 30 ans plus tard, dans les années 2000, dans un DVD vendu avec le magazine Mad Movies, de piètre qualité.
Il faudra attendre cinquante ans pour obtenir, en France, une édition blu-ray et DVD qui rendra réellement hommage au parti pris esthétique de Mario Bava.
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 22 novembre 1972
Mario Bava : 6 films pour l’assassin
Biographies +
Mario Bava, William Berger, Edwige Fenech, Howard Ross, Teodoro Corrà, Ely Galleani, Ira von Fürstenberg