Faux thriller, mais véritable déambulation poétique au cœur du Paris noctambule, L’étrangleur appartient au meilleur de Paul Vecchiali, cinéaste de la marge à redécouvrir.
Synopsis : Enfant, Émile a croisé, lors d’une fugue nocturne, un criminel qui étrangla une femme en pleurs sous ses yeux. Marqué à vie, Émile essaie, aux abords de la trentaine, de faire revivre cet instant “précieux”. Il amasse ainsi dans la journée les renseignements nécessaires à l’accomplissement de ce qu’il ne croit pas être un crime.
Paul Vecchiali décrit le Paris des marginaux
Critique : Au cours des années 60, le cinéaste Paul Vecchiali se lie d’amitié avec Jacques Demy et participe régulièrement au magazine Les Cahiers du Cinéma. Dans la mouvance de la Nouvelle Vague, il réalise un premier long-métrage muet intitulé Les petits drames (1961), considéré comme perdu, puis signe Les ruses du diable (1966) qui est un gros échec commercial. Dès lors, Paul Vecchiali se met à travailler sur des scripts pour certains producteurs sans être crédité. Durant cette période incertaine, le cinéaste se met également à errer dans le Paris des noctambules où il prend des notes et observe ce monde des marginaux qui le touche.
Ainsi, il échafaude un script intitulé L’étrangleur évoquant les errances nocturnes d’un homme qui étrangle des femmes désespérées et suicidaires. Son but est d’élaborer un scénario de thriller qui serait surtout un prétexte pour décrire des personnages en marge, évoluant dans ce Paris nocturne qu’il a pu observer. Par l’entremise d’Eva Simonet, Paul Vecchiali est mis en relation avec Jacques Perrin (le frère d’Eva) qui est séduit par la personnalité du réalisateur, mais n’est pas intéressé par le rôle principal du film dont il saisit mal la personnalité trouble. Pourtant, après avoir reçu l’avance sur recettes, Jacques Perrin va finir par accepter de participer à l’aventure, encore une fois davantage par sympathie pour le réalisateur que par pure conviction.
Vecchiali invente le serial killer altruiste
Il faut dire que le cinéaste aime bouleverser les codes généralement attachés au genre du polar. Ici, le trauma initial – un gamin assiste au meurtre d’une femme par étranglement – tient davantage d’un enchantement pour le personnage principal. Loin d’être un serial killer classique, le personnage joué avec beaucoup de douceur par Jacques Perrin est en réalité un grand naïf qui cherche à rendre service à des femmes arrivées en bout de course. Ainsi, il ne fait que devancer de quelques heures la mort de femmes suicidaires. De même, il parcourt ce monde de la nuit avec le regard d’un innocent qui aurait en quelque sorte conservé son âme d’enfant.
Traqué par la police – très ambigu Julien Guiomar – mais aussi par une jeune femme qui est tombée amoureuse de lui (très juste Eva Simonet) et par un voleur qui profite des crimes pour voler les victimes (étrange personnage joué avec talent par Paul Barge), l’étrangleur va voir son monde fantasmatique s’effriter à mesure que ses illusions s’effondrent. Alors qu’il semble idéaliser cet univers interlope, la trahison de l’inspecteur qui le traque finit par ouvrir les yeux de l’assassin sur sa propre condition, et aussi sur le caractère impitoyable du monde de la nuit.
Comme un air de réalisme poétique des années 30
Si L’étrangleur (1970) désarçonne sans cesse par les interactions étranges qui lient les différents personnages, le long-métrage s’avère attachant par la description à la fois réaliste et poétique d’un monde dominé par les gens de la marge. Ainsi, on adore certains personnages périphériques comme cette comédienne en bout de course magnifiquement incarnée par la talentueuse Hélène Surgère – une habituée du cinéaste – ou encore cette assemblée de prostituées menées par la toujours formidable Nicole Courcel.
Habité par une poésie nocturne séduisante, L’étrangleur peut ainsi se rattacher à un certain courant du cinéma des années 30 que l’on nomme le réalisme poétique. Pas étonnant lorsque l’on sait que Paul Vecchiali est un grand spécialiste du cinéma français de cette époque, qu’il maîtrise sur le bout des doigts. On retrouve donc dans L’étrangleur des thématiques dures et violentes, mais traitées de manière douce et avec même une certaine tendresse. Pour preuve, la plupart des meurtres sont hors champ et semblent même désincarnés.
Une belle virtuosité technique, toujours au service des personnages
Malgré des moyens que l’on imagine très limités, Paul Vecchiali fait preuve ici d’une belle virtuosité technique avec une caméra très mobile, parfois installée sur une grue. Les images de Georges Strouvé subliment les paysages nocturnes de la région parisienne, tandis que le montage parfois psychédélique de Françoise Merville permet d’élever le film au rang des œuvres d’art importantes des années 70. Bien entendu, certains auront peut-être un peu de mal avec l’artificialité de la diction de certains acteurs, mais tous les amoureux de la Nouvelle Vague ou encore du cinéma de Robert Bresson seront aux anges.
Tourné en 1970, L’étrangleur a connu une post-production très longue liée à son montage complexe, puis a eu du mal à sortir sur les écrans, malgré un passage par la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 1970. Finalement, le film est apparu dans quelques salles au mois de septembre 1972 pour un résultat globalement insignifiant. Toutefois, il est devenu petit à petit une référence pour les amateurs du cinéma intransigeant de Paul Vecchiali. Le long-métrage a même été repris en salles en 2015 car il initie de bien belle manière une œuvre malheureusement encore trop méconnue, mais qui mérite d’être revisitée par les cinéphiles les plus pointus.
Critique de Virgile Dumez