Les loulous, obscur film français des années 70, engeance désabusée d’une décennie de béton armé, est une expérience de cinéma et de sociologie révélatrice de son époque et sa jeunesse désenchantée.
Synopsis : Dans les années 1970, en banlieue parisienne, quand elle ne passe pas le temps à faire de la moto dans les terrains vagues, une bande de jeunes paumés menée par Ben joue les terreurs dans les quartiers. Ses exactions provoquent régulièrement des conflits avec la population, notamment avec Tramoneur, le patron du café servant de quartier général aux loubards. Jusqu’au jour où l’inévitable se produit : à la suite d’une rixe, Dédé, le frère de Ben, est tué d’un coup de fusil par Tramoneur. Ben jure alors de le venger… quelles qu’en soient les conséquences !
Une œuvre complètement inconnue
Critique : Totalement passé inaperçu en salle, Les loulous n’est resté que deux semaines à l’affiche sur Paris et sa périphérie si chère à cette production seventies qui se déroule près de Créteil, à la Courneuve ou à Bobigny. Lâché dans treize salles, le petit film français subit un verdict sans appel : 18 284 curieux en première semaine, 5 186 en deuxième. Puis, il disparaît sans laisser de trace dans l’histoire du cinéma. Patrick Cabouat, en tant que cinéaste, ne pourra pas poursuivre comme réalisateur de fiction, puisque forcément désigné coupable de la mésaventure par la critique. En 1976, Les loulous avait pourtant été programmé à Cannes dans le cadre des Perspectives du Cinéma Français, il est vrai dans des conditions épiques avec, selon l’auteur, une interruption de projection par une intrusion de motards dans la salle. Le bougre doit attendre près d’un an pour que le distributeur Parafrance se décide enfin à le lancer en salle. Une interdiction aux moins de 18 ans frappe sa sortie. Une situation alors typique des films sur la délinquance juvénile, au message subversif envers l’État, puisque Les loulous assène une critique évidente contre la gouvernance oppressive et la présidence giscardienne.
Projet difficile dans un contexte 1976 peu conciliant
Dans un contexte difficile pour le septième art français alors en crise – baisse des entrées, du nombre de productions nationales, interrogations par rapport au cinéma X, exploitation incapable d’endiguer la perte de clients, renforcement du cinéma américain (Les dents de la mer est numéro du box-office quand très prochainement La guerre des étoiles va faire monter la cote du cinéma américain auprès du public cible), les 23 000 entrées du film vont faire basculer Les loulous dans l’anonymat, malgré une sortie VHS, sous le titre de Ben (Les loulous), chez Vidéo Soir, et ce jusqu’à la sortie d’un Blu-ray tombé du ciel chez l’éditeur Le Chat qui fume. Le félin fumeur ose ce que bien peu font, éditer une œuvre inconnue de tous, fidèle à ses convictions de permettre à toute une cinématographie oubliée d’exister, voire dans le cas présent, de survivre. Les loulous mérite donc que l’on s’intéresse à sa vision authentique sur la jeunesse d’hier, paumée dans une société en crise entre deux chocs pétroliers.
Les loulous est évidemment un film de loubards, de marginaux ; on les appellerait aujourd’hui la racaille ou les kaïras, on a pu aussi les connaître sous l’appellation de blousons noirs dans les années 50-60. Le projet social et militant revêt un caractère intemporel dans sa peinture à fleur de peau du mal-être de la jeunesse. La thématique est éternelle, avec une frange de la population jeune qui se sent inadaptée aux normes de la société adulte. James Dean dans La fureur de vivre idéalisera cette figure torturée dès les années 50. Durant l’été 2021, lorsque Les loulous ressort, une certaine jeunesse voit dans le pouvoir exécutif un oppresseur, une autre fait les gros titres pour les violences dans les banlieues, d’autres jeunes blâment les adultes qui ont abîmé leur avenir par leurs choix passés. Jeunesse d’extrême droite qui braille, de gauche radicale qui bloque, bobo woke qui se choque elle-même, le tout dans un torrent de mal-être sur des réseaux sociaux pleurnichards… Il est donc temps de redécouvrir Les loulous pour mieux comprendre son époque et voir comment l’histoire se répète avec à chaque fois ses variables d’ajustement.
Le terrain vague du film de gangs rock et nihiliste
Dans les années 70, Les loulous n’est pas seul à blâmer ce que l’on appelle “le système”. Le schéma initiatique cassé qui précipite les jeunes gens dans la rébellion ou une forme d’anarchie, revient régulièrement dans la deuxième moitié des années 70. La jeunesse, qui s’est forgée une culture propre, développe surtout une contre-culture post-68, avec un goût pour l’underground et le bitume qui inspire son désir de territoire propre. Il est alors de bon ton pour certains jeunes de vomir le mainstream. Le film de loubard, très en vogue en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux USA en cette fin de décennie, accouche d’un tas de cousins. Les jeunes errent ensemble dans des décors d’urbanisme déliquescent ou d’une modernité ignoble. Le groupe devient bande ou gang, en fonction des cultures. L’Amérique a pris de l’avance dans la rhétorique. La caméra investit les quartiers dits chauds, les maisons de correction, les prisons. Violences sur la ville de Jonathan Kaplan, aux USA, est l’un de ses meilleurs jalons en 1979. Au Royaume-Uni, en 1979, le territoire était déplacé dans l’enfer carcéral et révélait Ray Winstone dans le jalon Scum. Les punks prennent d’assaut l’imaginaire d’une société qui se mure dans des blocs de béton. Dans Les loulous, la société redoute sa jeunesse jusqu’à vouloir la tuer ou la faire interner dans un hôpital psychiatrique, car le jeune dérange et sa réaction épidermique à l’État, qu’il soit gaulliste ou giscardien, fait de lui une menace à abattre.
Les loulous n’est pas du niveau des films précités. Néanmoins dans ses maladresses, il fait montre de caractère et d’un point de vue puissamment nihiliste. Son scénario pousse le protagoniste principal dans ses retranchements, avec une conclusion en forme de carnage. Le jusqu’au-boutisme de l’œuvre, on le retrouve aussi dans sa technicité. Le film de Patrick Cabouat souffre indéniablement du syndrome du premier long, affecté et gauche dans sa volonté de transcender par l’écriture, l’image et le son, la cosmétique fade du téléfilm. Le réalisateur livre une œuvre personnelle signifiante et le surligne au marqueur, sans donner forcément toutes les clés narratives aux spectateurs face à un film qui n’est pas un divertissement noir, mais une œuvre analytique à forte teneur métaphorique.
Les loulous, entre expérience artistique et audace expérimentale
Cabouat fait montre d’audaces dans sa mise en scène et son montage, y compris sonore. D’ailleurs, gare aux oreilles : cela peut faire mal par moments et l’on peut comprendre l’agressivité de certaines critiques envers le film à sa sortie. C’est aussi prétentieux et maladroit qu’intéressant et séduisant. Ce premier long a un caractère indéniable et arbore une certaine férocité, même si certains passages peuvent paraître pompeux ou grotesques. Cette différence crie une volonté de proposer une alternative au prêt-à-consommer. Forcément, ce type d’essai cinématographique peut paraître aujourd’hui davantage comestible qu’avant, à un âge où le cinéma contemporain traverse une crise d’inspiration dans le mainstream à tout-va.
La bande originale cyclique emprunte davantage aux sons expérimentaux de Pink Floyd et à la musique progressive allemande qu’au rock punk ou hard rock, alors tendance en France (1977 marque les débuts de Trust par exemple). Il existe un décalage aliénant entre l’univers de la jeunesse en friche qui habite ces images crues et la musique étrange qui désincarne les images. Le synthétiseur froid est l’instrument de l’aliénation même si l’histoire tourne aussi autour d’une romance esquissée avec le personnage joué par la très jeune Valérie Mairesse, née lors d’un concert de rock, dans une salle paumée de banlieue. Le groupe sur scène, c’est Little Bob Story, formation culte à la carrière longue de plus de quatre décennies. Little Bob (alias Roberto Piazza), l’égérie du groupe, issu du Havre, croisera sur sa route Aki Kaurismäki pour le film Le Havre. Les fans du groupe apprécieront particulièrement cette sortie miraculeuse en vidéo.
New Kids on the Block
Film sur la construction par la déconstruction, Les loulous est une critique politique évidente, un pensum social sur la bétonisation et la déshumanisation d’une banlieue terne, froide, où les terrains vagues attendent l’inspiration désastre des architectes à l’origine de bien des maux de notre époque. On a érigé des tombeaux en béton dans des cités dortoirs fonctionnelles, où l’humain a été oublié. Cette dimension sonne juste chez Cabouat, préfigurant, comme chez beaucoup d’autres de ses contemporains, un cinéma qui s’orientera davantage sur les conséquences au niveau de l’insertion des populations immigrées ou issues de l’immigration, dans les années 80, 90 et au-delà. La haine de Kassovitz (1995) est ainsi un descendant remarquable de cette vague de films des années 70.
Véra Belmont, productrice légendaire (La guerre du feu, 1981), accordait sa confiance, à l’époque, à Franju, Pialat, Yves Boisset, Téchiné, Vecchiali et même au sulfureux David Hamilton ; elle était aussi derrière des étrangetés perverses comme Le jardin des supplices ou Dehors dedans. Elle accepta aussi de suivre le jeune Cabouat dans cette étonnante aventure qu’est Les loulous. Malgré l’échec du film, l’amie d’Aldo Lado au caractère bien trempé, n’a pas à rougir d’avoir produit cette curiosité faussement stérile, tant elle enrichit un peu plus notre panorama d’un cinéma français décidément surprenant durant cette décennie barrée.