Le jardin des supplices : la critique du film et le test blu-ray (1976)

Horreur, Erotique, Drame, OFNI | 1h33min
Note de la rédaction :
6/10
6
Le jardin des supplices de Christian Gion, affiche par Siudmak

  • Réalisateur : Christian Gion
  • Acteurs : Roger Van Hool, Jacqueline Kerry, Tony Taffin, Ysabelle Lacamp, Robert Bazil
  • Date de sortie: 06 Oct 1976
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Le jardin des supplices
  • Titres alternatifs : -
  • Année de production : 1975
  • Scénariste(s) : Pascal Laine, d'après le roman éponyme d'Octave Mirbeau
  • Directeur de la photographie : Lionel Legros
  • Compositeur : Jean-Pierre Doering
  • Société(s) de production : Stephan Film / Alexia Films
  • Distributeur : Parafrance
  • Éditeur(s) vidéo : RCV (VHS), Echo (VHS), Le Chat qui Fume (Blu-ray)
  • Date de sortie vidéo : Août 2020 (Blu-ray, inédit en DVD)
  • Box-office : 65 715 entrées Paris-Périphérie (en 6 semaine)
  • Classification : Interdit aux moins de 16 ans
  • Formats : : 1 / Couleurs - Eastmancolor / Son :
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : Wojciech Siudmak (affiche cinéma originale, repris en VHS), Frédéric Domont (Blu-ray France)
  • Crédits : Stephan Film / Alexia Films
Note des spectateurs :

Le jardin des supplices est une œuvre intense et dérangeante, complexe dans ses différents degrés de lecture, et au pouvoir de subversion impeccable. La réalisation de Christian Gion, même si bien plus élaborée que celle de ses autres films, demeure la grande faiblesse de cette fable nihiliste de l’inéluctable apocalypse.

Synopsis : 1926. À la suite de problèmes liés à la drogue, Antoine Durrieu, jeune médecin dévoyé, est contraint de quitter la France et embarque à bord d’un navire en route pour la Chine. Durant la traversée, il fait la connaissance de la belle et trouble Clara Greenhill, fille d’une riche et influente personnalité basée à Canton. Dès son arrivée, Antoine va pénétrer dans un monde au cadre étrangement idyllique vicié par la torture et les meurtres, tandis qu’au dehors couve une révolution populaire.

Critique : 1975. Le cinéma français connaît une révolution par l’exploitation sans vergogne des choses du sexe. Jean-François Davy est devenu millionnaire avec le triomphe du documentaire porno Exhibition avec Claudine Beccarie, Emmanuelle a déjà attiré deux millions de Parisiens, et s’apprête à rester encore une dizaine d’années exploité sur les Champs Elysées, quand politiciens, journalistes, exploitants, artistes se déchirent sur la représentation graphique du sexe au cinéma qui obsède tant le public. Faut-il censurer la liberté d’expression et faire de la pornographie le cheval de toutes les batailles cinématographiques ?

L’adaptation d’un roman monstre et monstrueux

Le débat est sur toutes les bouches, et les opportunistes y voient l’occasion de faucher leur propre blé en adaptant les ouvrages les plus sulfureux… Vera Belmont, productrice de Vecchiali, Carné, Pialat, Boisset, Franju, Lanzmann, Giovanni, Téchiné, un monument dans le milieu, n’est pas contre un petit détour dans l’érotisme exotique pour s’enivrer du pétillant parfum de champagne que sabrait les producteurs d’Emmanuelle. Alors qu’elle ne trouvera le succès dans le genre qu’en 1980, avec le triomphe de Tendres cousines du futur cinéaste sulfureux David Hamilton, Véra Belmont décide de produire, en 1975, l’adaptation du roman inclassable, invariablement scandaleux, du romancier libertaire Octave Mirbeau. Le jardin des supplices paraît en 1899 et il faut bien un prix Goncourt pour adapter pareil roman monstre et monstrueux, avec toutes les libertés sur la narration, qui en font une adaptation que l’on peut qualifier indéniablement de libre.

Une production compliquée

Le jardin des supplices, affiche prévente teaser

Illustrateur © Ferracci

C’est ainsi à Pascal Lainé que revient l’honneur de traduire pour l’écran les pensées morbides, de sexe et de sang de Mirbeau. Lainé est l’auteur de La dentellière, Prix Goncourt en 1974, qui accouchera d’un classique du cinéma, en 1977, celui-là même qui révélera Isabelle Huppert. Le romancier s’éprendra lui-même du scénario de son roman Tendres Cousines,  pour David Hamilton, en 1980.

Pour produire la vision dantesque de Mirbeau au cinéma, Véra Belmont, via Stephan Films, s’associe à Alexia Films, boîte naissante qui accouchera par la suite de quelques comédies franchouillardes : Drôles de zèbres de Guy Lux, de nombreux Philippe Clair (Comment se faire réformer, Ces flics étranges venus d’ailleurs, Rodriguez au pays des merguez), mais aussi, de façon plus intéressante, Les loulous de Patrick Cabouat, Genre masculin de Marbeuf, et Les égouts du paradis de José Giovanni.

Christian Gion trempe dans l’exploitation pure

Dans un premier temps, la productrice engage le réalisateur Pierre Alain Jolivet pour verser dans le sadisme. Choix cohérent, le cinéaste sort de La punition, film érotique co-écrit par Richard Bohringer, adaptation du roman autobiographique de Xavière dans lequel une prostituée, ayant refusé des services à un client, est brutalement punie par son proxénète qui la soumet aux sévices masochistes les plus cruels. Des ingrédients malaisants pas incompatibles avec l’œuvre de Mirbeau aux yeux de Véra Belmont.

Mais in fine, le cinéaste est remplacé à la dernière minute par Christian Gion, qui monte à bord du navire colonial en décembre 1975 pour un tournage de quelques mois, essentiellement en France, même si le gros de l’action est censée se dérouler en Chine, dans les années 20. Gion ne manquera pas de critiquer le manque de moyens et confirme le caractère peu personnel d’une œuvre qu’il a abordée avec professionnalisme, mais sans passion. Le genre sombre ne relève vraiment pas de son univers personnel, celui de la gaudriole et de l’humour décomplexé. Gion sort néanmoins de la co-réalisation de Super Woman, documentaire scabreux sur le monde des transsexuelles, traité dans l’environnement de la prostitution, de façon misérabiliste et voyeuriste (inserts pornographiques à l’appui). Ce film sortira dans les salles françaises moins de quinze jours avant Le jardin des supplices.

Le jardin des supplices (photo, restauration 2020)

© Stephan Film / Alexia Films

Gion a surtout pour lui un film avec Bernard Blier sur son CV, depuis le mois de juin 1975, qui aurait peut-être décidé Véra Belmont à l’engager. C’est dur pour tout le monde, faute d’être un succès est une comédie honorable, avec des acteurs de premiers choix (Claude Piéplu, Bernard Le Coq et Francis Perrin, comédien de théâtre qui montait après La gifle, avec Ventura, Girardot et Adjani).

Le jardin des supplices et ses Fleurs du Mal

Avec Le Jardin des supplices, le futur réalisateur du Pion, des Diplômés du dernier rang et du Bourreau des cœurs, distille sans subtilité, mais avec une volonté de raffinement, l’atmosphère noire de la décadence morale. Il peint un monde colonialiste qui s’effrite, obscurcit par des perversités viscérales, et, non sans besogne, essaie de traduire une philosophie de transcendance par la souffrance, de la jouissance par la mort. Thématiquement et formellement, ce premier degré pictural se pose comme un véritable oxymore dans sa carrière et jamais il ne réitèrera dans le domaine. On a d’ailleurs réellement du mal à assimiler la sophistication des dialogues, des décors, vénéneux et tarabiscotés, au cinéma simple, goguenard et naturellement jovial de ses divertissements populaires.

Récit nihiliste d’une fin de monde décadent

Devant s’affranchir des codes du second degré, Gion est amené à intellectualiser l’horreur et se voit contraint de mettre en scène une gigantesque métaphore misanthrope qui vomit toutes formes de pouvoir. Les années 70 étant celles du corps libre mais qui se monnaie au box-office, le cinéaste se laisse aller à filmer l’érotisme exotique. L’acte sexuel est aussi déviant, comme requis par les rites iconoclastes des années 70, se laissant aller au sadisme vicieux, théâtral dans son portrait de la mise à mort, et malsain dans sa déchéance de la compassion humaine.

Signifiant avec ses moyens et son enthousiasme, pas toujours adaptés aux thèmes, la fin d’une race bourgeoise et corrompue, Gion aborde même la pédophilie sous la forme d’un mariage honteux entre un riche vieil homme blanc, symbole déliquescent du pouvoir déclinant qui va épouser une jeune autochtone de 12 ans. Heureusement, on évoque le mariage, mais on nous épargne toute représentation graphique. Le film est symbole du pourrissement d’un monde où la renaissance chinoise se fait néanmoins dans un monde jonché de cadavres.

Christian Gion, au mieux besogneux, n’est pas à la hauteur

Les contre-jours propres au filmage de l’époque peuvent agacer, le montage trop incisif ramener l’exercice à une servilité télévisuelle, mais la contextualisation philosophique, qui louche forcément sur l’œuvre de Mirbeau, mais aussi de Sade ou de Bataille, apporte de la consistance à l’horreur des mots et des situations. L’esprit libertaire et les contradictions multiples interpellent. L’abjection des personnages, vils, dépravés, anéantis dans leur âme par leur absence d’empathie, rend les scènes de torture, de simulacre de viol toujours difficiles à envisager. Dans une Chine où le pouvoir des Occidentaux est le reflet de leur décrépitude, où la rébellion semble tout aussi haïssable, l’on ne peut même plus compter sur la beauté vénéneuse (Jacqueline Kerry, Ysabelle Lacamp dans des rôles qu’elles portent avec une certaine férocité), jusque dans cet éden de mort, décor majestueux qui aurait gagné à être plus mis en valeur par un auteur de cinéma avec une vision, ce qui a toujours manqué à Christian Gion, forgeron sincère du gag en série.

Le jardin des supplices (restauration 2020)

© Stephan Film / Alexia Films

La résurrection d’un électron libre des années 70

Après une petite carrière en salle chez Parafrance, Le Jardin des supplices a beaucoup voyagé, semant ses mauvaises graines partout en Europe, y compris aux USA. Sa carrière en VHS, n’a pas laissé de racine, et il aura fallu Canal + pour permettre de redécouvrir cet électron libre dans une copie exécrable. Reste que peu de temps après le vilain Chat de l’édition blu-ray français l’a extirpé en blu-ray, pour une version intégrale, qui revient de loin dans le master. On redécouvre l’œuvre, à nouveau, on s’intéresse à nouveau à Gion que l’on aime voir aujourd’hui sous un angle plus hétéroclite. Un petit regret, le choix d’une jaquette 2020 qui ne reprend pas ce qu’il y a de plus beau dans ce Jardin des supplices, l’affiche surréaliste du peintre polonais Wojtek Siudmak, qui signa des affiches pour le Festival du Film Fantastique de Paris et qui œuvra même pour Cannes. Pour Le jardin des supplices, l’artiste libéra de son imaginaire sans frontière un pur bijou ésotérique que l’on vous laisse contempler ci-dessous. Evidemment, ce visuel transcende l’œuvre qui, elle, est bien loin de se parer d’une telle créativité. Néanmoins, passer à côté, serait nier les curiosités longtemps perdues des années 70, qui nous aident à mieux appréhender les frictions du microcosme cinématographique, mais aussi celles de notre société.

Frédéric Mignard

Sorties de la semaine du 6 octobre 1976

Le jardin des supplices de Christian Gion, affiche par Siudmak

© Siudmak

Box-office :

Le jardin des supplices au box-office (Christian Gion)

© Stephan Film / Alexia Films

Sortie dans le circuit Parafrance, Le Jardin des supplices, apparaît en salle le 6 octobre 1976, dans les cinémas le Publicis Champs-Elysées, le Max Linder, le Paramount Montparnasse, le Paramount Orléans, le Paramount Maillot, le Paramount Opéra, le Paramount Odéon, le Paramount Bastille, le Paramount Montmartre, le Boul’Mich. Une belle combinaison imposée par la force de frappe de Parafrance, distributeur du film.

L’adaptation du roman de Mirbeau est distribuée 2 semaines après le documentaire hard sur les transsexuels qu’a co-réalisé Christian Gion, Super Woman.

Les autres sorties du jour :

  • Africa Express (Ursula Andress)
  • Boxeurs contre dragons jaunes
  • Enfin l’amour de Peter Bogdanovich, avec Burt Reynolds
  • King Kong s’est échappé 
  • Les naufragés de l’île de la tortue de Jacques Rozier, avec Jacques Villeret
  • Pour quelque chose de plus
La marge, l'affiche

© 1976 Paris Film Productions. Tous droits réservés.

La carrière du film de Christian Gion est courte. En première semaine, grâce à une absence de toute nouveauté d’envergure, c’est évidemment le nouveau film qui s’en sort le moins mal, avec 31 685 Parisiens à bord de son navire colonial. Mais l’échec est patent, puisqu’il n’entre qu’en 9e place. Il ne fait pas le poids face à la comédie pachydermique Un éléphant ça trompe énormément qui trône encore au sommet. Fantasia de Disney, Les hommes du président, Barry Lindon, Cours après moi… que je t’attrape, Dracula père et fils lui donnent tous du fil à retordre. Mais, le miroir de son échec est  La marge, le film érotique de Borowczyk qui, en 3e semaine, se situe à 32 514 fans de Sylvia Kristel. Un sale coup confirmé par la deuxième semaine, puisqu’il plonge à 18 251 spectateurs quand La Marge s’effrite à 26 630 curieux pour sa 4e semaine d’exploitation.

Après ce démarrage poussif, Le Jardin des supplices est à peine présent chez 4 exploitants (au Publicis Champs Elysées, Paramount Opéra, Paramount Gobelins et Paramount Montparnasse) en 4e semaine. L’étrangeté cinématographique en est réduite à 3 571 spectateurs, pour un total de 62 118 tickets vendus. Un destin funeste confirmé à l’issue de 6 semaines d’exploitation et un total peu mirobolant de 65 715 entrées. Heureusement, Véra Belmont vendra le film partout dans le monde…

Frédéric Mignard

Le test blu-ray

Film rare, peu vu en France, y compris en VHS, Le jardin des supplices a fait un retour à la télévision sur Canal + dans une piètre copie. Celle du Chat qui Fume, une exclusivité mondiale en HD, permet vraiment de redécouvrir cette œuvre étonnante, faute d’être exaltante, avec certaines limites techniques. On notera des bonus moins denses que les autres films du matou du bis.

Compléments : 2.5  /5

Une longue interview carrière avec Christian Gion, de près de 30 minutes, permet au paroissien de la comédie franchouillarde, de faire entendre une voix juste et honnête sur une carrière oubliée ou méconnue. On émettra quelques réserves sur ses explications quant à ses incursions dans l’érotisme, qui semble contredire tant de sources. A prendre sous caution. L’esprit frais de l’auteur, plein de bons souvenirs autour d’œuvres qu’il ne renie pas, mérite un détour cinéphile. Ses explications vertueuses ne cherchent pas à développer de façon intarissable ses expériences, comme d’autres cinéastes aiment le faire. Il faut parfois savoir le relancer…

Christian Gion évoque ses films préférés, notamment Le Provincial, avec Roland Giraud, qu’il a choisi pour des raisons personnelles (cette production oubliée a en effet été un échec) ; il aborde le sujet de ses amitiés dans le cinéma, pourquoi il n’est pas devenu un nouveau Zidi (donc un réalisateur de comédies avec stars de premier plan vraiment bankable…). Et évidemment, l’artisan de la comédie populaire évoque longuement Le jardin des supplices, ses rapports avec les acteurs, la production… Il n’est pas totalement satisfait du résultat final, mais ne renie pas cette incursion dans un cinéma sulfureux, avec des scènes horrifiques qu’il a traité avec obligation et désir de bien faire le job. Cela rend son discours cohérent, consistant et fort appréciable à suivre.

On regrette en revanche qu’il n’y ait pas de suppléments qui contextualisent davantage l’œuvre. Le jardin des supplices demeurera énigmatique à bien des égards. Pas de bande-annonce par ailleurs, et c’est bien dommage. Celle-ci semble avoir totalement disparu. De notre côté, on aura fait nos recherches et l’on espère vous avoir un peu éclairé sur ce film atypique qui aurait pu disparaître des mémoires. Ce qui aurait été vraiment dommage.

Le jardin des supplices, blu-ray packaging Le chat qui fume

Copyrights : Le Chat qui fume

Image : 3.5 / 5

L’image est une rescapée. La source était dans un état bien piètre et la restitution est gratifiante. La mise en scène peu élaborée de Christian Gion, dans son statisme, son recours excessif aux contre-jours à la mode à l’époque peuvent heurter objectivement le regard, lorsque l’image bien que propre, soit encore loin des canons contemporains du pointillisme. Certains plans, plus sombres, sont d’ailleurs approximatifs. En revanche, de très nombreuses scènes, plans, sont proches du somptueux. Incomparable avec les copies en circulation ici et là.

Son : 3 / 5

Proposée dans son Mono d’origine en DTS HD, la piste audio du blu-ray est claire, avec des dialogues suffisamment posés en contrepartie d’une musique réhaussée, pour accoucher d’un rendu satisfaisant. En revanche, la piste originelle ayant souffert, des défauts intrinsèques à l’enregistrement nécessiteraient un approfondissement dans la restauration rendue difficile par l’audience d’un tel film, du coût de restauration et du temps de travail. Bref, nous sommes loin des nouveaux standards que certains attendent du support blu-ray, mais en l’état, Le jardin des supplices bénéficie d’une belle résurrection faute d’un traitement miraculeux.

Frédéric Mignard

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Le jardin des supplices, affiche italienne
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