Préfigurant Le Parrain, Les frères siciliens est une œuvre sur la mafia qui se rapproche de celle de Coppola sans en posséder la force ni le lyrisme. La faute à une réalisation banale et un jeu peu convaincant de Kirk Douglas.
Synopsis : Frank, ancien mafioso, s’est retiré du milieu après avoir vengé son père en assassinant Bertolo, le chef de la mafia. Mais son jeune frère, Vince, est désigné pour venger la mort de Bertolo. Au terme d’une brève enquête, il parvient à retrouver la trace du fuyard qui l’accueille bras ouverts.
La mafia selon les Américains, quatre ans avant Le Parrain
Critique : Auteur et dramaturge à succès des années 60, Lewis John Carlino a su exploiter ses talents d’écriture en signant plusieurs scripts destinés directement au cinéma. Parmi eux, on trouve notamment Les frères siciliens (1968) qui est aussitôt acheté par l’acteur Kirk Douglas pour son propre compte. La star parvient aussi à convaincre le studio Paramount d’investir dans le projet qu’il pense pouvoir transformer en succès. Afin de mettre toutes les chances de son côté, Kirk Douglas engage aussi le réalisateur Martin Ritt qui a signé plusieurs beaux films au cours des années 60, notamment avec Paul Newman (on songe à Les feux de l’été, Paris Blues, Le plus sauvage d’entre tous, Hombre).
Quatre ans avant Le parrain (Coppola, 1972) avec lequel il entretient de nombreux rapports, Les frères siciliens entreprend de décrire par le menu les agissements d’une large famille italo-américaine qui règne sur un empire du crime. Comme il était de coutume à cette époque, le nom de la mafia n’est jamais prononcé, mais tout le monde comprend ce dont il s’agit. Par le biais d’un flashback, nous suivons notamment la chute progressive d’un des parrains de la mafia qui va se perdre à cause de son sens de l’honneur et son goût pour la vendetta. Dépassé par la jeune garde qui veut élargir le champ de leurs activités illicites, le vieux briscard va notamment être trahi par son propre frère dans des séquences tragiques qui annoncent les moments les plus poignants du Parrain.
Pourtant, Martin Ritt n’est pas Coppola
Malheureusement, le film de Martin Ritt n’atteint jamais la force de frappe du chef d’œuvre de Coppola et n’a donc entrainé aucune mode derrière lui. La faute en revient à plusieurs facteurs et notamment à une réalisation précise, mais bien trop classique et donc fade. Certes, Martin Ritt se sert bien des décors fastueux qui lui ont été fournis, ainsi que du score inspiré de Lalo Schifrin, mais sa réalisation se contente trop souvent de quelques panoramiques au milieu d’un nombre encombrant de plans fixes, montés en champs / contre-champs.
A cela, il faut ajouter la prestation peu convaincante de Kirk Douglas qui n’incarne pas un Sicilien avec naturel. La star fournit pourtant des efforts en se teignant les cheveux et en portant une moustache, tout en agitant les mains pour imiter les ritals, mais rien n’y fait. Derrière cette façade, on ne voit malheureusement que la star américaine en train de faire son numéro. On n’est pas davantage emporté par le jeu basique d’Alex Cord. Finalement, ce sont surtout les seconds rôles qui emportent l’adhésion, et notamment l’excellent Luther Adler.
Les frères siciliens a été un cuisant échec commercial pour Paramount
Fondé sur un scénario tout à fait valable, Les frères siciliens manque donc de puissance sur un sujet qui appelait davantage de folie et de lyrisme. Le spectacle demeure tout à fait regardable, mais il n’est jamais mémorable, alors même que le métrage aurait pu initier un retour gagnant du film de gangsters à la mode des années 30.
Visiblement peu convaincu, le studio Paramount n’a pas su communiquer sur ce long-métrage qui a été un cuisant échec commercial aux Etats-Unis. En France également, l’affiche qui montre un baiser de la mort en gros plan entre deux hommes n’a pas poussé les masses à se rendre en salles. Ainsi, le film est sorti au mois de janvier 1969 et n’est entré qu’à la 5ème place du box-office parisien avec seulement 28 155 mafieux dans les salles. Les spectateurs ont préféré succomber au charme vénéneux de La piscine (Deray) et même au Théorème pourtant difficile d’accès de Pasolini.
Un film oublié, même en vidéo
La deuxième semaine voit une chute à 18 880 gangsters et les jours suivants, le film prolongera la fête jusqu’à 72 622 Parisiens. Le désaveu est un peu moins franc en province où le polar a circulé de région en région, terminant sa carrière au-dessus des 250 000 entrées, ce qui n’en fait pas un succès pour autant.
D’ailleurs, depuis sa sortie, Les frères siciliens n’a jamais été édité sur le moindre support vidéo en France, malgré la présence d’une star à son générique. On retiendra surtout que face à l’échec international du film, le studio Paramount a refusé de produire Le Parrain quatre ans plus tard. Le studio s’est toutefois rattrapé en acceptant un accord de distribution du chef d’œuvre de Coppola.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 31 janvier 1969
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Martin Ritt, Kirk Douglas, Irene Papas, Susan Strasberg, Hal Holbrook, Murray Hamilton, Alex Cord, Luther Adler