Métaphore mordante sur le réflexe sécuritaire, Les chiens est une œuvre inégale, mais visionnaire par rapport à l’évolution de notre société. Intrigant.
Synopsis : Un médecin vient de s’installer dans une banlieue parisienne. De nombreux patients le consultent pour des morsures de chien. Il apprend que, pour se prémunir de l’insécurité ambiante, les habitants se dotent de chiens de garde auprès de Morel. Le médecin décide d’enquêter sur cet étrange personnage.
Jessua alerte sur la pente sécuritaire que prennent les Français
Critique : Alain Jessua, depuis les années 60, construit une œuvre singulière et en marge, ne se rattachant à aucun mouvement spécifique. Son cinéma, foncièrement classique dans la forme et plutôt iconoclaste dans le fond, lorgne sans cesse du côté du fantastique. Après l’excellent et très étrange Jeu de massacre (1967) et le succès de Traitement de choc (1973) avec Alain Delon, il s’attaque avec Les chiens (1979) à un sujet délicat et polémique : le réflexe sécuritaire.
Le rôle principal est immédiatement proposé à Gérard Depardieu, mais le comédien refuse de s’impliquer dans une œuvre à laquelle il ne croit pas. Or il se trouve que la jeune star est agressée par un chien au mois de mars 1978, ce qui lui vaut quelques jours d’hôpital. Il change donc d’avis pour en quelque sorte exorciser cette peur des chiens qui commence à l’envahir. Le film lui servira donc de thérapie. Toutefois, il ne faut pas surinterpréter cette version des faits puisque l’acteur, qui n’a jamais eu sa langue dans sa poche déclare également (source : Gérard Depardieu de Christian Gonzalez, 1985, page 127) :
Le seul film que j’ai fait pour payer mes impôts, Les chiens, n’a pas marché. Il ne faut pas faire les choses dans des réticences
Toutefois, l’acteur analyse aussi le film d’une façon plus intéressante :
Cela fait penser à des événements historiques tels que le nazisme. Hitler, après tout, était une sorte de super maître-chien : il avait dressé ses hommes à mordre et à déchirer.
Un film clinique qui analyse les origines de la violence
Véritable film d’anticipation lors de sa sortie, il est troublant de constater aujourd’hui le caractère visionnaire de cette œuvre. Le développement de l’insécurité allant de pair avec l’essor des grandes banlieues, la crispation des habitants et leur tendance à se réfugier dans la solution extrême de l’autodéfense. La constitution de milices locales, ainsi que le développement du racisme et le rejet des jeunes sont autant de thèmes traités avec justesse dans ce film. Il anticipe ainsi d’une vingtaine d’années tous les événements qui marquent notre société du XXIe siècle.
Le cinéaste se sert des chiens comme vecteurs de la violence humaine, montrant ainsi que celui qui cherche à tout prix à se défendre tend à devenir lui-même l’agresseur. Démontant cet engrenage infernal de la violence, Alain Jessua filme les séquences de combat de chiens avec une belle hargne. Jamais plaisant ou même séduisant, son film possède une ambiance très particulière qui défrisera le plus grand nombre et devrait plaire aux amateurs d’étrangetés cinématographiques.
Des défauts notables de script et de réalisation
Le métrage est servi par une très bonne interprétation, sans cesse à la lisière de la caricature. Par contre, si l’ensemble est stimulant, il est regrettable que le scénario ne soit pas mieux construit, avec par exemple une progression plus sournoise de la violence, et l’on peut également déplorer un manque d’audace dans la réalisation, sans doute lié à un manque patent de moyens. Les chiens reste tout de même une œuvre profondément originale, en marge d’un certain cinéma français traditionnel, et ceci malgré ses maladresses.
Le test du DVD :
Compléments : 3 / 5
Une interview d’un quart d’heure d’Alain Jessua constitue le morceau de choix de cette édition : le cinéaste évoque avec jovialité sa carrière en dents de scie, ses difficultés lors de la production de ses films et agrémente le tout de croustillantes anecdotes sur le tournage des Chiens. Nicole Calfan est également interrogée pendant huit petites minutes sur l’entraînement des acteurs, mais aussi sur l’ambiance lors des prises de vues de cette œuvre très particulière, dont elle semble fière. Reste à consulter une courte et efficace bande-annonce.
Image et son : 3 / 5
L’image a fait l’objet d’un bon travail de restauration et permet de se faire une juste idée du travail du chef opérateur. La piste son nous propose un mono efficace, mais d’intensité variable suivant les scènes, tantôt assez étouffé, tantôt très agressif.
Critique et test DVD de Virgile Dumez