Les brûlantes constitue la première incursion de Jesús Franco dans le sous-genre du Women In Prison et c’est plutôt une bonne surprise grâce à de bonnes actrices et des moyens suffisants pour créer une œuvre cohérente. Une bonne pioche pour les amateurs du cinéaste.
Synopsis : Des jeunes femmes sont envoyées au pénitencier Castillo de la muerte, au milieu du Pacifique, dirigé de main de fer par la directrice Diaz, qui n’hésite pas à abuser sexuellement des prisonnières. Marie, le numéro 99, est sa proie favorite. Mais devant la série de morts inexpliquées au sein de l’île, le gouvernement diligente une enquête. La jeune inspectrice Léonie est chargée de faire un rapport.
Le tout premier WIP de Jess Franco
Critique : A la fin des années 60, le réalisateur espagnol Jesús Franco est devenu un collaborateur régulier du producteur britannique Harry Alan Towers, pour le compte de sa société Towers of London. Grâce à ce mécène, le cinéaste a bénéficié de budgets relativement cossus pour tourner ses séries B, ainsi que la participation d’un certain nombre de grands acteurs, parfois dans le creux de la vague.
Pour réaliser Les brûlantes (99 femmes), Franco a ainsi pu profiter de fonds britanniques, tout en tournant en Espagne, et notamment dans la région d’Alicante. Il a réussi à embarquer dans l’aventure l’actrice Maria Schell, alors en perte de vitesse, ainsi que Mercedes McCambridge dont l’heure de gloire remonte tout de même à Johnny Guitare (Ray, 1954). Enfin, pour compléter le casting de prestige, Jess Franco obtient la participation d’Herbert Lom dans le rôle du gouverneur de la prison. Du côté des atouts de charme, Franco embauche la jolie Maria Rohm, par ailleurs bonne actrice, ainsi que Luciana Paluzzi et la très charismatique Rosalba Neri.
Peu d’érotisme au menu
Ainsi, tout ce beau monde s’est retrouvé sur le plateau d’un pur film d’exploitation puisque Les brûlantes appartient au sous-genre du Women In Prison. Pour mémoire, ce type de film existe depuis les années 30, mais a commencé à fleurir vraiment durant les années 50. Ce sont les années 60 qui précipitent ce sous-genre vers le pur cinéma d’exploitation et Jess Franco y contribue pour la toute première fois avec ce long-métrage tourné en 1968 et qui constitue la matrice de toutes ses autres incursions dans le genre.
Il est tout d’abord important de signaler qu’étant issu des années 60, Les brûlantes (contrairement à ce que laisse entendre son titre d’exploitation français bien putassier) n’est pas franchement un sommet de cinéma bis et que l’érotisme y est finalement peu présent. Certes, le cinéaste ne peut s’empêcher de filmer une relation lesbienne entre deux prisonnières, mais la réalisation faite de très gros plans est tellement brouillonne que la séquence n’a rien d’émoustillant.
Un WIP qui se place du côté des femmes
Bien entendu, la plupart des donzelles se déplacent dans des tenues très légères (y compris des porte-jarretelles, alors qu’elle sont censées être privées de tout) et affublées de beaux maquillages et de cheveux impeccables, mais la touche d’érotisme s’arrêtera là. On signalera encore quelques moments plus sadiques, avec une séquence de flagellation typique du genre. Mais rien de bien méchant au regard de ce qui se fera des années plus tard, y compris par Jess Franco lui-même.
Ce que Les brûlantes perd en érotisme, il le gagne en cohérence d’un point de vue scénaristique. Doté d’une histoire construite qui démarre comme un WIP pour se terminer en film d’aventures dans la jungle sauvage, le long-métrage possède également des personnages qui ne sont pas que des esquisses. Ainsi, le cinéaste brosse des portraits de femmes qui ont toutes souffert par la faute des hommes. L’une a été abusée, l’autre violée par un groupe de mâles en furie, tandis que les matonnes ne sont guère mieux loties. De manière assez étonnante, Jess Franco s’empare donc d’un genre puissamment misogyne pour en faire au contraire un hymne au courage des femmes face à l’adversité et à la domination masculine.
Les brûlantes est en réalité un brûlot anarchiste maquillé en film de genre
Mieux, Les brûlantes ose un discours politique en se faisant le chantre d’une forme d’anarchisme libertaire. Dénonçant clairement les abus de pouvoir de la geôlière interprétée avec outrance par Mercedes McCambridge, le cinéaste n’est guère plus tendre envers la nouvelle directrice jouée par Maria Schell. Si la première est facilement identifiable comme une fasciste sadique, la seconde, sous couvert d’humanisme et d’idéologie gauchiste, n’est rien d’autre qu’un autre agent du pouvoir. Jess Franco renvoie donc ces deux figures de l’autorité dos à dos et démontre qu’il n’existe que peu de réelles différences entre elles.
En réalité, Jess Franco se place ici du côté des prisonnières enfermées de manière injuste par un pouvoir que l’on imagine autoritaire. Il fallait tout de même oser tourner un tel film en Espagne, en pleine époque franquiste, certaines scènes faisant écho à une réalité bien triste.
Une œuvre caviardée de scènes X lors de sa sortie française
Comme la plupart des films de Franco de cette époque, le métrage souffre parfois d’un léger manque de rythme, mais cela est ici compensé par le jeu assuré des comédiennes, ainsi que par la très jolie musique composée par le grand Bruno Nicolai. Alternant moments bis plutôt amusants avec quelques belles fulgurances, Les brûlantes est donc une œuvre à redécouvrir au cœur de la pléthorique filmographie du réalisateur.
Sorti dans la plupart des pays européens dès 1969, le long-métrage a tardé avant d’arriver sur les écrans français. Distribué par le Comptoir Français du Film sous le titre Les brûlantes, le film débarque seulement en 1974, qui plus est caviardé de scènes X afin d’épicer un spectacle jugé trop chaste pour les esprits libérés du milieu des années 70. Depuis, le long-métrage a été édité en DVD en 2006 sous le titre 99 Femmes, traduction littérale de l’original. Pour la sortie de son combo DVD / Blu-ray de 2022, Artus Films a opté pour 99 femmes (Les brûlantes).
Désormais, toutes les séquences X, tournées par d’autres, ont disparu du long-métrage afin de lui redonner son intégrité artistique.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 novembre 1974
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