Abattant un à un tous les clichés du western traditionnel, Johnny Guitare est surtout une brillante condamnation du maccarthysme qui sévissait alors à Hollywood. Un film fort et brillant de bout en bout.
Synopsis : Tenancière d’un saloon, Vienna embauche Johnny Logan comme musicien, un homme qu’elle a connu autrefois. Ils vont être en proie à la haine d’Emma Small, jalouse de Vienna et de sa relation avec le héros local, le “dancing kid”, qu’elle croit à l’origine de la mort de son frère lors d’une attaque…
Joan Crawford à la hauteur de sa réputation
Critique : En 1954, la compagnie Republic Pictures fait partie des petites sociétés hollywoodiennes spécialisées dans les séries B. Pourtant, elle parvient à attirer dans son giron la star Joan Crawford, alors en perte de vitesse, avec la promesse de pouvoir mener à bien des projets personnels. L’actrice soumet alors l’histoire de Johnny Guitare écrite par Roy Chanslor, dont elle souhaite obtenir le rôle principal. Le projet est soumis au cinéaste Nicholas Ray qui vient de quitter la RKO et est séduit par la proposition de la Republic, à savoir un contrôle total sur le résultat final. Certes, le budget est restreint, mais Nicholas Ray préfère évoluer dans cette économie plutôt que d’avoir à batailler pour chaque décision artistique. Il donne le script à Philip Yordan qui, comme à son habitude, n’écrit pas une seule ligne mais sert de prête-nom à un scénariste blacklisté nommé Ben Maddow. Ce détail a bien entendu son importance puisque le scénario fait clairement allusion à la chasse aux sorcières initiée par le sénateur MacCarthy.
Loin d’être de tout repos, le tournage fut, selon tous les témoignages, homérique. Tout d’abord, Joan Crawford a imposé ses caprices de diva à l’ensemble de l’équipe, se chamaillant avec le reste du casting, et en particulier Sterling Hayden qu’elle trouvait médiocre acteur. Nicholas Ray a décrit le tournage comme un enfer permanent et une période difficile de sa vie. Pourtant, ces conditions extrêmes ne semblent aucunement déteindre sur le résultat final tant Johnny Guitare apparaît de nos jours comme un modèle d’équilibre cinématographique.
Le maccarthysme lynché
Contrairement aux films concurrents de l’époque, le métrage prend un malin plaisir à tordre les clichés pour livrer une vision toute personnelle de l’Ouest sauvage. Tout d’abord, les deux antagonistes principaux sont des femmes, ce qui est plutôt original car reléguant le personnage-titre au rang de rôle secondaire. Les deux femmes en question sont d’ailleurs loin de correspondre à l’image véhiculée au milieu des années 50. Pugnaces, violentes et ambitieuses, elles ne sont jamais considérées comme des potiches, mais bien comme des êtres volontaristes et doués de rouerie pour parvenir à leurs fins. En cela, le choix de Joan Crawford est un coup de génie tant l’actrice au fort tempérament est crédible en femme dominatrice et castratrice. On ne cache pas non plus son passé de prostituée, ce qui, là encore, est peu banal pour une héroïne de l’époque. En ce qui concerne le personnage incarné correctement par Sterling Hayden, il est souvent décrit comme un psychopathe fasciné par les armes et la violence. On est loin du preux chevalier ou même du Lonesome cowboy. Enfin, la plupart des honnêtes citoyens de la ville sont prêts au lynchage de ceux qu’ils ne considèrent pas comme des êtres vertueux, ce qui donne lieu à de belles séquences évoquant nécessairement le maccarthysme.
Un modèle de western progressiste
Il est d’ailleurs intéressant de noter que Nicholas Ray a confié le rôle du meneur des miliciens à Ward Bond qui était célèbre à l’époque pour ses opinions réactionnaires. L’acteur incarne donc une forme de justice divine qui est pourtant totalement critiquée et rejetée par Nicholas Ray. Car Johnny Guitare est un véritable modèle de western progressiste, même s’il a l’intelligence de ne pas tomber dans la caricature simpliste. On peut sans doute reprocher au personnage de Mercedes McCambridge d’être trop uniformément négatif, mais c’est sans doute le seul vrai défaut de ce long-métrage trépidant. Effectivement, si le discours du cinéaste est particulièrement intéressant, Johnny Guitare n’en oublie pas pour autant de divertir. Les scènes d’action sont nombreuses et filmées avec beaucoup d’ingéniosité. Certes, les limites budgétaires ont imposé le recours à quelques transparences bien maladroites, mais ce ne sont que peccadilles par rapport à la beauté de la photographie, aux superbes décors et aux magnifiques cascades qui se succèdent.
Box-office : la dichotomie entre les États-Unis et l’Europe
Malgré cette harmonie sans cesse confirmée, les critiques américaines de l’époque furent cinglantes et le film s’est avéré un échec au box-office local. L’accueil fut bien meilleur en Europe, et notamment en France où le métrage a rapidement été encensé par les critiques de Nouvelle Vague (François Truffaut en tête). Bien mieux compris, le film fut même un succès avec un peu plus d’un million et demi de spectateurs sur l’ensemble de l’Hexagone. Par la suite, il a fini par acquérir un statut de film culte largement mérité, au même titre que la géniale Fureur de vivre tournée l’année suivante par un réalisateur décidément inspiré.
Critique de Virgile Dumez