Drame de l’inceste, Les âmes sœurs passe consciencieusement à côté de son sujet et ne parvient pas à convaincre pleinement à cause d’une écriture diluée et d’une incarnation inégale de la part des interprètes. Une déception !
Synopsis : David, lieutenant des forces françaises engagées au Mali, est grièvement blessé dans une explosion. Rapatrié en France, il souffre d’amnésie et commence une longue convalescence sous le regard dévoué de sa sœur Jeanne. Dans la maison familiale des Pyrénées, entre montagnes et lacs, Jeanne tente de raviver sa mémoire, mais David ne parait pas soucieux de se réconcilier avec celui qu’il était.
André Téchiné de retour dans le drame familial
Critique : Après avoir ausculté avec un certain talent les germes du terrorisme islamiste dans L’adieu à la nuit (2018) avec la grande Catherine Deneuve, le réalisateur André Téchiné a une fois de plus ancré son nouveau long-métrage dans une actualité brûlante. Ainsi, Les âmes sœurs (2023) prend acte de la participation militaire française à la lutte contre le terrorisme au Mali. Il a fait du héros de son vingt-cinquième film un militaire français grièvement blessé lors de l’opération Barkhane et qui est rapatrié à l’hôpital des Invalides.
Toutefois, cette inscription dans une réalité politique disparaît totalement au bout de cinq minutes pour laisser la place à un drame familial plus classique pour son auteur puisqu’il s’intéresse cette fois aux relations troubles entre un frère et sa sœur. On notera que cette thématique a déjà été abordée par le cinéaste dans le superbe et douloureux Ma saison préférée (1993) avec Catherine Deneuve et Daniel Auteuil. Les relations décrites dans ce film séminal étaient déjà fort complexes, mais le réalisateur était alors en pleine possession de ses moyens et nous offrait un grand moment de cinéma que l’on a du mal à retrouver dans son nouvel opus.
Les âmes sœurs, un patchwork mal ficelé
Effectivement, Les âmes sœurs souffre ici de plusieurs défauts qui en font une œuvre inaboutie et quelque peu frustrante. Débuté sous le signe du drame médical avec les terribles blessures corporelles du jeune soldat auxquelles il faut ajouter l’amnésie partielle, le métrage se mue progressivement en mélodrame personnel traitant du thème de l’inceste. A ces éléments, le réalisateur prend encore la peine d’adjoindre d’autres personnages périphériques auxquels on ne croit pas nécessairement. On peut notamment rester dubitatif quant au rôle de maire interprétée par Audrey Dana, ainsi que vis-à-vis du voisin joué par André Marcon dont le passe-temps est de se vêtir en femme.
Au lieu d’investir pleinement le champ du drame psychologique, André Téchiné choisit plutôt l’esquive et plonge ses personnages au cœur d’une nature luxuriante qui pourrait très bien revêtir les atours du conte de fées. Si cela nous offre quelques très beaux plans de nature dont le réalisateur a toujours eu le secret, le spectateur se demande une fois de plus ce que cela vient faire dans cette histoire qui ouvre de multiples pistes pour n’en suivre aucune. Dès lors, Les âmes sœurs ressemble à s’y méprendre à un patchwork d’éléments récurrents issus de l’œuvre du cinéaste, sans qu’aucun lien fort ne relie l’ensemble.
Des personnages inégalement intéressants
Bénéficiant d’une jolie photographie signée Georges Lechaptois, le drame pâtit parfois d’une réalisation plus sommaire, avec quelques plans tournés à l’épaule qui échouent à créer la moindre tension au cœur d’un dispositif formel assez classique. Enfin, les différents personnages nous laissent globalement indifférents, malgré la qualité de l’interprétation. Pour une Noémie Merlant capable d’attirer le regard et de susciter l’intérêt, on doit reconnaître le peu d’attachement éprouvé pour le protagoniste principal. Benjamin Voisin ne parvient aucunement à rendre son personnage saisissant ou même franchement intéressant.
Enfin, visiblement embarrassé par sa thématique centrale de l’inceste, André Téchiné n’est jamais convaincant lorsqu’il aborde frontalement ce sujet, lui qui a su autrefois nous entrainer dans des vertiges psychologiques puissants. Jamais mauvais, mais sans réelle saveur non plus, Les âmes sœurs constitue donc une déception au sein d’une filmographie qui contient tant de pépites.
Le plus gros échec commercial d’André Téchiné depuis son premier film
Sorti le 12 avril 2023 sur 155 copies dans toute la France, Les âmes sœurs a connu une exploitation catastrophique dès son entame. Ainsi, le métrage n’a convaincu que 35 572 spectateurs à faire le déplacement en salles. Il s’agit tout bonnement du plus mauvais démarrage de la carrière d’André Téchiné, si l’on excepte son tout premier long (Paulina s’en va en 1969). Malheureusement pour lui, les semaines suivantes ne sont guère plus favorables avec des chutes régulières d’environ 50 %. Au final, le drame de l’inceste arrive avec peine à 80 318 entrées, soit là encore le plus mauvais score du cinéaste, excepté celui de son premier film plus de cinquante ans auparavant.
Pour sa sortie vidéo, l’éditeur a d’abord mis sur le marché un DVD, puis a consenti à publier un blu-ray quasiment six mois plus tard. Une frilosité qui s’explique par le faible potentiel commercial d’un film dont personne n’a vraiment entendu parler.
Critique de Virgile Dumez
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André Téchiné, Stéphane Bak, Noémie Merlant, Benjamin Voisin, Audrey Dana, André Marcon
Mots clés
Drame psychologique, L’inceste au cinéma, La famille au cinéma