Polar violent mené tambour battant par Yves Boisset, Le saut de l’ange en profite pour glisser plusieurs allusions politiques percutantes. Le résultat est inégal, mais plutôt valeureux.
Synopsis : La violence fait rage à Marseille. En pleine campagne électorale, deux clans s’affrontent : d’un côté, les Corses, dirigés par la famille Orsini ; de l’autre, la jeune génération de gangsters, soutenant la candidature de Forestier. Ce dernier, afin de s’assurer la victoire, ne recule devant rien et fait assassiner les frères Orsini. Leur frère, Louis Orsini, expatrié en Asie, apprend la nouvelle et décide de rentrer au pays afin d’obtenir sa vengeance…
Critique : Alors qu’il vient tout juste de tourner Un condé (1970), véritable brûlot qui prenait pour cible la police française et ses dérives autoritaristes, le réalisateur Yves Boisset semble s’assagir avec Le saut de l’ange (1971) qui se présente de prime abord comme un simple polar mettant en scène la vengeance d’un Corse contre ceux qui ont éliminé sa famille (frères, femme et enfant). Le scénario est tiré d’un roman policier écrit par le journaliste Éric Deschodt sous le pseudonyme de Bernard-Paul Lallier, qui a obtenu le prix du Quai des Orfèvres en 1968.
Si l’intrigue à proprement parler est purement fictionnelle et relève de la pure fantaisie (on n’est pas loin ici du vigilante movie à l’américaine), Yves Boisset et son complice Claude Veillot n’ont pas résisté à l’envie d’y ajouter une pincée de contestation politique typique de l’époque. Ainsi, le héros incarné par Jean Yanne est certes solitaire et dépolitisé, mais il incarne tout de même une certaine France colonialiste et peut donc être vu comme un homme de droite attaché à la préservation de sa propriété (terrienne et familiale). Pour cela, il est prêt à bafouer les lois de la République et à se faire justice lui-même. Ses moyens sont certes douteux, mais le spectateur aura plutôt tendance à s’identifier à ce personnage seul contre tous, comme dans la plupart des bons polars américains.
Là où le film de Boisset s’avère plus pernicieux, c’est que la police qui le poursuit est loin d’être un modèle de droiture. Ainsi, les forces de l’ordre sont dépeintes par Boisset comme une armée d’oppression qui a pour ordre de faire respecter l’ordre bourgeois institué par des élites corrompues. Le personnage de commissaire interprété avec autorité par Daniel Ivernel ne dit pas autre chose, lui qui a conscience de servir de rempart entre l’élite et le peuple soumis. Si ce discours peut sembler aujourd’hui quelque peu classique et rebattu, il faut replacer Le saut de l’ange dans son contexte du début des années 70, alors que la censure gouvernementale instituée par de Gaulle faisait encore rage. Il était donc plutôt culotté de se frotter ainsi au pouvoir en place en en décrivant, même sommairement, les mécanismes les moins glorieux.
Pour autant, Le saut de l’ange n’a pas besoin de cette lecture politique pour être un polar intéressant, tourné avec un certain talent. Boisset connaît ses grands classiques américains et parvient à plusieurs reprises à les égaler dans les scènes d’action pure. Alors que beaucoup de films policiers français de l’époque souffrent aujourd’hui d’un rythme lancinant, Le saut de l’ange demeure trépidant. Plein de rebondissements et de moments intenses (l’affrontement entre Jean Yanne et Gordon Mitchell, les cascades sur la grande grue, les courses-poursuites en voiture et les exécutions menées par les Asiatiques acrobates) ; le long-métrage a le grand mérite de ne jamais ennuyer et de proposer au spectateur de nombreuses scènes mémorables.
Pour autant, tout n’est pas parfait et l’on peut par exemple regretter l’absence d’un casting vraiment marquant (hormis Jean Yanne, impeccable). Pire, Sterling Hayden apparaît comme une véritable erreur de casting, lui qui doit défendre un personnage finalement insipide. On peut également regretter quelques dialogues parfois trop catégoriques ou explicatifs.
Toutefois, Le saut de l’ange mérite quand même de figurer parmi les réussites d’Yves Boisset, réalisateur certes inégal, mais ô combien attachant par sa volonté de confronter l’efficacité du cinéma de série B américain et une vraie contestation politique de gauche.
Avec 821 621 entrées sur tout le territoire français, Le saut de l’ange a certes moins marché qu’Un condé, mais le film n’en demeure pas moins une petite réussite sur le plan commercial et artistique.
Critique du film : Virgile Dumez
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