Film fantastique touchant, Le règne animal s’appuie sur une interprétation de premier ordre et une réalisation inspirée pour délivrer une fable écologique et poétique. A découvrir.
Synopsis : Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d’un nouveau genre, il embarque Émile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.
Le règne animal ou le pari risqué d’un cinéaste ambitieux
Critique : C’est en participant à un jury de lecture de travaux d’étudiants à la Fémis que le réalisateur Thomas Cailley est tombé sur le pitch de Pauline Munier qui envisageait un monde peuplé de créatures mi-hommes, mi-animaux. Intéressé par ce concept, le cinéaste qui avait déjà imposé sa patte avec le remarqué Les combattants (2014) propose alors à l’étudiante de travailler avec lui sur l’élaboration d’un script complet, désormais intitulé Le règne animal.
Toutefois, le projet a mis plusieurs années à se concrétiser puisque le scénario a été écrit avant la crise de la Covid-19, puis la conception des créatures a encore pris deux ans de plus, en collaboration avec le dessinateur de BD suisse Frederik Peeters. Il a fallu ensuite patienter jusqu’en 2022 pour que le tournage puisse officiellement débuter. Il faut dire que Le règne animal est une véritable gageure au sein du cinéma français puisqu’il s’agit de proposer au public un film fantastique au budget conséquent dépassant les 15 millions d’euros. Or, le public local est généralement peu friand des productions de genre.
L’avenir passera-t-il par le transhumanisme ?
Ces dernières semaines, les cinéphiles ont pu ainsi découvrir Acide (Just Philippot) qui envisageait un futur proche où la pluie deviendrait un terrible ennemi de l’humanité. Le cinéaste choisissait ici la voie de l’angoisse et du film catastrophe pour surfer sur les peurs climatiques actuelles. Pour sa part, Thomas Cailley préfère envisager un futur fait de mutations, à l’image des films de super-héros qui inondent nos écrans depuis maintenant deux décennies. Toutefois, il en évacue la dimension héroïque pour signer une œuvre poétique dont le message de tolérance transparaît à travers l’aventure d’un père et de son fils.
En réalité, Le règne animal n’aborde pas le fantastique sous l’angle du simple film de genre, mais il en profite pour délivrer un message. En ce sens, il ne se distingue guère des autres films produits en France. En fait, cette dimension métaphorique constitue la principale faiblesse d’une œuvre par ailleurs excellente. Trop évidentes, les multiples métaphores du film sur le transhumanisme, mais aussi sur les atteintes des hommes envers l’environnement, ainsi que sur les transformations corporelles éprouvées par les adolescents, viennent alourdir le propos, d’autant que rien de neuf ne ressort de tout ceci.
Un film touchant sur les relations père-fils
Heureusement, Thomas Cailley a l’intelligence de ne pas sacrifier ses personnages, ainsi que le spectacle au profit de son discours. Loin de nous asséner une leçon de morale, il préfère se pencher sur le destin de cette petite famille qui comprend la mère – que l’on ne verra quasiment pas – et surtout le père et son fils. Cette relation est au cœur d’un long-métrage qui se révèle rapidement touchant, tant ces êtres se révèlent fusionnels, y compris dans leurs inévitables confrontations. Pour cela, Thomas Cailley a pu compter sur l’alchimie parfaite entre Romain Duris, toujours parfait, et le jeune Paul Kircher qui confirme tout le bien que l’on pensait de lui après Le lycéen (Christophe Honoré, 2022). Les deux acteurs se complètent à merveille et forment un noyau familial fort et attendrissant, notamment lors d’une séquence finale particulièrement émouvante.
Au cœur du film se trouve également tout un bestiaire de créatures particulièrement bien conçues, mêlant à la fois usage de maquillage pratique et effets numériques discrets. Malgré un budget qui n’est aucunement à la hauteur des productions américaines, ces créatures sont parfaitement intégrées à leur environnement et sont d’une belle crédibilité. On sent d’ailleurs Thomas Cailley particulièrement inspiré lorsqu’il filme cette forêt apparemment déserte, mais qui est en réalité peuplée de bestioles apeurées – et finalement traquées. On songe par moments aux forêts merveilleuses entrevues dans l’œuvre animée de Miyazaki.
Un hymne à la marginalité
Dès lors, le long-métrage opère un renversement, certes classique, mais toujours efficace, où le spectateur prend fait et cause pour les créatures (et donc pour la nature) contre les agissements des forces de l’ordre. Ces moments de pur cinéma permettent au spectateur d’oublier durant le temps de la projection les quelques facilités d’écriture décrites plus haut pour participer pleinement au spectacle qui lui est généreusement offert par des artistes talentueux.
Thomas Cailley confirme ici sa capacité à réaliser des œuvres originales et ambitieuses, tout en s’appuyant sur les belles images de son frère David Cailley et l’excellente musique d’Andrea Laszlo De Simone. Passionnant de bout en bout, Le règne animal est donc une bien belle réussite dans un genre qui n’est pas si fréquemment abordé au sein du cinéma hexagonal. A découvrir d’urgence dans vos salles.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 4 octobre 2023
Biographies +
Thomas Cailley, Romain Duris, Adèle Exarchopoulos, Nathalie Richard, Saadia Bentaïeb, Paul Kircher, Tom Mercier
Mots clés
Cinéma fantastique français, Les mutations au cinéma, Les relations père-fils au cinéma, Les fables écologiques au cinéma, La forêt au cinéma