Le miroir est une introspection magnifique qui prouve une fois de plus le génie de Tarkovski. Tout bonnement indispensable.
Synopsis : Un homme frappé par la maladie se souvient de son passé. Des images de sa mère et de sa femme lui reviennent.
Tarkovski s’adonne à la poésie cinématographique
Critique : Projet complètement fou qui traînait depuis la fin des années 60 dans les tiroirs d’Andrei Tarkovski, Le miroir est une œuvre à forte connotation autobiographique au contenu exclusivement personnel. Tout à fait le genre de film banni du régime soviétique qui préférait vanter les vertus de la collectivité sur l’individu. Pourtant, le cinéaste est parvenu à tourner cet OVNI qui bouleverse à la fois les règles classiques de la narration, mais aussi la temporalité, au point que le spectateur doit impérativement s’abandonner aux rimes visuelles et sonores d’un cinéaste se voulant avant tout poète. L’ensemble est ardu, mais ô combien satisfaisant pour peu que l’on se laisser aller à ce cinéma des sensations.
D’ailleurs, Le miroir du titre n’a ici rien à voir avec la définition donnée par Stendhal, assignant au roman ou à l’œuvre d’art un rôle de reproduction de la réalité. Au contraire, Tarkovski suit plutôt la voie du Stream of consciousness (ou monologue intérieur) tracée entre autres par James Joyce dans son roman Ulysse (1922). Ainsi, la trame du film n’apparaît jamais clairement et l’on est plutôt emporté par un flot de pensées personnelles, littéraires et philosophiques durant toute la durée du métrage.
De l’art de la rime au cinéma
Malgré l’absence apparente de logique dans l’organisation des séquences, le spectateur arrive progressivement à reconstituer le puzzle. L’auteur rend ainsi hommage à tous ses proches : la figure maternelle est le véritable pivot du film, associée qu’elle est à l’image de la femme aimée. Le père est omniprésent par la déclamation de nombreux poèmes (Arsène Tarkovski, père du cinéaste, était un très grand poète russe), le fils est également évoqué à de nombreuses reprises. Le cinéaste revient aussi sur la période difficile de la Seconde Guerre mondiale qu’il avait déjà abordé dans son chef-d’œuvre L’enfance d’Ivan (1962).
Mélangeant sans cesse les temporalités, le metteur en scène se plaît à perdre le spectateur qui doit dès lors se laisser porter par la poésie des images et la beauté de la musique d’Artemiev. Car tout fonctionne ici par un jeu de correspondances : tel son nous amène à une autre scène dans laquelle une image nous emporte vers la séquence suivante et ainsi de suite. Le procédé est audacieux et permet de reconstituer le portrait en creux d’un homme, mais aussi de sa famille et de son pays. On sent ainsi un amour constant pour les êtres chers, pour la terre de Russie et pour la vie en général.
Un chef d’œuvre du cinéma mondial, mal aimé en URSS
Le cinéaste referme son film sur l’image bouleversante de sa mère enceinte de lui-même et sur le foyer qui a marqué son enfance, scènes d’autant plus belles qu’elles nous ramènent tous à cette période de notre vie où tous les espoirs sont encore permis, où la chaleur maternelle irradie encore notre existence. Le tout est filmé avec un sens incroyable de la mise en scène, chaque plan faisant référence à un tableau de maître.
Le miroir est donc une œuvre exceptionnelle qui a déplu en Union Soviétique à cause de son absence d’engagement politique ferme, de ses nombreuses scènes oniriques qui contredisent le réalisme socialiste et de son individualisme farouche. Mais Andrei Tarkovski avait compris l’essentiel en essayant de toucher l’universel par le biais de son histoire personnelle. Le long-métrage est sorti au mois de janvier 1978 en France, cumulant 198 746 entrées sur toute la France, ce qui est un score remarquable pour une œuvre aussi difficile d’accès.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 janvier 1978
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