Film policier mineur appartenant à la mouvance du néo-noir, Le flic se rebiffe possède un très bon scénario desservi par une réalisation insipide, pourtant menée à quatre mains. Les acteurs parviennent à tirer leur épingle du jeu.
Synopsis : Après avoir séjourné en prison pour le meurtre de sa femme, Slade, un ancien policier, est engagé comme gardien de nuit sur un campus. Il tente de reconstruire sa vie et Linda, sa contrôleuse judiciaire, s’éprend même de lui. Mais une série d’assassinats se produit dans l’université. Slade décide d’enquêter…
Le flic se rebiffe surfe sur le renouveau du film noir
Critique : Ami de longue date de Burt Lancaster, le scénariste Roland Kibbee a connu des moments difficiles après avoir dénoncé certains de ses camarades lors de la chasse aux sorcières orchestrée par le sénateur McCarthy dans les années 50 dans le but d’expurger le milieu du cinéma de ses éléments communistes. Malgré son attitude comparable à celle d’un Elia Kazan, Roland Kibbee n’a jamais perdu le soutien de la star Lancaster qui l’a épaulé jusqu’au bout.
Or, au milieu des années 70, Roland Kibbee envisage de passer pour la première fois à la réalisation en adaptant le roman noir The Midnight Lady and the Mourning Man de David Anthony. Il faut dire que la période est plutôt favorable au retour du film noir, avec la vogue de ce que l’on a appelé par la suite le néo-noir. Ainsi, Robert Altman vient de dégoupiller Le privé (1973) qui entend dépoussiérer la figure de Philip Marlowe et Roman Polanski marque les esprits avec son chef d’œuvre Chinatown (1974).
Derrière la façade, la lie de l’humanité…
S’inscrivant pleinement dans cette mouvance, du moins sur le papier, Le flic se rebiffe (1974) vient poser ses caméras dans une université américaine où une étudiante est retrouvée assassinée. Dès lors, le gardien de nuit, un ancien flic qui a assassiné sa femme dans un accès de jalousie, décide d’enquêter sur ce microcosme d’une petite ville de province. Alors que le postulat de départ nous invite surtout sur le terrain du traditionnel film policier, les nombreux développements de l’intrigue nous transportent vers le film noir. Effectivement, la petite bourgade provinciale est décrite comme un lieu en apparence inoffensif, mais qui s’avère être gangrené par toute forme de corruption.
Ainsi, les professeurs font preuve d’une autorité malsaine sur leurs élèves et couchent souvent avec celles-ci. Au cours de l’enquête, particulièrement complexe, le gardien de nuit incarné avec autorité par l’impérial Burt Lancaster, va découvrir les secrets inavouables des personnes qui l’entourent. Il met au jour un tentaculaire réseau de flics ripoux qui profitent de braquages pour arrondir leurs fins de mois, mais aussi un sénateur incestueux et des femmes vénales qui peuvent même être qualifiées de fatales.
Deux réalisateurs au point mort
Dans Le flic se rebiffe, on se rapproche donc fortement du constat accablant établi par Polanski dans son chef d’œuvre Chinatown, mais le talent en moins. Effectivement, si Roland Kibbee n’avait plus rien à prouver en tant que scénariste, il devait au contraire faire ses armes dans la réalisation. Visiblement dépassé par la charge de travail, il a été aidé dans sa mission par la star Burt Lancaster qui a codirigé le film. Effectivement, celui-ci a déjà tâté de la mise en scène avec le très dispensable western L’homme du Kentucky (1955) qui demeure un très mauvais souvenir pour la star. Afin de venir en aide à son cher ami, Lancaster s’investit finalement plus que de raison dans la réalisation de Le flic se rebiffe (1974) mais ne parvient aucunement à sauver l’ensemble de la banalité télévisuelle de son traitement.
Certes, le script du film est de très bonne tenue, mais la mise en forme apparaît tellement paresseuse que cela plombe tous les efforts déployés par les acteurs. Finalement, Burt Lancaster s’est octroyé un maximum de gros plans, tout en oubliant de donner une quelconque allure esthétique à son œuvre. Ainsi, la photographie de Jack Priestley est bien trop plate et lumineuse pour sublimer une histoire qui méritait davantage de zones d’ombres. On peut presque parler de contresens visuel tant la photographie du long-métrage ne s’accorde aucunement à l’atmosphère trouble et désespérée de son intrigue.
Des acteurs corrects, mais mal servis par la mise en scène
Le même problème est repérable quant à la musique de Dave Grusin, trop portée sur l’aspect folklorique du lieu et non sur l’ambiguïté des sentiments. Ici, on a surtout l’impression d’écouter la bande-son de toutes les séries télévisées disponibles aux States dans les années 70. Une ineptie tant le contenu du film pouvait être plus pernicieux par ses implications politiques et sociétales.
Dans Le flic se rebiffe, le spectateur a surtout l’impression d’une volonté de saborder toutes les bonnes idées du script afin de livrer un produit acceptable par le plus grand nombre. Le résultat est donc frustrant, d’autant que les prestations des acteurs sont plutôt correctes. On aime par exemple le rôle tenu par Cameron Mitchell, ainsi que celui de la contrôleuse judiciaire interprétée par Susan Clark. Mais là encore, leurs performances ne sont pas suffisamment mises en valeur par une réalisation décidément trop terne. Condamné à l’anonymat par l’absence de point de vue de la mise en scène, Le flic se rebiffe n’a tellement pas marqué les esprits que même ses producteurs ont sabordé sa sortie américaine.
Une sortie sabordée aux Etats-Unis
Visiblement lâché par la Universal qui devait le distribuer aux Etats-Unis, Le flic se rebiffe n’est sorti que dans une combinaison très limitée d’écrans aux States, au point qu’il est difficile de trouver ses résultats au box-office nord-américain. Ce cuisant échec commercial s’est retrouvé à l’étranger et notamment en France où le film a déboulé sur nos écrans au mois de mai 1974 dans l’indifférence générale.
Il faut dire que Burt Lancaster n’est plus une tête d’affiche suscitant le désir du grand public et que le métrage apparaît déjà à l’époque comme une proposition de cinéma anachronique. Echec commercial évident dès son entame le 8 mai 1974, Le flic se rebiffe n’intéressera finalement que 31 116 Parisiens et 117 354 cinéphiles français. Un terrible désaveu qui renvoie Burt Lancaster à l’échec cinglant essuyé par Les parachutistes arrivent (John Frankenheimer, 1969) sorti au mois de juillet 1970 et qui fut l’un de ses pires résultats au box-office français.
Notons que Le flic se rebiffe a été l’unique incursion de Roland Kibbee dans la réalisation et que ce fut aussi le dernier essai dans ce domaine pour Burt Lancaster. Pourtant, l’ensemble peut aujourd’hui se regarder avec une certaine indulgence grâce à une bonne ambiance seventies et un script vraiment bien charpenté. Pas de quoi en faire un classique pour autant, ni même une œuvre qui aurait été injustement boudée à sa sortie.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 mai 1974
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Roland Kibbee, Burt Lancaster, Cameron Mitchell, Ed Lauter, Harris Yulin, Robert Quarry, Susan Clark
Mots clés
Film policier, Film noir, Le chantage au cinéma, L’inceste au cinéma, La manipulation au cinéma