Polar classique qui se veut une exploration des évolutions sociétales américaines, Le flic ricanant souffre d’un casting peu charismatique et d’un point de vue mal défini de la part de son cinéaste. Dispensable.
Synopsis : San Francisco, années 70. Un inconnu pénètre dans un bus nocturne et en mitraille les passagers. Bilan : huit morts, dont un inspecteur de police. Son ami et partenaire, le cynique Jake Martin, mène l’enquête selon des méthodes très personnelles, secondé par une jeune recrue, l’arrogant Leo Larsen. L’œuvre d’un fou, d’un serial killer ? Plutôt que de suivre la piste officielle, Martin obéit à son instinct, convaincu que le carnage trouve son origine dans une vieille affaire…
L’adaptation hollywoodienne d’un polar suédois
Critique : Vers la fin des années 60, le duo de romanciers formé par le couple suédois Maj Sjöwall et Per Wahlöö crée une série de polars menés par le personnage de l’inspecteur Martin Beck. Malgré son origine suédoise, cette série de romans connaît un succès international retentissant, au point d’être même traduite aux Etats-Unis. Ainsi, le roman Le massacre du bus / Le policier qui rit (1968) fait l’objet d’une adaptation cinématographique à Hollywood sous le titre The Laughing Policeman, devenu Le flic ricanant en français. Il s’agit tout bonnement du premier best-seller suédois à être adapté par les Américains, plusieurs décennies avant Millénium : Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes (David Fincher, 2011), dans le domaine du polar.
Il était d’autant plus étonnant de transposer l’action de Stockholm à San Francisco que le roman se voulait une critique très acerbe d’une société suédoise libérale incapable de prendre en compte les évolutions sociétales de l’année 1968. Bien entendu, le script de Thomas Rickman reprend bien le point de départ de l’intrigue policière et y glisse plusieurs notations politiques. C’est sans doute cette dimension sociétale qui a intéressé le cinéaste Stuart Rosenberg (Luke la main froide en 1967), d’autant qu’il est également producteur du long métrage. Malheureusement, son regard qui se voudrait ouvert sur les récentes évolutions de la société américaine se teinte aussi d’une forme de conservatisme qui contredit le propos d’origine du livre.
Une scène introductive marquante
Le flic ricanant débute par une scène pré-générique marquante puisque le spectateur médusé assiste au massacre des occupants d’un bus par un tir de mitraillette automatique. Parmi les victimes se trouve le coéquipier de l’inspecteur Jake Martin (le Martin Beck du roman suédois) qui entreprend de comprendre la raison de sa présence sur le lieu du crime. Pour cela, l’enquêteur est secondé par une jeune recrue qui n’en fait qu’à sa tête.
Dans le rôle du vieux briscard, Walter Matthau ne force pas son talent et se contente globalement de mâchouiller un chewing-gum en faisant la tronche. On notera d’ailleurs que le comédien a refusé d’affubler son personnage du rire caractéristique qui expliquerait le titre. Avec lui, le flic ne ricane donc pas et se contente d’être présent face à la caméra. Pour lui donner la réplique, Walter Matthau a suggéré à Stuart Rosenberg d’embaucher le jeune Bruce Dern dont la carrière était alors en train de décoller. Pourtant, le duo ne fonctionne pas parfaitement à l’écran et on se dit à plusieurs reprises qu’il y a eu erreur de casting.
Le flic ricanant explore la nouvelle société issue des luttes post-1968
Durant l’enquête – pas franchement passionnante, il faut bien l’avouer – le cinéaste en profite pour faire un point sur toutes les évolutions sociétales américaines depuis la fin des années 60. Il montre notamment le fossé de plus en plus béant entre la jeunesse idéaliste et leurs parents plus conservateurs, mais aussi le développement de l’idéologie hippie. En outre, il plonge ses caméras dans les quartiers afro-américains de San Francisco, se faisant ainsi l’écho des luttes pour les droits civiques. La présence au générique de Louis Gossett Jr. est aussi un moyen d’attirer le public américain à l’heure où la Blaxploitation fait fureur en salles.
Enfin, le métrage se fait le témoin de l’essor de la communauté homosexuelle depuis les manifestations organisées par Harvey Milk au début des années 70. Stuart Rosenberg propose un personnage lesbien, plonge ses deux flics dans un bar tendance cuir et fait même de son criminel un homosexuel refoulé (très juste Albert Paulsen). Toutefois, le regard posé sur cette communauté n’est guère empathique comme le signale très bien Didier Roth-Bettoni dans son ouvrage L’homosexualité au cinéma (La Musardine, 2007, p 278) où il écrit :
Le flic ricanant n’est guère plus sympathique, le duo de policiers moralistes Walter Matthau-Bruce Dern passant lui aussi au peigne fin divers bars gay, se moquant d’une lesbienne et finissant par arrêter le tueur en série qu’ils recherchaient : comme par hasard un homo refoulé.
Des hésitations idéologiques qui déséquilibrent le long métrage
Certes, Stuart Rosenberg appartient clairement à la frange progressiste des cinéastes américains, mais ses préjugés initiaux semblent avoir la vie dure et il épouse sans doute un peu trop le point de vue des deux flics réactionnaires qu’il suit à la trace. On sent à travers Le flic ricanant le désarroi d’un artiste qui voit la société évoluer plus vite que sa propre capacité à la comprendre. Pour autant, le polar offre un point de vue sociétal intéressant et ambigu qui démontre la complexité de cette société des années 70, pétrie de contradictions et d’oppositions idéologiques.
Malheureusement, ce caractère quasiment documentaire du long métrage se fait au détriment de l’efficacité. Assez lent dans son déroulé, le polar ne propose qu’une scène choc au début, puis de longs tunnels dialogués, avant une course poursuite en voiture très classique et un final un peu plus punchy. Réalisé de manière carrée, mais sans génie, par un réalisateur venu de la télévision, Le flic ricanant souffre surtout d’un mauvais choix de casting et d’un manque général d’incarnation à l’écran.
Le flic ricanant est surtout passé inaperçu
Visiblement peu confiant envers le produit fini, le distributeur Twentieth Century Fox a condamné Le flic ricanant à une sortie limitée sur l’agglomération de New York fin décembre 1973. Le polar n’a pas fait d’étincelles suffisantes pour que sa sortie soit étendue sur l’ensemble du territoire américain. Il tient l’affiche durant les deux premiers mois de l’année 1974, rassemblant 1 800 000 $ (soit 12 750 000 $ au cours de 2024).
Cette carrière discrète se retrouve également en France où le métrage est proposé par le distributeur Fox-Lira à partir du jeudi 21 mars 1974, et non un mercredi.
Cette semaine-là, le polar doit affronter directement la sortie événementielle des Valseuses de Bertrand Blier qui ravit la première place du box-office parisien, dès sa facétieuse sortie. Disney propose de son côté la reprise de Mélodie du Sud, CIC American Graffiti. La vengeance du Kung-fu sonne l’action dans 3 cinémas de quartier et le western de pacotille La rançon du tueur dégaine au seul Concordia.
Dès le premier jour, le mercredi 20, Les Valseuses envoie valser la bienséance avec bonheur (9 722 entrées), le lendemain, Le Flic ricanant, lui, démarre à 1 403 privés. S’il était sorti le mercredi, il se serait positionné en 5e place.
En première semaine, dans ses 5 salles (le Triomphe sur les Champs, le Max Linder, le Paramount Gaîté/Orléans/Maillot), le film estampillé Fox-Lira ne séduit qu’11 346 suspects et rate largement le Top 15. Même American Graffiti, dans ses 4 salles, amuse un peu plus, en l’occurrence 16 488 spectateurs. C’est pour dire. Tout ce beau monde est loin des 94 077 spectateurs des Valseuses dont le scandale mènera sa truculente galerie à achever une carrière France à 5 726 257 spectateurs.
Pour sa 2e semaine, Le Flic Ricanant bénéficie enfin de 7 jours d’exploitation et trouve 2 salles en périphérie. Il reste stable en chiffres, avec 12 021 spectateurs. Total de 23 367. Le circuit parisien a besoin de faire de la place et l’éclipse avec ce résultat au mieux fade, au pire insuffisant. Peu de cinémas en province s’y intéresseront et ce sont à peine 63 000 égarés qui se seront marrés.
Cet échec cinglant a condamné le film à l’oubli jusqu’à ce que l’éditeur Rimini l’édite en DVD et blu-ray en 2016 dans une édition standard mais dotée d’un copie restaurée de bonne tenue.
Critique du film Virgile Dumez / Box-office : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 20 mars 1974
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Biographies +
Stuart Rosenberg, Bruce Dern, Walter Matthau, Clifton James, Anthony Zerbe, Paul Koslo, Matt Clark, Louis Gossett Jr., Albert Paulsen
Mots clés
Cinéma américain, Polar urbain des années 70, Les tueurs de flics au cinéma, Duo de flics